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Ni Robien, ni Meirieu.

      Des milliers d'enfants quittent aujourd'hui l'école primaire sans pouvoir lire pertinemment un texte simple. Des milliers de collégiens, en sortant de 3ème, ne savent toujours pas conjuguer complètement le moindre verbe, et de nombreux enfants intellectuellement déficients, qui voient fermer l'une après l'autre les classes spécialisées auxquelles ils ont pourtant droit, se trouvent catapultés dans des collèges où personne ne peut correctement s'occuper d'eux. Des milliers d'adolescents quittent le lycée sans pouvoir parler dix minutes avec un peu de goût et d'intelligence de Montaigne, de Flaubert ou de Boris Vian, et des milliers d'étudiants abandonnent leur cursus dès la première année, soit que leur manque de méthode et de bases culturelles se révèle soudain trop criant, soit que la nécessité de subvenir à leurs besoins matériels les empêche de poursuivre. Force est donc de constater que les politiques éducatives et économiques menées depuis une trentaine d'années se soldent pour ces dizaines de milliers de jeunes par un échec.

      Les mesures et perspectives gouvernementales (socle commun, apprentissage à quatorze ans, réforme des ZEP à moyens constants, remplacements et bivalence des enseignants, suppression massive des postes aux concours du CAPES et de l'agrégation, loi sur les bienfaits du colonialisme) ne font qu'aggraver la situation en réduisant encore pour les élèves l'accès au savoir et la formation de l'esprit critique. Elles ignorent d'ailleurs toujours superbement la revendication étudiante d'une allocation qui compenserait l'insuffisance des revenus parentaux, et n'envisagent pas davantage la remise à un niveau décent des horaires disciplinaires au collège et au lycée.

      Mais pourquoi donc ces horaires ont-ils baissé ? Sous des gouvernements classés à gauche (sous les ministères Allègre et Lang en particulier), et sous l'égide d'un certain Philippe Meirieu, soi-disant expert en "sciences de l'éducation", se sont mis en place divers dispositifs destinés à "enseigner autrement", et qui dans la pratique ont abouti à ces diminutions : les horaires des IDD au collège (itinéraires de découverte) et des TPE au lycée (travaux personnels encadrés) se sont en effet installés au détriment des disciplines, en particulier du français. IDD et TPE s'inscrivent ainsi dans la lignée d'une nouvelle pédagogie qui, toute ronflante de son jargon, a pour moteur un principe constructiviste que la loi Jospin de 1989 a officiellement enraciné dans l'école française : il s'agit pour l'élève de « construire lui-même son propre savoir », principe on ne peut plus inéquitable puisque, ne recevant plus explicitement à l'école les clés que d'autres reçoivent chez eux, les enfants les plus défavorisés par leur entourage culturel se trouvent les plus lésés.

      En ce sens, ces "pédagogistes" (nom que l'on donne aux adversaires de la transmission explicite des connaissances) n'auront pas peu participé à la dégradation récente de l'école, et sont tout aussi coupables que le gouvernement de droite qu'ils s'empressent maintenant d'attaquer pour mieux faire oublier avec quel zèle ils lui ont préparé le terrain. Du reste, les anciens collaborateurs du ministère Allègre poursuivent de belles carrières dans le système éducatif.

      Dans ses voeux pour l'année 2006, M. Meirieu, fidèle à sa ligne, demande d'ailleurs la suppression d'une heure de français et de mathématiques en seconde pour nourrir... les TPE. Toujours moins d'école à l'école, tel est décidément le sempiternel mot d'ordre. On ne saurait mieux favoriser la reproduction des inégalités sociales qu'en donnant ainsi toujours moins à tous, et en particulier à ceux qui ne peuvent compter que sur l'école ; on ne saurait mieux aider un ministre (que l'on prétend combattre !) à supprimer des postes ; on ne saurait mieux contribuer au système libéral qui, dans une continuité traversant imperturbablement les alternances, n'a de cesse de déléguer aux officines privées le soin d'instruire la jeunesse.

      Ce désengagement public va se poursuivre par l'application de la LOLF, Loi Organique relative aux Lois de Finance co-signée en 2001 par MM. Chirac, Jospin et Fabius, votée par tous les groupes parlementaires sauf le PC, et dont la logique, dans le droit fil de l'AGCS, aboutit à livrer au secteur privé un grand nombre d'activités. Ainsi la santé et l'éducation, désormais comprises comme des « services » commerciaux, deviendront payantes et soumises à la concurrence. En même temps, ce qui restera "public" sera géré selon des critères managériaux favorisant la précarité des personnels, et par conséquent la réduction très sensible du nombre des professeurs comme de celui des options offertes aux élèves. La LOLF a en effet elle aussi pour objectif avoué de modifier « les pratiques pédagogiques », et son expérimentation de 2003 à 2005 dans les académies de Bordeaux et Rennes en a montré les méfaits : suppression de nombreuses sections de latin, de grec et d'allemand, et dotation de certains établissements réduite de moitié quand ce ne sont pas des menaces de fermetures d’établissements entiers.

      Alors oui, il nous faut résister, mais en refusant tout amalgame. S'opposer aux mesures Robien, ce n'est pas cautionner les méthodes de lecture dérivées de la globale, qui ont fait la preuve de leur nocivité. Réprouver la précarité ou la bivalence des enseignants, ce n'est pas approuver les IDD ou les TPE. Ce n'est ni renoncer à l'histoire littéraire, ni se plier aveuglément au dogme de la séquence (méthode de montage du cours de français imposée par les programmes de 2002, et qui a laminé la grammaire de phrase, l'orthographe, la conjugaison). Résister, c'est exiger des programmes nationaux proposant des contenus consistants et sérieux (et non des pseudo-méthodes) ; c'est aussi exiger, pour toutes les disciplines, à la fois des moyens horaires décents et une liberté pédagogique réelle au service de ces programmes.

Collectif « Sauver les lettres »

 

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01/2006