Communiqué de presse du 15 octobre 2012


" Refondons l’École de la République " : un rapport inquiétant.

Le rapport « Refondons l’École de la République », qui vient de paraître, affiche dans son titre de grandes ambitions. Cependant, si l’on approuve la sévérité du constat et la volonté de lutter contre toutes les inégalités, on s’inquiète des solutions et pistes proposées, qui relèvent trop souvent du recyclage de poncifs ayant largement fait la preuve de leur inefficacité, voire de leur nocivité, et par idéologie verrouillent le débat, alors que sont écartés des éléments essentiels.

La transmission des connaissances est mise en cause. Les auteurs affirment ainsi que « la posture encyclopédiste, qui a tant marqué la culture scolaire française traditionnelle, est, dès lors, dépassée. Tout autant que d’apprendre, l’objectif est désormais d’apprendre à apprendre. » Ce dogmatisme, qui était déjà au cœur de la politique menée par l’ancien ministre Claude Allègre, autrefois socialiste, est contredit par l’expérience : il est illusoire de vouloir apprendre par soi-même, construire sa réflexion propre, effectuer une recherche pertinente sur internet ou d'autres supports, sans de solides connaissances préalables.

Le rôle central des disciplines est contesté. En témoigne la faible place accordée par les rédacteurs à la maîtrise du français oral et surtout écrit, si essentielle pour comprendre la pensée des autres, élaborer la sienne et construire sa sensibilité esthétique. La mise en place de cours de rattrapage dans les universités et de stages d’orthographe dans les entreprises illustre pourtant l’urgence de la situation.

La baisse des horaires disciplinaires devient un principe et renforce les inégalités. Jamais le rapport ne fait de lien entre la situation d’échec de nombreux élèves et la baisse constante des horaires de plusieurs disciplines dont le français [1], baisse responsable de graves lacunes dans la culture commune des élèves. Pire, sans jamais se poser la question des savoirs à acquérir à l’école, les auteurs mettent régulièrement en avant la nécessité de limiter le temps passé en cours, comme si cette réduction ne menaçait pas les contenus, tout en nourrissant les inégalités : les familles averties compensent à la maison le déficit d'école, ce que les milieux défavorisés ne peuvent faire, ni culturellement ni financièrement. Moins d'école, c'est toujours plus d'élitisme.

Le lycée reste en friche. Les rédacteurs du rapport reconnaissent s’en tenir au statu quo et ne disent rien du baccalauréat. On comprend toutefois que la « reconquête du mois de juin » s’arrangerait bien du passage au contrôle continu, lequel donnerait libre cours aux inégalités entre établissements... Le rapport ne remet pas en cause la calamiteuse réforme Chatel des lycées ni leur autonomie, qui ont fragilisé des disciplines réduites à peau de chagrin, induit des programmes devenus délirants (histoire, sciences économiques et sociales, sciences de la vie et de la terre…) et mis en danger les filières littéraire et technologiques. Pire, il prône de nouveaux allègements horaires, alors qu'il faudrait utiliser les échecs du secondaire comme une leçon pour l’ensemble du système. L’échec massif dans les premières années du supérieur en diminuerait d’autant.

Le collège en reste au « socle ». Le rapport ne rompt nullement avec les orientations antérieures, comptables ou idéologiques. Il affiche la volonté de se dégager du modèle éducatif libéral et utilitariste de certains pays, mais défend la notion, issue du monde de l’entreprise, de « compétences » (et le livret qui les valide au collège), ce qui entérine l'idée que le savoir ne prend sens qu’en liaison avec la vie quotidienne ou professionnelle, et rabat le collège sur les faibles contenus du « socle commun ».

Notons le simplisme de la socialisation par immersion, « la multiplication des dispositifs permettant de créer des relations interpersonnelles horizontales (sic) entre tous les acteurs de l’École (…) C’est par ce type de méthodes, bien davantage que par des cours magistraux, que l’École peut, par exemple, lutter contre les stéréotypes ». Il faut au contraire souligner que c’est en menant habilement le dialogue avec la classe que le maître peut faire découvrir aux élèves, et leur transmettre par les méthodes qu’il juge les plus appropriées, des références et des modes de pensée inhabituels. Il peut ainsi espérer les faire mûrir en les rendant conscients de leurs préjugés, et en leur permettant de forger leur propre conscience critique, préalable à l’exercice du jugement qui doit guider les choix de vie.

Une vision figée de la pédagogie. Le rapport affirme que, malgré les tentatives de réforme, « l’école est restée dans l’ensemble fidèle à une pédagogie frontale traditionnelle », ce qui ne correspond absolument pas à la réalité, beaucoup plus diversifiée et mouvante, des pratiques enseignantes. Il prône, sans analyse, la mise en place « d’autres pédagogies », fondées par exemple sur le travail en petits groupes, l’évaluation exclusivement valorisante pour donner confiance (au rebours de la note chiffrée jugée traumatisante) et le recours aux nouvelles technologies. Ces « pédagogies innovantes » et l’utilisation du numérique (comme si lui aussi n’était pas bien souvent frontal !) sont invoquées à plusieurs reprises dans le rapport comme remède à tous les maux, scolaires ou comportementaux. On peut y voir de la naïveté, mais aussi du cynisme : il est moins coûteux de déplorer rituellement le conservatisme des méthodes que de garantir des conditions de travail permettant d’agir efficacement sur les multiples causes des difficultés scolaires.

Une vision autoritaire du métier de professeur. Poursuivant sa logique le rapport voit dans la formation des « enseignants » le moyen de faire entrer « la refondation dans les classes et dans les esprits ». La volonté de reprise en main est explicite : c’est un alignement sur les thèses « pédagogistes » qui ont toujours déploré la culture jugée trop universitaire des professeurs.

À l’inverse, il faut garantir aux professeurs la liberté de choisir, selon leur classe et le contenu à transmettre, la pédagogie la plus efficace. C’est cette efficacité, dont la recherche stimule constamment la réflexion des praticiens, que doivent évaluer les inspecteurs, et toute condamnation a priori de « la pédagogie frontale traditionnelle » ou des « pédagogies innovantes » est aberrante.

À l’heure où l’Éducation Nationale connaît une grave crise de recrutement, l’annonce d’un formatage serait la pire des dissuasions. Il faut au contraire donner aux étudiants motivés par ce métier de passeur et d’éveilleur une formation ouverte qui leur permette de construire des pratiques pédagogiques diversifiées, à partir de programmes cohérents et définis dans une concertation démocratique qui tienne aussi compte de l’expertise des acteurs de terrain.


Collectif Sauver les lettres


[1] Cf. notre Appel pour le rétablissement des horaires de français, http://www.sauv.net/horaires.php.