Communiqué de presse du 23/09/2002


Le nouveau bac de français

La déroute prévisible
d’une épreuve élaborée
dans l’incohérence et la précipitation.

 

Comme le collectif Sauver les lettres et la grande majorité des professeurs de français le craignaient, la plus grande confusion a régné lors de la session 2002 de l’épreuve anticipée de français du baccalauréat. Au sein des jurys, lors des réunions destinées à préparer et harmoniser l’épreuve, pendant les épreuves elles-mêmes, inspecteurs, examinateurs et candidats, ont été plongés dans le plus profond désarroi.

Cette incroyable confusion – si peu compatible avec la solennité de ce rite de passage : l’examen national qui donne accès aux études supérieures – a plusieurs causes.

 

1 - Des conditions d’élaboration catastrophiques.

Après trois versions successives – en deux ans – des nouveaux programmes, les professeurs de première ont dû commencer l’année sans exemple de sujets d’examen à soumettre à leurs élèves. Des " Annales zéro " n’ont été publiées par le ministère qu’en décembre, soit six mois avant les épreuves, avec l’avertissement que " les sujets proposés ne sont pas représentatifs de l’ensemble des possibilités offertes par le programme de français et la définition des épreuves " !

Comment, si le professeur est lui-même placé dans la plus grande incertitude, peut-on espérer donner confiance à des élèves pour qui le baccalauréat constitue souvent la première véritable épreuve ?

 

2 - Des modalités contestables, et fortement contestées.

À l’écrit, les deux grandes nouveautés de l’épreuve, le " corpus " de textes commun aux trois sujets et le travail d’" invention ", ont montré combien, loin de stimuler la réflexion des élèves, elles l’appauvrissaient et la paralysaient. Lire, comprendre et analyser trois textes pour pouvoir répondre à une ou deux questions préliminaires, puis élaborer, dans le temps qui reste, une dissertation ou un commentaire littéraire ou encore un article de journal ou une scène de théâtre, représente un travail infaisable en quatre heures pour l’immense majorité des élèves, qui ne sont au lycée que depuis deux ans. Refusant de concentrer leur attention et leur effort sur l’étude d’un texte littéraire, ou sur l’examen d’un problème, ces sujets, en les dispersant, les ont paralysés. Le résultat fut souvent désastreux : réponses indigentes à des questions purement descriptives et formelles, dans lesquelles ils essayaient d’introduire les notions techniques qu’ils avaient apprises par cœur (alors que cette nouvelle épreuve devait être la panacée contre le " bachotage "), travaux d’écriture exsangues, n’excédant pas la page dans de trop nombreuses copies.

Le " sujet d’invention " s’est révélé dramatiquement inévaluable, et inégalitaire :

Les sujets de dissertation, enfin, ont illustré le défaut majeur des nouveaux programmes : la priorité donnée aux classements par genres et aux techniques de rédaction des textes, au détriment de leur sens. Les élèves étaient invités à parler des " contraintes formelles " de la poésie, ou à se demander si " les textes littéraires et les formes d'argumentation souvent complexes qu'ils proposent [sont] un moyen efficace de convaincre et persuader ". Un grand nombre de candidats se sont réfugiés mécaniquement dans la récitation d’un cours et son catalogue de procédés, paralysés par l’ampleur et le caractère technique des sujets. Là encore, de telles épreuves ne peuvent conduire qu’à susciter le " bachotage " qu’elles prétendaient éliminer.

À l’oral, la confusion a encore davantage régné : après les angoissantes incertitudes de l'année (cf. supra), les candidats – et leurs enseignants – ont dû affronter une épreuve littéralement kafkaïenne ; la nouveauté consistait, puisqu’il fallait à tout prix éviter le " psittacisme ", à exiger de l’examinateur qu’il posât au candidat deux questions auxquelles il n’était pas préparé, afin d’être sûr qu’il ne réciterait pas son cours. Pour aider l’examinateur, chaque professeur de première avait dû fournir, un relevé complet (appelé " descriptif ") de tous les travaux faits en classe ! Pour certains examinateurs, il a fallu étudier jusqu’à vingt-sept descriptifs différents, et s’ingénier à trouver, pour quatre-vingt candidats, cent soixante questions ! Tâche d’autant plus insurmontable que les questions importantes ont en général fait l’objet du cours...

Au désarroi des examinateurs s’ajoutait celui des élèves, toujours surpris par les questions, si les examinateurs jouaient vraiment le jeu qui consistait à leur demander autre chose que ce que le cours avait abordé.

 

3 - Une attitude incohérente de l’inspection

Dans ce naufrage, on aurait aimé trouver, de la part de ceux qui sont censés piloter cette réforme, un peu plus de cohérence. Or, suivant les académies, les consignes et les réponses de l’inspection ont varié du tout au tout, Mme Weinland, doyenne de l’Inspection, accordant même in extremis que l’examinateur, à l’oral, pouvait demander au candidat : " quel est l’intérêt du texte ? " Selon d’autres inspecteurs, venus assister à l’épreuve pour vérifier le bon respect des instructions (1), il n’était pas question de laisser les candidats dire simplement ce qu’ils savaient du texte. Un autre enfin, a trouvé qu’il ne fallait pas pénaliser un élève qui récitait son cours, et qu’il ne voyait pas pourquoi " il n’y aurait qu’en français que les élèves ne pourraient pas gagner des points en bachotant " !

Pire encore, les consignes d’indulgence pour l’écrit ont révélé l’embarras de l'Inspection devant une épreuve dont elle semble découvrir l’irréalisme : " On attire l’attention sur la difficulté du sujet et son caractère technique de nature à déconcerter les candidats qui n’ont pas étudié le sonnet pendant l’année " (!) ; " le texte de Laforgue déconcertant pour les élèves... " ; " du fait des nouvelles épreuves, les candidats ont disposé de moins de temps que les autres années " ; " on tiendra compte de la difficulté du sujet d’invention ". Sujets déconcertants, sans rapport avec le travail de l’année, épreuve insurmontable en quatre heures : ce sont précisément les écueils que le collectif Sauver les lettres n’a cessé de dénoncer depuis le début de l’élaboration de la réforme du baccalauréat de français. (cf. http://www.sauv.net/analyses.htm, rubrique " lycée : programme, épreuve, manuel ")

Encore importe-t-il de souligner que ces consignes d’indulgence ne trahissent pas seulement l’incurie des responsables de cette réforme ; elles pervertissent la signification pédagogique et politique de l’examen : si le candidat est admis à entrer à l’université, ce n’est pas parce qu’il est qualifié, mais parce que les adultes ont eu pitié de son désarroi ; son diplôme n’est pas la preuve de son travail et de sa réflexion, mais de notre mansuétude.

D'ailleurs, comment un candidat peut-il encore se croire qualifié par une épreuve dont les consignes de correction précisent qu’il ne faut pas retirer plus de deux ou trois points (le chiffre varie suivant les académies...) pour une orthographe et une syntaxe " gravement " fautives ? Il y a peu (L’Express, 14 mars 2002), Mme Weinland, doyenne de l’inspection, ne s’alarmait pas du taux d’illettrisme en sixième, et déclarait que les élèves avaient toutes les études secondaires pour apprendre à lire et à écrire ; désormais, il le feront à l’université, puisque, même sans savoir construire une phrase, ils pourront avoir une note fort honorable en français au baccalauréat.

Le collectif Sauver les lettres rappelle que la doyenne de l’Inspection a déclaré, au printemps dernier, qu’un " bilan administratif et pédagogique " de l’épreuve serait fait, et qu’il y aurait ensuite une réflexion à partir de ce bilan, dès la rentrée.

Le collectif Sauver les lettres exige que ce bilan soit dressé de toute urgence, et dans des conditions de transparence absolue.

Il importe d’interrompre immédiatement ces expériences hasardeuses dont les premières victimes sont les candidats eux-mêmes.

Il faut renoncer immédiatement à ces errements qui contribuent gravement à ôter toute crédibilité à notre discipline et semblent destinés à rendre l’examen impraticable. On chercherait à justifier sa suppression qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Collectif Sauver les lettres 

(1) Chaque année, les instructions que reçoivent les examinateurs soulignent la nécessité de mettre à l’aise les candidats, dont c’est souvent la première épreuve : on imagine combien la présence d’un inspecteur peut contribuer à détendre l’atmosphère...

Pour plus d’informations, vous pouvez consulter sur le site du collectif Sauver les lettres (www.sauv.net) les textes suivants :

- " Dernières nouvelles de l’épreuve anticipée de français 2002 " http://sauv.net/eaf2002.php

- les sujets de l’épreuve écrite, http://www.sauv.net/eaf2002sujets.php

-" À propos des sujets de l’épreuve anticipée de français en séries générales ", http://www.sauv.net/eaf2002seriesgen.php

- " Comparaison des consignes de correction de l’épreuve écrite d’une académie à l’autre ", http://www.sauv.net/eaf2002correc2.php

- pétition du collectif Sauver les lettres pour une refonte urgente des nouvelles épreuves du bac de français et autres actions, http://www.sauv.net/pneaf.php

Et d’autres encore, à la page : http://www.sauv.net/analyses.htm dans la rubrique " lycée : programme, épreuve, manuel ".