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Jean Romain contre l'école de l'abrutissement.

Article paru dans Le nouvelliste du 10 mai 2001 (Suisse)

Jean Romain : Lettre ouverte à ceux qui croient encore en l'école, L'Age d'Homme, avril 2001, 80 p., 20Fr.

Dans un essai visionnaire intitulé L'abolition de l'homme, le grand écrivain et pédagogue chrétien C.S. Lewis prédisait en 1943 le suicide de l'humanité et sa transformation en termitière par la volonté consciente de sa propre élite intellectuelle et scientifique. Son argument clef, il le prenait dans un manuel de textes anglais pour les collèges où, avec les meilleurs intentions du monde, on inculquait aux élèves une conception extraordinairement appauvrie et triviale de l'histoire, de la morale et de la psychologie des hommes. A partir de cet exemple commun, Lewis tirait l'écheveau de toutes les idées qui, de son temps, se liguaient derrière leur apparente diversité pour mener l'âme humaine à l'abattoir.

Ceux que ce désastre ne laisse pas indifférents doivent lire la Lettre ouverte à ceux qui croient encore en l'école de Jean Romain. Après La dérive émotionnelle et Le temps de la déraison**, voici la troisième étape de son exploration du " monde comme il ne va pas ". Il y a une énigme dans l'ascendant qu'a acquis, ces dernières années, ce penseur à la fois subtil et accessible, net dans ses positions et ouvert au débat. Son don d'essayiste, fait de compréhension, de prudence de jugement et d'humanité, lui permet d'aborder sans heurts des sujets qu'on croirait interdits à toute discussion raisonnable. L'école, hélas, en fait partie.
Écrit par un professeur réfractaire, un livre sur l'école annoncerait le règlement de comptes corporatiste. On n'en trouvera pas trace dans ce texte qui a bien d'autres visées. Soulignant d'emblée la gravité du mal, Jean Romain remonte aussitôt à la racine : cette " logique du sabordage " qui consiste " en la collusion de deux idéologies distinctes : d'un côté celle de la froide rationalité de la droite économique, et de l'autre, celle de la gauche, celle de la délégitimation de l'école, remontée du fond des années soixante jusqu'aux bureaux des instances dirigeantes de ce pays toutes deux au service de la conquête et de la conservation du pouvoir ".

Résumons : Constatant qu'il suffit de 15 à 20 % d'individus actifs pour assurer le roulement de la société industrialisée, les libéraux ont décidé de scinder la société en une caste dirigeante bien formée, et une masse dirigée, abrutie par les menus plaisirs de la société de consommation (voire les drogues). Pour " traiter " cette masse de perdition, ils s'en remettent non sans ironie aux " pédagogistes " libertaires de gauche, dont les théories égalitaires aboutissent précisément à ce résultat ! Jean Romain n'est pas le premier à signaler cette collusion paradoxale. Il le fait avec clairvoyance et persuasion, et surtout, il nous donne des raisons et des arguments pour la refuser.
Car il y a dans cette alliance de l'utilitarisme et de l'idéalisme un grand danger d'appauvrissement de l'expérience humaine. Des deux côtés, on semble identiquement ulcéré par le mystère de la personne et l'on s'efforce donc de réduire celle-ci à des composantes calibrées. Aux dépens de tout ce qui fait le sel de notre vie.

" Davos " et " Porto Alegre " ne représentent donc en aucun cas une alternative. Ce sont les deux incarnations contemporaines d'un même processus historique, initié voici plusieurs siècles en Europe et dont les manifestations se font toujours plus nettes : Renaissance, Lumières, Révolution française et pensée industrielle, utopie marxiste russe, national-socialisme allemand, impérialisme mercantile anglo-saxon. Fruit de la liberté apportée au monde par le christianisme, ce titan en est devenu aussitôt l'ennemi juré. Saoulés d'orgueil, persuadés qu'ils pourront enfin contrôler les destinées de l'humanité et du monde, les idéologues se sont mis en tête, bien entendu au nom de la liberté, de transformer la planète des hommes en un astre mort. Ces Procuste se retrouvent aussi bien chez les libéraux de " droite " que chez les libertaires de " gauche ".

On peut comprendre tout cela dans cette Lettre ouverte. Jean Romain y a brossé un état du monde. Non par le bas, à partir des conséquences, comme feraient les sociologues ou les économistes, mais par le haut, à partir des causes (les idées et les aspirations des hommes) comme le fait un philosophe. Aussi, ces quatre-vingts pages lui suffisent à fournir une clef aux dérèglements qui nous hantent : la " mondialisation " économique, la démolition de la médecine et de nos équilibres sociaux, la folie génétique Or, pour faire porter un harnais aussi lourd au bétail humain, il faut l'y acclimater dès l'âge malléable, tout en lui rivant l'œil à l'ornière qui sera la sienne. C'est la tâche que le projet libéral/libertaire a réservée à l'école. Aussi est-ce d'abord à l'école qu'on a une chance de gripper cette pédagogie de l'esclavage.

D'où l'importance de ce plaidoyer qui met en lumière nos craintes obscures et offre aux résistances éparses un généreux point de ralliement !


Antoine Vignerte

* Jacques Michéa, L'enseignement de l'ignorance, éd. Micro-Climats.
** Tous deux aux éditions L'Âge d'Homme.


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