Communiqué de presse du 19 décembre 2012


" Projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l'école " : rebâtir sans fondations ?

Après avoir pris connaissance du " Projet de loi [...] pour la refondation de l'école ", le collectif Sauver les lettres relève qu'il diffère peu du " Rapport pour la refondation de l'école " dont il est issu, et n'en corrige pas les défauts (cf notre communiqué " Refondons l'Ecole de la République : un rapport inquiétant "), voire les accroît.

Certes, le projet reconnaît une fois de plus les chiffres catastrophiques de l'échec scolaire dans le primaire et le secondaire, et son lien accru avec les inégalités culturelles (confirmés par le récent rapport 2012 du HCE). Certes, il cherche à y remédier en annonçant des mesures positives en primaire : l'allongement de la semaine et le renforcement de l'apprentissage mathématique par « la résolution de problèmes », et pour le secondaire en redéfinissant timidement le « socle de compétences et de connaissances » par l'ajout de la « culture ». De même, le retour envisagé à une certaine « sectorisation » pourrait favoriser l'égalité entre établissements et limiter les effets de ghetto.

Mais ces inflexions à la marge, pas plus que la « programmation » annoncée, ne remontent aux causes mêmes du désastre actuel, et le projet de loi se réduit soit à une rhétorique, soit à une fuite en avant dans une « innovation » dont la validité pédagogique n'est pas établie.

Ainsi, « l’expression orale et écrite » est définie comme « fai(sant) partie » des « instruments fondamentaux de la connaissance », mais le rétablissement des horaires antérieurs de français dans le primaire et le premier cycle n'est jamais évoqué, alors que l'on sait pertinemment que la qualité des apprentissages est fonction du temps laissé aux élèves pour les acquérir et les assimiler. Ce temps manquant dans les apprentissages élémentaires est reporté par le projet à des horaires extérieurs de RASED ou de remédiation en collège, alors que les difficultés créées sont déjà ancrées, et que l'inégalité sociale a déjà joué à plein.

Ainsi « le numérique », pièce maîtresse du projet de loi, est présenté comme la panacée censée résoudre toutes les difficultés actuelles, alors que l’efficacité de cet outil est fonction des connaissances antérieures et des capacités de discernement de l’usager internaute, et que les dotations sont laissées aux régions, avec toutes les inégalités de ressources qui en découlent.

Ainsi, alors que l'on sait que l'échec en second cycle et à l'université est dû à un déficit de connaissances disciplinaires, les propositions pour le lycée programment une fuite en avant dans une recrudescence de l'interdisciplinarité, avec « des pratiques pédagogiques innovantes (travaux personnels encadrés en terminale, projets interdisciplinaires) ». En 2004 déjà pourtant, le ministère reconnaissait que « 95% des TPE » s'étaient reconvertis en « bachotage », et beaucoup de sujets de TPE se revendent... sur internet. De même, dans la même page, le projet reconnaît que « l’accompagnement personnalisé ne donne pas tous les résultats escomptés », mais veut le renforcer comme « pratique innovante »...

Ce projet rompt donc peu avec les réformes du gouvernement précédent : le collège reste défini par un « socle » qui nivelle au lieu d'élever, et les préconisations européennes qui visent à « l'employabilité » comme horizon du système éducatif sont renforcées par le projet : dès la classe de 6ème devra figurer « une première connaissance du marché du travail ».

Il se dispense également d'une analyse sérieuse des difficultés et des inégalités scolaires. En proclamant que « l’adjonction de moyens supplémentaires sans modification des pratiques n’aurait que peu d’effet sur les résultats de notre système éducatif », il nie l'effet délétère des baisses horaires d'enseignement des matières, la hausse constante des effectifs de classe qui nuisent aux élèves les plus fragiles, et le consumérisme scolaire engendré par les inégalités, en moyens et en options, d'établissements dérégulés par l'autonomie.

Enfin il ne renoue pas avec les finalités émancipatrices des esprits que l'on pourrait attendre d'un pouvoir de gauche. L’instruction, qui pourtant conditionne le recul critique et fournit à chaque élève de quoi construire sa liberté, ne figure pas dans le projet de loi, qui cherche au contraire à normaliser en s’alignant sur les directives de l'OCDE : « développer un esprit européen et un sentiment d’appartenance partagé à la communauté politique que constitue l’Union européenne ». Il modifie donc en profondeur les finalités de l'école.

La refondation de l'école, pour retrouver le chemin de l'instruction, doit passer par une insistance sur les savoirs, sur la culture qui les relie, et sur des programmes revus avec la juste ambition de corriger, par la maîtrise progressive de solides connaissances et de savoir-faire efficaces, les inégalités culturelles croissantes qui minent notre société. Le collectif Sauver les lettres demande donc que ce projet soit sensiblement amélioré avant d’être soumis au Parlement.


Collectif Sauver les lettres