DNB 2010


      Après des années à plancher sur des auteurs mineurs, nous pouvions nous réjouir de lire, au bas du texte donné à l’épreuve de français du DNB, session 2010, le nom de Colette. Certes, cet extrait des Vrilles de la vigne – « En baie de Somme » – n’est probablement pas une des plus grandes pages de l’auteur ; il n’était pas, en ce qui concerne le lexique ni la syntaxe, d’une bien grande ambition, mais tout de même, c’était Colette, Colette si fraîche, si gaie, et sa prose sensuelle où point un humour délicat, et il y avait matière à dire sur ce texte : sur un certain art de l’ellipse et de la brièveté, mais aussi des détails suggestifs, sur ce regard amusé porté sur toute chose, autant d’éléments qui faisaient dire à Mauriac (je crois) que Colette était un nouveau La Fontaine.

      Las ! On aura rarement autant malmené un texte littéraire, trahi un auteur, ni si bien poussé les élèves au contre-sens. Nous étions habitués aux questions sans intérêt, qui instrumentalisent les textes, pas encore aux questions qui les dévoient : cette année, nous avons atteint des sommets – ou plus certainement des abîmes.

      Le texte (ci-dessous), en deux mots. Une famille à la plage. La mère, plongée dans sa lecture, perd de vue ses enfants. Son petit garçon déclare soudain que sa petite sœur s’est noyée. Affolement de la mère qui découvre la petite jouant dans le sable et rabroue son aîné. Tout est sans gravité.

      Jugeons des premières lignes : « Beau temps. On a mis tous les enfants à cuire ensemble sur la plage. Les uns rôtissent sur le sable sec, les autres mijotent au bain-marie dans les flaques chaudes. » On admire la capacité à évoquer en peu de mots, grâce à la phrase nominale, l’emploi des pronoms indéfinis et la métaphore filée où se déploie l’ironie, un tableau suggestif et drôle. Mais le sujet se désintéresse de cet art de la mise en scène tout autant que du ton employé et se contente, en première question, de demander à quoi les enfants sont comparés dans le premier paragraphe et de justifier sa réponse par le relevé d’un champ lexical précis. Dans la suite, les autres questions ne permettent pas plus aux élèves de saisir à coup sûr le second degré de la scène. Le titre "Une scène de comédie" (III) est rabattu sur un "genre théâtral" (III, 1) bien vague et général, et même très discutable : les Fables de La Fontaine, cette "pièce aux cent actes divers", comme disait pourtant son auteur, « se rattachent-[elles] au genre théâtral » simplement parce qu'il y a des dialogues, de l'humour et une chute ? Serait-il venu à l’esprit de quelqu’un de poser cette question sur « Le Loup et l’Agneau » ou « Le Renard et le Bouc » ? Non seulement on ne voit pas bien ce qu’une telle question apporte à la compréhension du texte de Colette, mais en plus, telle qu'elle était formulée, cette question a focalisé l'attention des élèves sur des aspects génériques, les détournant précisément, malgré le libellé de la partie, de son humour. Le "comique" (III, 3) s’est ainsi trouvé limité à l'annonce de la "noyade", alors qu'il irrigue tout le texte. Et les élèves mal guidés, constatant que les enfants sont comparés « à de la viande », « de la chair morte » en train de rôtir (termes récurrents dans les copies), ont jugé que cette comparaison était péjorative, voire effrayante. Il faut dire qu’une autre question, un peu plus loin, allait dans le même sens :
      « Lignes 18-19 :
      a) À quoi la mère est-elle comparée ? À quoi la fille est-elle comparée ?
      b) Quel est le point commun entre ces deux comparaisons ? »
      La mère étant comparée à une mouette et la fillette à un chien, c’est-à-dire deux animaux, les élèves, qui n’ont pas la première connaissance de l’univers de Colette ni du fait que, dans cet univers, le monde animal et végétal est connoté positivement, et rien dans le sujet ne leur permettant de saisir cette valeur, les élèves, disais-je, y ont vu la confirmation de l’image péjorative des personnages et du jugement sévère de l’auteur. Quoi de plus méprisable qu’un chien ?

      Bref, tout semblait fait exprès pour que les élèves passent à côté de l’humour du texte et de sa visée. Il faut dire que le questionnaire s’est étrangement complu à lui rendre quelque gravité, en le moralisant et en en dramatisant l’action. On lisait ceci, à la question 3 :
      « a) Que fait la mère dans le premier paragraphe ?
      b) Par rapport à ses enfants, quelle est la conséquence de cette activité ? »
      puis :
      « a) Dans la dernière phrase du premier paragraphe, le verbe s’enivrer a-t-il son sens courant ? Justifiez votre réponse.
      c) Comment expliquez-vous l’emploi de « hallucinés » par rapport à celui de « s’enivre » ? »
      enfin ceci en guise de conclusion :
      « En vous appuyant sur l’ensemble de vos réponses, indiquez si la mère vous paraît correspondre totalement à l’expression « grande personne civilisée » et l’enfant à l’expression « petit enfant sauvage ». Justifiez votre réponse. »

      Oh ! l’horrible danger de la lecture ! Oh ! la mère indigne, qui ne surveille pas ses enfants, qui ne pense qu’à son plaisir. Heureusement que son fils est là pour la rappeler à ses devoirs. Le fils, mais pas seulement. Car le sujet de rédaction invite les élèves à s’engouffrer dans ce lieu commun démagogique et à prendre acte de l’égalité entre la mère et le fils : « Un peu plus tard, le père rejoint sa famille à la plage. Un dialogue s’engage entre les trois personnages : la mère explique à son époux ce qui vient de se passer ; Jojo proteste ; le père tente de les réconcilier. Écrivez ce dialogue. » Sans commentaire. Chacun appréciera. Je laisse en outre le lecteur de ces lignes imaginer à quels bonheurs de plume a conduit un sujet pareil. La recherche du style, de l’expressivité, voire d’un peu de poésie, ne trouvaient guère de place avec semblable invitation au cliché et à la platitude. Ceux qui auront travaillé toute l’année pour tenter d’enrichir quelque peu leur expression auront eu bien du mal à réinvestir le fruit de leurs efforts.

      Pauvres élèves, déconcertés par un sujet aussi peu cohérent. Pauvre Colette. A quelle étrange conclusion on aura conduit l’étude de son texte. Colette, l’anticonformiste, qui s’est libérée à si grands efforts de la tutelle de Willy, qui s’est battue toute sa vie pour son émancipation, qui a célébré sur tous les tons le plaisir de la lecture, celui des sens et la force de l’imaginaire, Colette moralisant et dénonçant les manquements de la mère et le temps perdu à lire ! On aura tout lu. Le texte forcé jusqu’à trahir complètement la pensée de son auteur, pour coller à la bien-pensance actuelle ! Un sujet d’examen consacrant le discours démagogique de l’institution scolaire : l’enfant est tout aussi responsable que l’adulte et peut bien se permettre de lui faire la leçon ! Voilà où nous en sommes.

      Enfin, le dernier scandale, et non le moindre, de cette session ne tient pas au sujet ni à ses aberrations mais aux consignes de correction.

      Oyez, oyez ! Pour l’évaluation de la rédaction, il nous a été interdit de noter la partie langue sur plus de deux points. Deux points, oui, vous avez bien lu. Les points devaient être attribués sur des critères purement formels : respect des temps du récit (présent), existence d’une argumentation, d’un dialogue dûment présenté, etc. Devant la levée de bouclier des correcteurs, parmi lesquels l’auteur de ces lignes, la responsable de centre est allée téléphoner à nos IPR pour demander confirmation de ce barème. Ce qui fut fait. Argument donné : « Avec la dictée et la réécriture, la langue est déjà évaluée pour 10 points sur 40, il ne faut pas non plus que ce seul critère pénalise les élèves. » Nul n’est besoin d’être professeur de Lettres pour comprendre que ni la dictée ni la réécriture n’exigent de l’élève de savoir construire ses propres phrases, les enchaîner correctement, nuancer sa pensée ni mobiliser un lexique précis. On n’a jamais si bien dit, alors que l’on prétend partout en faire une priorité nationale, que l’on renonçait à exiger une réelle maîtrise de la langue écrite pour l’obtention du DNB : ce renoncement serait-il la seule possibilité, à défaut de redonner des moyens réels pour enseigner le Français, de garantir leur diplôme au plus grand nombre d’élèves, y compris ceux que l’on n'aura pas instruits correctement ?


Véronique Marchais


Brevet - sujet de français 2010 (pdf)

07/2010