Le système Antibi ou l’école des charlatans.


      On vient encore d’inventer le fil à couper le beurre. Le nouveau génie s’appelle André Antibi, mathématicien de formation et actuellement directeur de l’Institut de Recherche sur l’Enseignement des mathématiques (IREM) à Toulouse. M. Antibi a de bonnes intentions, comme tout le monde. Il veut que nos élèves soient meilleurs. Jusque là, rien de très original. Mais comment ? Il a son système, un système très simple, qui s’appuie sur un constat des sciences de l’éducation, appelé la " constante macabre " : dans une classe on dénombre inévitablement un tiers de bons élèves, un tiers de moyens, un tiers de mauvais. Mouvement Contre La Constante Macabre, telle est l’appellation du système dont le sigle (MCLCM) semble gravé dans le marbre romain. [1]

      On reconnaît là ce soupçon très bourdieusien selon lequel l’enseignant dispense et reproduit, inconsciemment, des valeurs et des méthodes propres à perpétuer les inégalités et la reproduction des élites. Je ne suis pas chercheur mais je suis prêt à parier que M. Antibi n’a pas vu, depuis longtemps, un paquet de copies du second degré. Il saurait que depuis des lustres nous n’avons plus (sauf peut-être dans quelques paradis que j’ignore) de classes dotées d’un tiers de bons et un tiers de moyens. Cela, c’était l’école de grand-papa, celle d’avant l’essor des sciences de l’éducation. Aujourd’hui, ce que nous cherchons inconsciemment, c’est un petit tiers non pas de bonnes copies, ce serait trop demander, mais de copies auxquelles on accordera simplement la moyenne. Quand vous arrivent de collège des élèves qui ont perdu 800 heures de français par rapport à la génération précédente, qui n’ont fait ni orthographe, ni grammaire dignes de ce nom, dont les lectures ne se sont pas aventurées au-delà de la littérature de jeunesse, quand ils ignorent Thalès, Pythagore et les identités remarquables, quand ils ne savent pas situer Napoléon par rapport à Henri IV, qu’ils confondent les deux guerres mondiales, comment ne seraient-ils pas faibles, très faibles ?

      M. Antibi ne se préoccupe pas de ces misères puisque l’école c’est, dit-il, une question de mentalités. Sa méthode va rendre aux élèves le goût du travail et améliorer sensiblement leurs résultats. Elle est en outre réalisable à court terme, très facile à mettre en place , elle ne nécessite pas de moyens supplémentaires, ne nécessite aucun changement de programme (surtout pas), ne remet pas en cause l’enseignement traditionnel du professeur. Les esprits chagrins diront que tant de promesses, à si bon prix, sentent la supercherie. Il est vrai qu’on ne peut pas être plus consensuel et si cela est bien vrai, pourquoi M. Antibi se défend-il d’instaurer un système d’évaluation miracle ?

      C’est très simple en effet, lisons le Principe de base: une semaine avant chaque contrôle, l’enseignant indique aux élèves une liste de questions traitées en classe (cours, exercices…) portant sur tout le programme du contrôle, en annonçant clairement : " Au contrôle, vous aurez à traiter exactement certaines de ces questions et, sur 4 points sur 20 environ, un exercice portant sur le programme du contrôle et ne figurant pas sur la liste.

      Voilà donc la nouveauté, on fera un contrôle ciblé sur des questions précises. En conséquence de quoi, ajoute M. Antibi, l’élève doit alors prendre conscience que son travail sera récompensé.

      M. Antibi ne nous mentait pas en nous disant que c’est très simple, gratuit et ne remet pas en cause l’enseignement traditionnel du professeur. C’est même tellement simple que c’est ce que tout le monde pratique déjà, depuis des générations. Le professeur de langue dit : L’interrogation portera sur tel ou tel point de grammaire, ou sur les verbes irréguliers. Le professeur d’histoire-géographie dit : Révisez la guerre de 14 pour l’interrogation de la semaine prochaine. Le professeur de français dit : Ayez lu tel livre pour le mois prochain, je ferai un contrôle de lecture. Le professeur de mathématiques fait de même, et souvent il donne dans les jours qui précèdent les mêmes exercices, en changeant seulement les chiffres. Las ! bon nombre d’élèves sont débordés depuis longtemps faute de capacités, faute de travail ou plutôt d’habitudes de travail, faute d’être passés en classe supérieure avec le niveau suffisant. Montrer les objectifs ne sert à rien à qui n’a ni les connaissances, ni les moyens.

      M. Antibi ajoute que les questions doivent bannir les pièges (quels sadiques nous sommes !), que l’élève doit être informé clairement, dans un climat de confiance (nous ne pensons évidemment qu’à le tromper) ; il doit alors comprendre qu’il a intérêt à travailler régulièrement. Belle nouveauté ! Lui dire qu’il doit travailler régulièrement, cela ne nous viendrait pas à l’idée, ni à ses parents. Etablir des contrôles qui lui permettent de réviser régulièrement, cela non plus, nous n’y avons jamais pensé !

      Mais pour son auteur, ce système conduirait à la suppression de l’échec scolaire artificiel. A moins qu’il n’instaure ou plutôt ne généralise la réussite scolaire artificielle. Vers l’an 2000, lorsque fut installée la réforme du Brevet, un de mes anciens collègues me dit : " J’ai hérité de la plus mauvaise classe de troisième que j’aie vue de toute ma carrière. Au premier brevet blanc, deux seulement avaient la moyenne. Mais au deuxième trimestre nous avons appliqué les barèmes de la réforme : plus de la moitié passaient au-dessus de 10. Le niveau monte. "

      Le système Antibi ne procède pas autrement. Il confond, mais sans humour, le niveau et la note. Peut-on seulement affirmer que ces bonnes notes rendent les élèves plus travailleurs ? Lorsque j’ai débuté dans la carrière, je retrouvais dans le bus de Gennevilliers une collègue PEGC qui se vantait d’avoir bénéficié d’une formation pédagogique. Elle travaillait (déjà) par objectifs et pratiquait une pédagogie de la réussite : pas de note inférieure à 15 ou 16. Placé dans l’attitude pascalienne de l’athée agenouillé dans une église, le mauvais élève allait s’élever à la hauteur de ses notes. D’avance, elle s’enthousiasmait à la pensée des résultats. Las ! avant la fin du trimestre ses sanglots résonnaient dans le bureau du principal : elle était à bout, les élèves se montraient odieux, alors qu’elle faisait tout pour les aider !

      On pourrait aussi objecter que la méthode Antibi (ou plutôt la méthode de tout le monde) n’est applicable qu’avec des exercices brefs et très ciblés. Quel programme précis donner pour un commentaire littéraire, une dissertation philosophique, une étude de cas, une synthèse de documents, un essai en langue étrangère ? Que faire quand on attend du candidat l’analyse d’un sujet, l’élaboration d’un plan original, le développement clair, sans charabia, de quelques idées intéressantes ? M. Antibi n’élude pas la difficulté, mais là aussi il se borne à des évidences, qui n’évitent pas la confusion. Pour la dissertation, le contrôle serait constitué de dissertations corrigées par l’enseignant avec la participation des élèves. En quoi cela ferait-il que les dissertations aient été meilleures ? Il propose aussi de donner à l’élève des plans détaillés, et non un corrigé complet. Aucun doute là nous plus, je suis un précurseur du système Antibi.

      On pourrait évidemment rire de cette baudruche qui apparaît au milieu de notre système scolaire comme une étoile en plein jour. M. Antibi nous a au moins appris comment se faire un nom : on s’empare de banalités vieilles comme l’enseignement, on les enveloppe dans une appellation savante [2], et voilà de l’innovation pas chère. M. Antibi s’est expliqué à la radio, à une heure de grande écoute [3]. Sa plaisanterie commence à être prise au sérieux. Elle a, dit-on, l’approbation de plusieurs syndicats d’enseignants, de personnels de direction, d’associations de parents d’élèves. Et même du ministre, tant le pauvre homme se sent désemparé devant la tâche. L’Education est si malade qu’on en est réduit à écouter les charlatans.

Bernard Turpin
Lycée Rotrou, Dreux

1. Pour tout savoir, visitez le site mclcm.free.fr
2. EPCC (Système d’évaluation par contrat de confiance)
3. France Inter, 26 janvier 2006

O3/2006