La raréfaction du latin et du grec dans le secondaire :
une désaffection construite de toutes pièces.


M. Darcos : " Les options qui consistent par exemple en l'étude d'une langue rare, doivent être rationalisées car elles concernent peu d'élèves mais représentent un coût de recrutement très élevé. " (audition des ministres de l’EN par la Commission des finances à l’Assemblée Nationale, le 9 octobre 2003)

 

Le ministère se fonde certes sur des chiffres. Or ces chiffres ne sont pas un constat, mais le résultat d’une désaffection des élèves organisée de longue date par les ministères successifs, par :

  • des horaires systématiquement dissuasifs : le statut d’option de ces matières les fait la plupart du temps rejeter aux marges des emplois du temps (horaire des repas ou dernière heure de cours)
  • des mesures récentes (2002) et mortifères : l’interdiction de faire du latin faite aux élèves des classes CHAM ou des nouvelles sections " bilangues ".
  • l’abandon fréquent du latin dès la classe de 4ème : en raison du flou entretenu dans les textes officiels sur les suivis d’options, les jeunes élèves choisissent souvent le moindre effort (surtout les plus défavorisés, peu soutenus par des familles mal informées des parcours scolaires)
  • la concurrence organisée dès le collège entre le latin (choisi en 5ème) et le grec (accessible seulement en 3ème), la seconde de ces langues se fournissant presque exclusivement, comme il est normal, dans le vivier des latinistes et l’épuisant numériquement de ce fait.
  • la concurrence organisée au lycée entre les options de détermination, et la réduction en seconde du nombre d’options facultatives à une seule (concurrence langues anciennes/langue vivante 3/options scientifiques MPI et ISI/sciences économiques et sociales/histoire des arts/enseignements artistiques conduisant à une filière L – théâtre, cinéma, danse, arts plastiques, musique)
  • les conseils d’orientation donnés aux élèves, proposant aveuglément et systématiquement en seconde le couplage immuable d’options de détermination LV2/SES , alors qu’une fraction seulement des élèves entrera en section ES, et que le couplage LV2/latin ou grec produit des passages satisfaisants en section L – on voit par là que l’effondrement de la filière L est également une construction artificielle.
  • les regoupements de niveaux au lycée (2e et 1ère, ou 1ère et Terminale), rendant l’enseignement difficile, et les élèves déçus.
  • la faible rétribution des langues anciennes au baccalauréat, en dehors de l’épreuve de spécialité de L : quelques points, pour cinq ou quatre années d’étude.
  • la concurrence déloyale, à l’examen, entre langue ancienne et TPE : bouclés en cinq mois et en groupe, ils valent autant à l’examen (coefficient 2) que cinq ans en solitaire de latin ou de grec.
  • Négation ou négligence systématique d’information sur les retombées professionnelles des langues anciennes (enseignement, recherche, archéologie littéraire ou scientifique, médecine et psychiatrie – références mythiques et structurantes)
  • L’argument ministériel de la désaffection n’est donc pas recevable : la demande ne manque pas, mais on la tue dans l’œuf ou à la naissance. Arguer de la " demande sociale " ou de " l’air du temps " n’est pas honnête : qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Arguer d’un résultat que l’on a soigneusement provoqué de longue date, et le confondre avec un constat, n’est pas plus défendable.

    Le rapport Wismann est sur ce point on ne peut plus clair : Les décisions ministérielles récentes en faveur de cet enseignement ou, au contraire, visant à le limiter ont eu un effet immédiat sur l'augmentation ou la diminution du nombre des élèves inscrits. La demande publique n'est donc pas faible, et la marge de manœuvre politique loin d'être restreinte. Les décisions sont efficaces. "


    Agnès Joste

    Entrevue au Ministère de l’Éducation Nationale du 10 mars 2004