Pour une redéfinition des épreuves de français


      - Vos épreuves de français, c’est n’importe quoi ! me disait un collègue en découvrant les notes de sa fille.
      Et je n’étais pas loin de le penser en croisant une ancienne élève, intelligente et travailleuse, qui avait obtenu 16 au commentaire sur ce texte si difficile de 2005, " Réponse à un acte d’accusation ", et seulement 10 à l’oral : Je n’ai pas compris la question.
      On ne peut jeter un regard sur les épreuves de ces dernières années, sans éprouver un sentiment d’accablement ou de révolte, devant les trouvailles de la mystérieuse autorité en charge des épreuves d’examen. La commission des programmes fait très bien son travail ! m’affirmait naguère un inspecteur. Celle des examens aussi, sans doute. En 2004, nous découvrons ce sujet absurde sur le costume de théâtre, qui suppose, non seulement que le candidat a pu voir dans son année un nombre significatif de représentations, mais que doué d’une exceptionnelle mémoire visuelle et verbale, il a pu citer pièce, auteur et metteur en scène. Et pourquoi pas le nom du costumier, ici en première ligne ?
      En 2005 le sujet d’invention sur la chanson de Pierre Perret présupposait une France intolérante et raciste. Le sujet extrait d’ " Un acte d’accusation ", chargé de notes en bas de page, restait incompréhensible à la plupart des candidats. Cette année, en S et ES, le sujet d’invention invitait à se prendre pour Victor Hugo et lui prêter les mots qu’il allait prononcer à la Chambre des Pairs : redoutable honneur ! et quel spectacle que ces copies où l’on découvre que Hugo ne maîtrise pas les règles élémentaires de l’orthographe et de la syntaxe!
      Mais le vrai problème est ailleurs.

      Un des lieux communs que les autorités intellectuelles et syndicales brandissent mécaniquement lorsqu’il s’agit de l’école, au point d’en masquer les véritables défaillances, c’est qu’il nous faut une école plus juste, qui lutte contre les inégalités. Qui dit le contraire ? Nous sommes presque tous issus d’un milieu modeste et nous avons un sens aigu de l’équité. Or nous voyons tomber, de plus en plus souvent, des sujets qui installent la plus flagrante injustice au coeur même de l’examen. En 2002 le commentaire portait sur l’article " Guerre " du Dictionnaire philosophique, présent dans les manuels, et qui avait évidemment été étudié par un certain nombre d’élèves. Cette année, " Gnathon " de La Bruyère, et en série L un extrait du Livre de ma mère d’Albert Cohen, " Ô mon enfance... ", pilier des manuels, des annales, de beaucoup de listes d’oral, et dont le site de l’académie de Versailles proposait par avance un corrigé. De sorte que des candidats qui tiraient là le gros lot se voyaient invités à commenter un texte qu’ils avaient déjà travaillé en classe, révisé, et qu’avec la chance ils allaient peut-être expliquer à l’oral. Vive l’égalité des chances !
      De quelle équité peut alors se prévaloir le correcteur devant des copies dont certaines visiblement inspirées par une autorité compétente ? Comment évaluer les capacités réelles du candidat ? A quelle note se résoudre? Agacement, révolte du correcteur qui voit bien que les dés sont pipés et qui, se drapant de probité, déclare, comme on me l’a rapporté : Si je vois un plan tout fait, je sacque ! Voilà que tout bascule pour le pauvre candidat. Quelle faute a-t-il commise pour mériter tant de rigueur ? Il se croyait chanceux, on lui demande maintenant l’impossible. Quel recours dans cette situation absurde, où il doit aller à l’essentiel en s’interdisant de réutiliser le commentaire, sans doute très judicieux, de son professeur ?
      Chaque année les inspecteurs convoquent les correcteurs et examinateurs pour leur rappeler les règles d’équité qui doivent commander l’épreuve. Que d’instructions tatillonnes pour accompagner la remise des copies et des descriptifs d’oral ! A quoi bon, si une partie des candidats connaît déjà le sujet, et les autres non ?
      Mais ne s’agirait-il pas, comme on l’a supposé, d’une expérimentation de la méthode Antibi, à laquelle, dit-on, on serait sensible au ministère ? Rappelons que la méthode Antibi, du nom de son inventeur, préconise de ne jamais proposer en interrogation ou en devoir que des épreuves déjà données auparavant, afin de créer les conditions de la réussite [1]. Mais alors, comment expliquer la modification apportée à l’épreuve d’oral en 2002 : un texte assorti d’une question afin d’empêcher le candidat de réutiliser le cours du professeur et l’obliger, dans la petite demi-heure de préparation, de construire un plan original, qui réponde à la problématique ? Mission impossible, on le sait bien, sinon pour une poignée de surdoués ou pour ceux que le hasard met devant une question déjà traitée en classe. Egalité des chances, toujours !

      Il serait temps de mettre fin à la confusion et rendre à l’épreuve de français son caractère rigoureux, équitable. Comment ?
      D’abord, poser que les deux parties de l’épreuve doivent être complémentaires et redéfinies dans leurs objectifs : une épreuve écrite reposant sur la capacité à analyser et synthétiser, au besoin assortie de questions qui orientent la réflexion, telle qu’elle est conçue actuellement pour les séries technologiques. Ce ne serait pas scandaleux de l’étendre aux autres sections, afin de rapprocher les exigences et les capacités de la moyenne des élèves. Les jurys d’agrégation se plaignent que les candidats ne savent pas, pour la plupart, construire un commentaire. Comment l’exiger des élèves ? Ces questions renoueraient avec le libellé qui accompagnait le commentaire dans certaines académies (certaines seulement), en précisant que le candidat était libre d’organiser son étude autrement s’il le souhaitait.
      Ce choix de commentaire s’interdirait évidemment les textes canoniques, les textes présents dans les manuels et plus encore dans les annales, corrigées ou non. La littérature française est bien assez vaste pour offrir un choix presque infini de textes riches quoique inconnus des candidats.
      L’épreuve doit enfin prendre la littérature pour ce qu’elle est : un moyen d’expression qui vaut par lui-même, comme tout art, et non une leçon de morale et de citoyenneté, invitation à étaler de bons sentiments.

      Quant à l’épreuve orale, il ne faut pas en faire un doublon de l’épreuve écrite : on ne doit pas demander à un candidat de réaliser, en une demi-heure, à quelques tables du candidat précédent, ce qu’il ne parvient souvent pas à faire en quatre heures de réflexion silencieuse. L’expérience montre d’ailleurs que la plupart des candidats ne dépassent pas cinq minutes d’un exposé qui doit en faire dix. L’épreuve orale est une épreuve qui évalue non la recherche et l’analyse, mais le travail, l’assimilation, les connaissances, une technique qui conduit du commentaire au texte, et inversement, la pratique orale de la langue, la gestion du temps. Epreuve difficile et redoutée de tous les candidats, d’autant que c’est leur première épreuve orale et qu’ils ne bénéficient pas, comme à l’écrit, du temps de la réflexion.
      Il ne faut donc pas que l’on complique cette épreuve en assortissant le commentaire d’une question, souvent très artificielle, étrangère à l’auteur, parcellaire, déroutante, et qui mettrait en péril tout le travail de l’année [2]. Le candidat a appris son cours ? Il a donc travaillé et c’est déjà quelque chose. N’importe quel examinateur fera vite la différence entre le fumiste qui ne sait rien, celui qui se borne à réciter sans trop comprendre et celui qui a bien assimilé le texte. L’entretien de la deuxième partie laisse toute liberté d’approfondir, de prolonger, de vérifier les connaissances, de tester la capacité de réaction du candidat. Sans perdre de vue que l’à-propos n’est qu’une qualité parmi d’autres : Rousseau nous a expliqué que la rapidité, le brillant de la parole ne doivent pas faire illusion, qu’il y a des intelligences lentes et néanmoins profondes, des esprits de l’escalier, des natures impressionnables. Le candidat doit donc pouvoir se rendre à l’épreuve orale avec l’assurance de ne pas tomber dans le piège d’une question ambiguë, sans lien apparent avec l’explication qui a été dispensée en classe, une question qui modifie trop fondamentalement l’approche du texte et en fait presque un texte inconnu.
      Egalité par la nouveauté absolue du commentaire écrit, respect du candidat, du collègue et de leur travail pour le commentaire oral, voilà ce qui doit constituer une épreuve équilibrée, complète, aussi équitable que possible, et qui redonne confiance en l’institution.
      Je n’ai guère parlé que du commentaire, faisant abstraction des deux autres sujets de l’écrit : la dissertation et l’invention. Il y aurait là aussi beaucoup à redire.


Bernard Turpin, professeur au lycée Rotrou à Dreux

1. Voir la contribution Le Système Antibi ou l’école des charlatans.
2. Voir la contribution Plaidoyer pour l’abolition de la question.

07/2007