Communiqué de presse du 31 janvier 2005

Plus d’un élève de seconde sur deux ne maîtrise pas l’orthographe de base.
Pire : en quatre ans, leur nombre a doublé.
De 28 % en 2000 qui ont eu zéro à la dictée du brevet de 1988,
la proportion est passée à 56% en 2004.


En septembre 2000, à la suite du honteux brevet des collèges dont la dictée ne comportait que 63 mots et n’en évaluait que 13 (http://www.sauv.net/fx000702.htm), le collectif Sauver les lettres s’était livré à sa propre évaluation de l’orthographe des élèves de seconde au moyen d’une dictée relativement simple, donnée au brevet à une date assez récente (1988), corrigée selon les consignes de notation en vigueur jusqu’en 1999. Les résultats furent extrêmement faibles : un quart des élèves de seconde évalués (un échantillon de 1724 élèves) obtenait zéro (http://www.sauv.net/fx010107.htm).

Katherine Weinland, doyenne de l’Inspection générale des lettres, ne s’en alarmait pas, puisqu’elle déclarait dans l’Express en mars 2002 : " 13 % des élèves de sixième ne savent pas lire, mais ils n’ont pas fini leurs études ! ", et que le dénigrement des exercices systématiques de langue française, dictée et grammaire, a continué dans les programmes officiels.

Un aveuglement aussi obstiné ne pouvait que porter des fruits délétères. Le collectif Sauver les lettres vient de le constater en proposant en septembre 2004 pour les classes de seconde le même test qu’en 2000 : même texte de dictée, suivi de six questions élémentaires de grammaire (http://www.sauv.net/eval2004.php). L’échantillon est plus large (2 300 élèves). Le résultat (analysé dans http://www.sauv.net/eval2004analyse.php) est catastrophique : plus d’un élève de seconde sur deux a obtenu zéro à la dictée, la proportion de 2000 a donc doublé, comme le montre le tableau :

 

2000

2004

variation

copies ayant obtenu 15 et plus

9,27 %

6,01 %

- 3,26 %

entre 10 et 14,5

20,50 %

11,92 %

- 8,58 %

entre 5 et 9,5

21,40 %

12,79 %

- 8,61 %

entre 0,5 et 4,5

20,88 %

12,88 %

- 8 %

ayant obtenu 0

27,95 %

56,40 %

+ 28, 45 %

… en faisant moins de 15 fautes

non mesuré

10,14 %

 

… de 15 à 20 fautes

non mesuré

17,28 %

 

… de 20 à 30 fautes

non mesuré

19,76 %

 

… plus de 30 fautes

non mesuré

9,23 %

 

Le constat est effrayant : en 2004, une grosse majorité (56,40 %) des élèves qui entrent en seconde générale et technologique a une orthographe si faible qu’elle aurait été sanctionnée par un 0/20 au brevet des collèges jusqu’en 1999.

Les comparaisons sont éloquentes : ainsi en 2000, 27,95 % des élèves faisaient au moins 10 fautes. Quatre ans plus tard, ils sont 28,99 % à en faire au moins 20. En d’autres termes, plus d’un quart des élèves de seconde ne peut écrire sans commettre au moins deux fautes par ligne. (Et s’il fallait établir une statistique nationale, il faudrait prendre en compte les classes de seconde professionnelle – 35% des élèves – qui accueillent essentiellement des élèves à l’orthographe encore plus défaillante.)

Ces statistiques ne réjouiront que les sots qui voient, dans l’illusion de sortir de la " Galaxie Gutenberg ", un progrès vers l’égalité, car l’écrit ne serait plus un facteur socialement discriminant. Folle illusion : plus la maîtrise de la langue diminue dans la population, plus elle constitue un privilège exorbitant pour ceux qui y ont accès, dans un monde où le poids de l’écrit ne cesse de croître.

L’orthographe et la maîtrise de la langue sont en outre bien plus qu’elles-mêmes : elles nécessitent concentration et rigueur, et l’orthographe grammaticale demande et développe la perception de la cohérence des énoncés, de leur hiérarchisation, sans laquelle il n’est de sens, et encore moins de nuances. Qu’en reste-t-il quand 95 % des jeunes lycéens ne savent reconnaître ni un attribut ni une épithète, ni une proposition subordonnée relative, ni donner sa fonction ? (Lire les résultats de l’évaluation de la grammaire : http://www.sauv.net/eval2004res.php) Les élèves actuels vivent dans un brouillard conceptuel qui explique leur difficulté fréquente à comprendre ce qu’ils lisent.

En prescrivant au mois de septembre le retour à des exercices et cours systématiques d’orthographe et de grammaire (http://eduscol.education.fr/index.php?./D0011/circul_coll.htm), le ministre François Fillon semble avoir pris la mesure de la situation. Mais il n’a pas pris pour autant les décisions qui s’imposent relatives aux méthodes, programmes et horaires (http://www.sauv.net/circulaire2004f.php).

Les méthodes globales (ou apparentées) d’apprentissage de la lecture continuent de sévir et d’empêcher une transcription correcte des sons, une séparation infaillible des mots, une compréhension sûre de leur composition ainsi que du système et du sens de leurs accords.

Les cours de langue du collège continuent de devoir se situer expressément dans la continuité des programmes destructeurs de l’école primaire institués en 2002, où l’apprentissage de la conjugaison se réduit à " l’observation des variations qui affectent les verbes ", celui de la subordination à la seule proposition relative, celui de la maîtrise du français à la " pratique transversale " (c'est-à-dire utilitaire) de la langue. Les programmes et prescriptions de " séquences " au collège sont inchangés.

Les horaires de français sont en chute libre depuis 1969. La scolarité primaire actuelle complète ne mène les élèves qu’au niveau du 2e trimestre de CM1 de 1968, la scolarité actuelle complète au collège mène les élèves au milieu de la 5e du collège de 1976 (http://www.sauv.net/horaires.php).

L’introduction prévue à l’école primaire de nouveaux " fondamentaux " fort discutables (langue vivante de communication et informatique), alors même que les éléments qui doivent leur préexister ne peuvent être correctement enseignés ni assimilés faute de temps, ne pourra qu’aggraver la situation en diminuant encore les horaires d’apprentissage de la langue.

En attendant, les parents qui savent le poids de la maîtrise du français et qui en ont les moyens affluent vers les écoles privées. Cela devrait ravir M. Dutreil, ministre de la fonction publique qui déclarait récemment : " Le problème que nous avons en France, c’est que les gens sont contents du service public. L’hôpital fonctionne bien, l’école fonctionne bien, la police fonctionne bien ".

Qu’il se rassure : M. Fillon contribue, avec la même ardeur que ses prédécesseurs, à résoudre le " problème ".


Collectif Sauver les lettres 

1. Devant les membres de la fondation "Concorde ", propos rapporté par Charlie Hebdo du 27 octobre 2004.