Circulaire sur l'enseignement du français au collège


La circulaire sur " l’enseignement du français au collège ", éloquemment concomitante de la publication par le ministère des chiffres alarmants de " l'État de l’Ecole " faisant état des carences d’apprentissage de 70% des élèves de primaire en lecture et en compréhension, montre de la part de M. François Fillon un geste de lucidité et de bonne volonté.

Cependant les propositions qu’il fait et les termes encourageants qu’utilise la circulaire, " dictée ", " récitation ", " travail systématique de la langue " ou " vigilance orthographique ", risquent d’être limités au statut de formules magiques et de discours incantatoire purement politique s’ils ne s’accompagnent pas de mesures énergiques qui leur donneront sens et efficacité. En effet, le type d’exercices que prône le ministre s’oppose à une ligne pédagogique qui régit depuis longtemps l’enseignement du français, et à une logique économique de réduction incessante du temps passé à apprendre qui régit, elle, l’ensemble de la scolarité des élèves. Sans une révision nette et déterminante de ces deux doctrines auxquelles la circulaire ne fait pas allusion, les propositions présentes resteront lettre morte.

Le texte ministériel en effet ne remet pas en cause " le nouveau programme de l’école primaire " paru en 2002, et situe même ses recommandations dans leur continuité. Or ces nouveaux programmes s’opposent à l’acquisition d’une bonne maîtrise de la langue. Au lieu de l’apprentissage de la grammaire et de l’acquisition mémorisée de la morphologie, ils prônent "l'observation réfléchie de la langue française (qui) doit être un moment de découverte visant à développer la curiosité des élèves et leur maîtrise du langage et non une série d'exercices répétitifs". La conjugaison, dans les nouveaux programmes, ne consiste pas en des connaissances mémorisées, mais est, en CE2, CM1 et CM2, seulement " centrée sur l'observation des variations qui affectent les verbes. " Le " travail systématique et répété " que demande M. Fillon est ainsi banni depuis longtemps des programmes officiels de l’école primaire. La contradiction est donc nette, et elle n’est pas de pure forme : le pédagogisme officiel qui sévit à l’école primaire voit la mémorisation comme un dressage nuisible, et estime que les savoirs n’ont pas à être transmis par le maître, mais découverts par l’élève. La circulaire ne met pas fin à cette doctrine erronée, et semble même en ignorer l’existence, alors qu’en livrant depuis trente ans les élèves à l’approximation, l’hésitation et l’ignorance, elle a sapé l’apprentissage du français.

Autre contradiction : s'inscrire, comme le fait la circulaire, dans la continuité des " séquences " qui au collège ont ruiné l’enseignement de la grammaire, en dispersant depuis 1996 les notions grammaticales au gré de l’étude des textes et en désorganisant leur apprentissage comme système, revient à nier l'exigence de "travail systématique" affichée par ailleurs.

D’autre part, ce texte ne s’oppose pas non plus à la doctrine de l’immersion qui dans une grande partie des horaires dits de " français " de l’école primaire, tient lieu d’enseignement disciplinaire sous le nom ronflant de " pratique transversale de la langue ", alors qu’il ne s’agit que de l’emploi normal du français comme langue d’enseignement et d’échange en usage dans les cours d’histoire, de mathématiques ou de sciences… … La conviction pédagogiste que le français ne s’apprend pas, que le français normatif, outil de la pensée et de la liberté, est une langue " bourgeoise ", et que son étude systématique est inutile et nuisible, n’est pas contrecarrée par la circulaire.

Enfin le texte reste muet sur les horaires consacrés au français à l’école primaire et au collège, comme si le recours à la dictée et aux exercices systématiques se situait dans un temps immuable et fixé de toute éternité. Or les horaires de français ont depuis vingt-cinq ans subi une baisse progressive et incessante à laquelle on n’a jamais remédié, au point d’équivaloir, au cours préparatoire, à une perte de plus de cinq heures par semaine, et, au sortir de la 3e, à la perte de deux années et demie de scolarité, en moins de trente ans (1). Or, comme le faisait remarquer un rapport officiel de 1998, la qualité des apprentissages est liée au temps qui leur est consacré. La systématisation des exercices, l’assimilation et le réemploi des notions par les élèves, l’accroissement des lectures, préconisés par le ministre, ne s’entendent que dotés du temps nécessaire. Si M. Fillon ne le fournit pas en rétablissant, à l’école primaire et au collège, au moins l’équivalent des horaires autrefois en vigueur, il place, une fois de plus, les enseignants et les élèves devant une mission impossible, et les récents chiffres officiels, lamentables, de l’illettrisme et de l’incompréhension ne feront que croître. Il condamne en outre son discours à n’être qu’un effet de manches destiné à flatter une opinion publique avide d’une imagerie scolaire surannée, et non un programme déterminé et conscient des impératifs de la modernité.

En maintenant des programmes et des horaires qui empêchent la maîtrise de la langue, tout en enjoignant de ne pas la négliger, le texte semble ainsi se condamner à l’inefficacité.

Les projets évoqués par le rapport Thélot ne font qu’aviver cette crainte. En effet, sans orientation disciplinaire claire et sans moyens horaires, le niveau du français du " tronc commun de connaissances " risque d’être réduit au sabir. Et par une inversion idéologique et économique du raisonnement sur ses échecs, l’école ne cherchera plus à élever les élèves, mais à les niveler : le sociologue François Dubet préconisait déjà, en 2001, de régler le niveau des acquis du collège sur " ce que doit savoir le plus faible des élèves quand il en sort ".

Le ministère en est donc à un tournant décisif : sans le courage idéologique, politique et économique de revenir sur l’orientation constructiviste, et donc élitiste, de la doxa scolaire, sur la formation des enseignants, sur le projet de déqualification des professeurs menacés par le projet de bivalence, la baisse des postes aux concours, et le recours aux enseignants précaires non spécialisés, sur la réduction des horaires de français et sur la volonté économique du " toujours moins ", toute déclaration de lutte contre l’illettrisme et le manque de maîtrise du français restera au stade du vœu pieux.

Agnès Joste, membre du collectif "Sauver les lettres"

09/2004

(1) Voir l'appel pour le rétablissement des horaires de français lancé par plusieurs associations.