Communiqué de presse du 13 mai 2013


Le nouveau CAPES option " lettres classiques " : mais où est passé le nombre de postes ?

L’arrêté du 19 avril 2013 fixant les modalités d’organisation des concours du CAPES (Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement Secondaire, recrutant les professeurs de collège et de lycée) supprime les deux CAPES distincts de lettres (« lettres classiques », recrutant des professeurs de français, latin et grec, et « lettres modernes », recrutant des professeurs de français), et instaure, à la place de ces deux qualifications, un CAPES de lettres unique, avec deux options « lettres classiques » et « lettres modernes ». Cette modification n’a rien d’une simplification administrative anodine qui ne concernerait que les professeurs, elle attente également aux droits des élèves : l’existence d’un CAPES spécifique de « lettres classiques » garantit la nomination d’enseignants de lettres anciennes, latin et grec, dans les collèges et les lycées, et assure aux élèves qui les fréquentent de pouvoir étudier chacune de ces options.

Ce projet de transformer le CAPES de lettres classiques en simple option du CAPES de lettres n’est pas nouveau, puisqu’en 2004, alors que Luc Ferry était ministre de l’Education Nationale, le Haut Comité de Suivi des Concours préconisait déjà cette fusion [1], et l’on peut regretter qu’un gouvernement de gauche réchauffe ainsi les restes de la droite au lieu de s’employer à défendre l’étude conjointe de langues et de cultures qui, issues du monde méditerranéen, ont fécondé tout l’espace européen [2], et à soutenir la filière « lettres classiques », pour laquelle des élèves, des parents, des professeurs, des inspecteurs, des associations se battent et proposent des solutions.

Cette modification du CAPES intervient alors que les politiques ministérielles sont depuis longtemps déjà très défavorables aux lettres anciennes. En effet, les collèges et lycées, depuis 2000, sont soumis au système de la Dotation Horaire Globale (DHG), qui finance en priorité les enseignements obligatoires, et les options (langues vivantes « 3 », arts, latin et grec) seulement en fonction du reste de la dotation ; or les DHG sont en baisse constante depuis plusieurs années, ce qui fragilise considérablement les options telles que le latin et le grec. Les textes officiels qui les règlementent sont ainsi foulés aux pieds : dans nombre d’établissements, les effectifs de collège sont systématiquement minorés, les horaires en lycée arbitrairement diminués, les niveaux regroupés, ce qui provoque des situations pédagogiques ingérables, et dans le pire des cas les sections sont directement supprimées par les rectorats [3]. Souvent des professeurs de lettres anciennes en congé maladie ou maternité ne sont pas remplacés. Depuis de nombreuses années, une logique purement comptable vise, en dépit de la demande sociale [4] et du profond renouvellement des programmes et des méthodes, à décourager les élèves et leurs familles de choisir d’étudier le latin ou le grec, et les professeurs de se battre pour continuer à les enseigner. La difficulté d’identification de leurs professeurs, par effacement des repères dans leur recrutement au CAPES, viendrait encore compliquer la donne.

Avec la dilution du CAPES de lettres classiques, l’existence même de postes de professeurs de lettres classiques est en effet menacée : l’arrêté précise que les deux options (moderne et classique) de ce nouveau CAPES de lettres feront l’objet de deux classements distincts, mais sans indiquer s’il existera un nombre de postes correspondant aux deux filières, comme c’est le cas actuellement, et satisfaisant aux besoins des établissements. Certes, l’option du concours « latin pour lettres modernes » pourra peut-être préserver un certain enseignement de cette discipline : mais cela dépendra d’un pur hasard, et surtout, l’option « grec »  ne sera plus assurée, entraînant ainsi une disparition du grec de l’enseignement secondaire, alors que l’étude de la langue et de la pensée grecques au collège ou au lycée offre la possibilité aux élèves d’avoir accès à toute l’étymologie du langage savant international, aux fondements de la réflexion philosophique, politique et scientifique, aux textes fondateurs de l’épopée, de la tragédie, de l’histoire. En outre, alors que les Romains eux-mêmes ont reconnu l’apport qu’a constitué pour eux la rencontre avec la langue et la culture grecques, les professeurs formés aux deux langues anciennes seront réduits à une proportion minuscule, ce qui est un non-sens total sur les plans historique, archéologique, linguistique et littéraire.

On peut en outre être inquiet quant au nombre d’étudiants qui choisiront l’option « lettres classiques » : cette filière est exigeante sur le plan intellectuel, mais l’existence d’un débouché professionnel stable et accessible tel que le CAPES de lettres classiques assorti d'un nombre de postes fixé est un argument qui peut inciter des étudiants à s’orienter dans cette voie et les rassurer.

La boucle est bouclée : comment susciter le désir d’enseigner le latin et le grec, quand la formation secondaire est délibérément sacrifiée ? Comment inciter des étudiants à passer un concours, si tout est fait ensuite pour les empêcher d’enseigner les disciplines qui sont au cœur des études qu’ils ont choisies, et d’être nommés sur des postes correspondant à leur qualification ?

Le latin et le grec survivront certes encore dans quelques collèges et lycées, là où des chefs d’établissement soucieux d’égalité républicaine aideront des professeurs opiniâtres, et où des familles averties les choisiront comme options, mais il y a fort à parier que cela ne concernera que quelques établissements culturellement privilégiés, ou l’enseignement privé qui a déjà trouvé là un bon argument de vente. Cette raréfaction renforcera donc encore l’inégalité sociale et géographique : seul le maintien de professeurs de lettres classiques dans tous les établissements secondaires peut assurer un choix d’options égalitaire pour tous les élèves.

Le collectif Sauver les lettres réclame par conséquent que le CAPES option « lettres classiques » soit un CAPES à part entière, c'est-à-dire assorti d’un nombre de postes publié qui assure la pérennisation et le développement des sections existantes et la présence dans chaque établissement d’au moins un professeur de lettres classiques. Cela doit donc impérativement s’accompagner en amont d’une politique ambitieuse de soutien aux sections de latin et de grec au collège et au lycée, seule capable de garantir à tous les élèves cette offre d’ouverture linguistique et culturelle qui les aide puissamment, par le recul historique unique qu'elle leur donne, à se doter d’outils propres à mieux se situer dans la complexité du monde et donc à éclairer leur jugement.


Collectif Sauver les lettres


1. http://www.sauv.net/hcsc200402.php
2. http://www.sauv.net/wismann1.php
3. Le rapport de l'Inspection Générale de 2011 (Rapport n° 2011-098 sur http://www.education.gouv.fr/cid60403/publication-de-rapports-des-inspections-generales-igen-igaenr.html) met en évidence cette situation désastreuse, et signale la « marginalisation » du latin et du grec qu’elle entraîne.
4. 20 % des élèves de collège étudient le latin (de la 5e à la 3e) ou le grec (qui débute en 3e) cf. http://www.sauv.net/effectifsla2011.php.