Kevin Dugenou et La Fontaine

(merci à Antoine Drancey de nous avoir transmis ce courrier de Kevin)


Chers Messieurs-Dames professeurs,

C'est encore moi Kévin Dugenou. Alors voilà pour les vacances on a un travail très difficile à faire. Notre prof, qui s'est bien remis de son attaque d'apoplexie, a dit qu'il était logique de faire des commentaires composés au collège puisque maintenant il y a des rédactions au lycée. Il nous a donné un texte de Jean de La Fontaine, "Les animaux malades de la peste" (j'ai mis le texte après mon commentaire au cas où vous ne vous en souviendriez plus). Enfin bref je bloque un peu pour l'intro et j'ai besoin d'aide. Le reste me semble très bon car je crois avoir atteint l'objectif fondamental de l'enseignement séquentiel du français au collège : la maîtrise des discours.

Bonne année à tous,
Kévin Dugenou.



Plan.
I) Un énoncé coupé de la situation d'énonciation et de la vraie vie.
II) Ma transition.
III) Les formes de discours rapportés dans ce conte merveilleux.
IV) Mon avis personnel sur La Fontaine.


La première strophe est un énoncé coupé de la situation d'énonciation même s'il est possible d'interpréter l'impersonnel « il faut » comme un discret déictique car le moment de l'énoncé coïncide avec le point d'énonciation. Au début de ce récit, La Fontaine tourne un peu autour du pot et ce n'est qu'au vers 4 que le propos (la Peste) est clairement identifié. Ce récit s'organise principalement autour de verbes conjugués -et c'est tant mieux- à l'imparfait pour les actions de second plan et le bavardage superflu. On remarque néanmoins l'emploi d'un passé simple isolé, facilement identifiable à sa terminaison en -a- pour toutes les personnes du singulier. Cette utilisation du passé simple montre bien que l'énonciateur est un lettré du Moyen Age. Le style vieux se traduit aussi par un goût pour les paradoxes et quelques approximations : nous savons bien, de nos jours, que les maladies ne rendent personne plus riche à part les médecins. Cependant La Fontaine est cool d'une certaine manière : il souligne que malgré les difficultés rencontrées et l'éloignement (« se fuyaient », « partant ») il est possible d'aimer de manière intense. Cette idée, que l'on pourrait traduire par « loin des yeux, près du cœur » est mise en valeur par la répétition du mot « plus » dans le dernier vers du premier paragraphe.

Dans ce récit le narrateur est omniscient car à cette époque l'homme (l'auteur) en savait toujours plus que les animaux (les personnages). Ces animaux jouent d'ailleurs un rôle important dans la deuxième strophe qui est dominée par des énoncés ancrés dans la situation d'énonciation : on pourrait presque dire qu'il s'agit d'une pièce de théâtre mais le fait que les bestioles communiquent de manière référentielle en utilisant un code commun montre qu'il s'agit d'un conte merveilleux.

Comme dans tout conte, le plus important c'est le schéma narratif. Dans la situation initiale le lion invite ses amis à manger un berger. L'élément modifico-perturbateur est introduit par le connecteur logique « mais » : le lion n'a plus faim. Ensuite, dans les péripéties, tous les animaux viennent faire leurs petits discours très variés puisqu'on remarque l'utilisation du discours direct, du discours indirect, du discours indirect libre, du discours narrativisé, du discours explicatif, du discours argumentatif, du discours narratif, du discours descriptif et du discours injonctif, ce qui est plutôt bien pour un seul texte. Dans l'élément de résolution les animaux décident de cuisiner l'âne pour redonner son appétit au lion. Mais finalement ils se ravisent car dans les contes tout est bien qui finit bien et ils décident de déguiser l'âne en zèbre : « Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » Aussi pouvons-nous dégager le schéma actanciel de ce conte merveilleux : le sujet (le roi) cherche à organiser un bon repas (objet). Il est poussé par son instinct de carnivore dominant (destinataire) mais ce n'est pas un désir égoïste car il n'est pas le seul destinateur (les animaux sont tous conviés à la noce). Ses invités sont donc ses adjuvants qui partagent les plaisirs de la table et un certain goût pour la plaisanterie fine. Ce caractère enjoué des animaux marginalise l'unique opposant : un âne.

Dans ce conte médiéval La Fontaine a bien montré que l'âne n'était pas très citoyen, car il refuse de faire la fiesta avec tout le monde et ne se montre pas enthousiaste, contrairement aux animaux représentés dans les contes de Badoit. Pour tout dire l'âne manque vraiment de savoir-vivre et on espère qu'il retiendra la leçon en participant spontanément la prochaine fois. Cette idée est plutôt bien de la part de La Fontaine, dommage qu'il utilise un langage si plein de poussière.


VII, 1 - Les Animaux malades de la peste

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
À chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.

Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Âne vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
À ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.


Jean de La Fontaine, Fables.

03/2002