Programmes de français au lycée : une controverse du genre épique

Le Monde de l'éducation, mars 2003


L’un est l’auteur de programmes que l’autre considère comme une " trahison ". Alain Viala a présidé le groupe d’experts auprès du Conseil national des programmes qui a conçu les nouveaux programmes de français en vigueur au lycée aujourd’hui. Agnès Joste est professeur de lettres au Havre et membre du collectif Sauver les lettres. Débat.

Alain Viala, spécialiste de l’histoire de la littérature, est professeur à l’université de Paris III - Sorbonne nouvelle et titulaire d’une chaire d’études françaises à l’université d’Oxford. Agnès Joste, professeur de lettres au Havre, a publié récemment un ouvrage sur, ou plutôt contre, les nouveaux programmes du français au lycée dont Alain Viala a été le principal auteur.

 

Le Monde de l’Education. Qu’est ce qui vous oppose ?

Agnès Joste : Ce qui me sépare d’Alain Viala, c’est d’une part le souci des élèves, d’autre part celui de la démocratisation. La réforme des programmes a brouillé les cartes, tant pour les enseignants que pour les élèves. Ces programmes, tels qu’ils se présentent aujourd’hui, comprennent, selon les séries, dix ou douze objets d’étude, chacun portant sur des notions relativement complexes, voire extensibles à l’infini. L’élève est placé devant un programme proliférant et très difficile à maîtriser. Quand on ouvre trop un programme, on ne parvient plus à définir des priorités. Or, notre travail est de guider les élèves. La démocratisation est en cause du fait qu’en jouant sur l’implicite, ces programmes favorisent ceux qui, de par leur milieu familial, possèdent déjà des clés, et défavorisent les autres.

Alain Viala : Sur le plan personnel, rien ne m’oppose à ma collègue Agnès Joste, que je rencontre ici pour la première fois, mais qui, dans son livre, emploie un ton… Passons. Puisque nous débattons sur les nouveaux programmes, quelle était la situation auparavant ? Il régnait le sentiment très fort que quelque chose n’allait pas. Les précédents programmes, de 1986-1988, n’indiquaient pas de nettes priorités, ne comportaient pas de liste où l’on puisse compter, comme vous l’avez fait, le nombre d’objets d’étude. Nous avons changé certaines orientations. Mais il n’y a aucune prolifération. Quant à la démocratisation, j’y suis très attaché, comme produit de l’école laïque et des bourses. Une de ses conditions est l’existence d’un débat. Or, il n’y a guère eu dans le siècle écoulé autant de discussions qu’aujourd’hui sur les contenus d’enseignement.

A.J. Il faut donner aux élèves des points d’ancrage dans les textes, des moyens de les analyser. Je suis opposée à l’impressionnisme qui a prévalu longtemps. Mais le plus important est de faire accéder les élèves aux œuvres, et le problème des programmes est qu’ils proposent de faire entrer toute la littérature dans des genres et des registres. Les élèves doivent acquérir des notions génériques dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas et qu’ils ont tendance à apprendre par cœur. Après, ils voudraient que les œuvres y correspondent. Or, toutes les œuvres majeures dépassent ces catégories ou les remettent en cause. Je partage l’analyse de Tzvetan Todorov qui, à propos des programmes, relevait qu’on devrait choisir entre enseigner une discipline et faire connaître les objets de la discipline. Le travail du professeur est de faire connaître les objets de sa discipline : les œuvres ! Faut-il transformer les élèves en petits théoriciens de la littérature, alors même qu’ils n’ont pas toujours la maîtrise de la langue ?

A.V. Sur l’entrée par les registres, laissons répondre Victor Hugo. Quand, dans la préface de Cromwell, il réfléchit sur la littérature, il dit qu’elle est une expression des rapports de l’homme au monde. Et il en retrace une histoire, qu’il fonde sur trois temps forts : le lyrique, l’épique, le pathétique. Lorsqu’on étudie une œuvre, on fait nécessairement intervenir toute une série d’éléments de réflexion sur ce rapport au monde, et les programmes mettent ensemble, effectivement, des éléments de réflexion et des œuvres. Parlons aussi du tragique ! Les journaux utilisent ce terme pour évoquer des événements d’aujourd’hui. Par ailleurs de très grandes œuvres sont des tragédies ou des histoires tragiques. Sans doute existe-t-il une relation essentielle, à travers les œuvres, à cette perception du monde qui est le tragique. Et connaître seulement les œuvres ne peut pas être une fin en soi. D’abord, cela supposerait que l’œuvre soit coupée de tout. Ensuite, on ne peut pas les enseigner toutes. On est obligé de choisir, en fonction de certains critères, qui permettent justement aux élèves de construire leur pensée, autour de ces catégories où les arts, la philosophie et l’histoire dialoguent. Nous donnons aux élèves l’accès à des textes, et par ces textes à des catégories de pensées. C’est assez limpide.

On nous demande de ranger les œuvres dans des catégories, mais l’étude fine du texte disparaît. Il suffit qu’il corresponde à la catégorie étudiée. Par exemple, dans le roman, on observe le fonctionnement narratif et on oublie d’étudier de près la matière même du texte, son tissu qui est la langue. Ou bien, on demande à l’élève si les contraintes formelles sont respectées dans un sonnet. Peu importe la sensibilité qui s’y exprime ! De cette façon, on coupe les élèves de la lecture.

Mais ces catégories ne font-elles pas obstacle à l’accès aux œuvres ?

A.V. La fin du livre d’Agnès Joste comporte, sur une quinzaine de pages, certaines propositions. Et qu’y vois-je ? Des catégories ! Le classique, le baroque, le romantisme, etc. Donc, la question n’est pas la présence de catégories. Quelle que soit la discipline considérée, penser, c’est nécessairement faire intervenir des catégories. On peut discuter, ensuite, sur celles que l’on met en avant ou que l’on laisse au second plan. Corneille soutenait, en tête de la publication de ses œuvres, que ce domaine échappe aux dogmes de la religion et aux principes de la logique. Donc tout est matière à discussion. Je maintiens que, pour des élèves qui rencontrent chaque jour des termes tels que le tragique, le polémique - un genre qui leur permettrait de mieux comprendre ce qui se passe dans un texte comme le vôtre, chère collègue - ces catégories sont nécessaires. Notre rôle est de leur permettre de mieux saisir les termes avec lesquels ils vivent, ils pensent, de donner des mots à ce qu’ils éprouvent. C’est dans cet esprit qu’ont été faits les programmes.

A.J. On nous demande de ranger les œuvres dans des catégories, mais l’étude fine du texte disparaît. Il suffit qu’il corresponde à la catégorie étudiée. Par exemple, dans le roman, on observe le fonctionnement narratif et on oublie d’étudier de près la matière même du texte, son tissu qui est la langue. Ou bien, on demande à l’élève si les contraintes formelles sont respectées dans un sonnet. Peu importe la sensibilité qui s’y exprime ! De cette façon, on coupe les élèves de la lecture. Et un des grands problèmes que posent ces programmes, c’est leur aboutissement, donc l’épreuve anticipée de français (EAF) au baccalauréat. Bien sûr, il faut donner des outils aux élèves pour maîtriser le sens. C’est précisément ce qui les intéresse : l’accès au sens et aux visions du monde. Mais au bac, on ne leur demande de parler que de technique. Les catégories ont envahi les programmes, qui ne comportent même pas de noms d’auteurs. Il devient difficile d’étudier des thèmes. Les œuvres et le sens sont effacés. Et au bac, les élèves se trouvent devant des épreuves insurmontables. Je prends l’exemple d’un sujet de dissertation : il leur était demandé, dans une question entièrement technique, si les contraintes formelles étaient un obstacle à l’expression libre du poète. L’élève doté d’un peu de sensibilité, heureux d’avoir d’étudié la poésie, était absolument saisi de voir que rien, du sens qui avait pu l’intéresser, ne pouvait apparaître dans son devoir.

A.V. Je ne me suis pas responsable des sujets d’examen ! Je ferais quand même une remarque : depuis aussi longtemps que l’on réfléchit sur la poésie, donc à peu près depuis qu’il y a des poètes, des gens se demandent si elle est avant tout une forme spécifique ou bien l’expression d’un moi. Alors, peut-être le sujet était-il mal formulé ? Il amenait quand même à une question importante, qui n’est d’ailleurs pas technique. D’autre part, vous dites qu’il n’y a pas de thèmes dans les programmes. Mais les œuvres y sont présentes ! Des listes en sont données dans les documents d’accompagnement. On dit, par exemple : étudiez une tragédie, faites au moins la lecture d’une autre à vos élèves pour qu’ils puissent comparer, et étudiez des extraits d’autres tragédies. Les œuvres sont la matière même ! Simplement, on invite le professeur à montrer, par exemple, qu’il existe la tragédie, qui est un genre, et le tragique qui est un rapport au monde. Ce n’est en opposition ni avec le sens, ni avec l’étude fine des textes. Et cela n’enferme pas non plus l’enseignant puisqu’il garde le choix des œuvres. Imposer une liste sans laisser ce choix serait très dangereux. Les programmes laissent l’initiative au professeur et donnent aux élèves des notions qui sont, non pas des opinions, mais des catégories de pensée. Beaucoup d’entre eux, après le lycée, ne feront plus jamais de littérature. Il faut donc les amener aux catégories et aux notions fondamentales pour qu’ils puissent, dans leur vie, les avoir à leur disposition.

Les œuvres sont présentes, et le contact avec elles se fait par l’intermédiaire du professeur. Où est le problème ?

A.J. Le problème, c’est celui de l’examen.

A.V Alors ce n’est plus celui des programmes.

A.J. Mais vous avez vous-même étroitement lié les deux questions ! Vous avez vous-même répété que vous vous étiez démené, c’est votre terme, pour verrouiller les épreuves. Vous ne pouvez pas ensuite vous dédouaner.

A.V. Il me semble que c’est la règle du jeu. Un examen porte sur un programme. Le problème est peut-être dans l’utilisation qui est faite des catégories proposées.

A.J. Mais comme l’entrée dans le programme est par genres et registres, l’examen sera sur le même modèle ! On le voit très bien à la correction de l’examen. En corrigeant un commentaire composé, j’ai trouvé des dizaines de copies qui ne disaient rien du texte.

Il ne s’agit pas d’éloigner les élèves de la littérature, mais au contraire de leur permettre d’entrer pleinement dans les œuvres, à travers des regards et des sensibilités qui les mènent à interroger leur propre relation au monde.

A.V. Comment peut-on construire le commentaire d’un texte sans dégager ses caractéristiques et le situer par rapport à un cadre générique ? Sans dire, par exemple, que tel texte qui a l’apparence d’une nouvelle est, en fait, un apologue, ou que tel autre a l’air d’être humoristique mais qu’il est en réalité ironique et désespéré ? Comment peut-on commenter sans faire intervenir de telles catégories ? De plus, on ne peut pas le faire sans avoir compris quelle histoire est racontée et sur quel mode, sans passer par une étape de compréhension littérale du texte. Et cela, ce n’est pas une affaire de programme, mais de travail et de préparation en classe. Il ne s’agit pas d’éloigner les élèves de la littérature, mais au contraire de leur permettre d’entrer pleinement dans les œuvres, à travers des regards et des sensibilités qui les mènent à interroger leur propre relation au monde.

A.J. Pour enseigner aux élèves tout ce qui correspond aux genres et aux registres avec un nombre d’objets d’étude extrêmement important, on doit passer beaucoup trop vite sur les œuvres. On nous demande d’y consacrer dix à douze heures, alors que les élèves ont besoin de beaucoup plus pour les comprendre. D’autre part, l’utilisation des genres et des registres a tendance à effacer ce qui ne s’apparente pas à la transmission d’un message. Un manuel de seconde publié après la parution des programmes met en équivalence une lettre d’un responsable de vente par correspondance et une lettre de Madame de Sévigné. C’est le genre épistolaire ! De ce fait, le travail sur la langue de Madame de Sévigné est évacué. Entrer dans la littérature par les genres efface la référence à la langue.

L’apparition d’un nouveau type de sujet, au bac, a été très commentée…

A. J. : On appelle cela " sujet d’invention ", alors qu’il n’a strictement rien à voir avec l’invention. C’est un sujet infaisable, donc absolument antidémocratique, qui dissout tous les critères, et produit à l’examen des résultats catastrophiques. Je prends un exemple réel : un sujet donné au bac, à partir d’un texte de Rousseau, où il se jette aux pieds de madame Basile. L’élève doit rédiger la lettre que cette dame va écrire à son amie, lui racontant à son tour cette scène. Il est censé imaginer les émois sensuels d’une femme de trente ans. Que va-t-il écrire, avec quelle langue ? S’il s’agit d’une lettre à une amie, il sera tenté d’utiliser un mode familier. Sur quelles bases va-t-on corriger sa copie ?

A.V. : Il me semble important que les élèves apprennent à manier des notions telles que trouble, émoi, désir, pulsion… Ce sont des mots essentiels, que chacun doit conquérir. On peut le faire de deux façons, et il n’y a aucune raison d’en exclure une : externe, lorsqu’on tente de les définir, et interne, lorsqu’on essaie de les utiliser soi-même. C’est le principe même de l’écriture d’invention. Celle-ci est essentielle pour l’accès à la langue. Je constate aussi qu’elle reçoit dans la pratique l’adhésion de très nombreux professeurs et suscite l’attention d’écrivains qui s’intéressent à la littérature vivante.

A.J. : Faute de tout critère objectif, ce type de sujet permet d’introduire la " citoyenneté " dans les programmes de français. On instrumentalise la littérature à des fins sociales pacificatrices. Lorsqu’on demande, c’est encore un vrai sujet du bac 2001, de faire le discours de nouvel an d’un chef d’Etat exposant "les raisons d’espérer en un monde meilleur ", il ne peut y avoir aucune perspective contradictoire ! On est dans le consensus obligatoire.

A.V. : J’assume les programmes, donc l’écriture d’invention et le fait qu’on la propose aux élèves. Je n’endosse pas la responsabilité de tel ou tel libellé de sujet, qui peut être bien, moins bien… ou franchement mauvais. Et je conteste absolument la notion de consensus obligatoire.

La littérature exprime aussi bien du consensus que de la rébellion. Notre devoir d’enseignants est d’en informer les élèves et de leur donner les moyens de construire leur réflexion. Une des finalités les plus clairement énoncées dans les programmes est d’amener les élèves à la capacité de délibérer, donc de prendre en considération une diversité d’éléments, d’arguments, éventuellement contradictoires, et d’opérer un choix. Cette démarche est l’un des éléments nouveaux des programmes et l’un des plus fortement soulignés.

 


 

Le nouveau bac de français : peut mieux faire

L’introduction d’un exercice d’imagination et la modification des épreuves orales du baccalauréat ont, semble-t-il, provoqué une baisse sensible des notes de la session inaugurale. Le ministère tempère…

 

Le baccalauréat approche. Pour les élèves de terminale, sans doute, mais aussi pour les élèves de première, qui passent en même temps que leurs aînés des épreuves anticipées. Depuis 1969, c’est le cas du français.

Depuis le 23 janvier, les enseignants savent enfin quelle forme prendra l’évaluation cette année. Les inspecteurs pédagogiques régionaux avaient diffusé l’information oralement, mais les enseignants attendaient confirmation par le Bulletin officiel. C’est chose faite et ils peuvent désormais préparer leurs élèves à l’examen. Un nouvel examen? Pas vraiment, puisque seules quelques modifications ont été apportées à la formule 2002 qui, elle, proposait une véritable révolution. Pour la première fois depuis des décennies, un exercice d’invention, à côté de la dissertation et du commentaire, était proposé. Quant à l’oral, il a aussi fait peau neuve en 2002. Une épreuve lourde en préparation pour les examinateurs, qui devaient poser à chaque élève une question portant sur une partie d’un texte vu dans l’année et une question plus large orientant la deuxième partie de l’oral sous forme d’entretien... Les ajustements 2003 suppriment cette seconde question et réduisent le temps de préparation du candidat à trente minutes au lieu de quarante. Réforme jugée nécessaire mais non suffi-sante par les voix qui se font entendre. Difficile de se faire une idée sur ces modifications et les critiques qu’elles suscitent déjà, sans un bilan de la session 2002. Et c’est là que le bât blesse...

Nous disposons aujourd’hui d’éléments officiels très partiels. L’inspection générale a procédé à un audit sur l’oral dans quatre académies. Rendu public en décembre (1), le rapport a directement inspiré les modifications pour l’épreuve de 2003. Mais l’inspection générale n’a pas jugé bon de faire la même chose sur l’épreuve écrite. Son bilan de l’écrit se limite aux idées suivantes : " Les moyennes nationales sont comparables à celles des sessions précédentes sur l’oral et sur l’écrit ", souligne la doyenne du groupe des lettres, Katherine Weinland (2). Selon elle, l’essentiel n’est pas là mais dans le nouvel équilibre entre les trois sujets proposés au choix à l’écrit. "Alors que la dissertation était en train de passer en dessous des 10%,nous notons une remontée sur cette session, puisque entre 12 et 13% des candidats l’ont choisie", ajoute-t-elle. Le reste des élève se serait partagé à égalité entre l’écriture d’invention et le commentaire de texte (2).

Tout irait donc pour le mieux si les remontées du terrain allaient dans le même sens. Mais celles dont nous disposons infirment ces conclusions ministérielles ou les nuancent largement. Elles sont le fait d’enseignants, de parents et d’élèves. L’AFEF, association des professeurs de français, a fait une enquête auprès de 250 de ses adhérents (3) et conclut que la session 2002 mériterait le commentaire " peut mieux faire "... Hors associations et hors syndicats, des enseignants comme Marie-Noëlle Desbats-Hérault manifestent leur désarroi. " Bien sûr que, les années précédentes, certains de mes élèves avaient de mauvaises notes. Mais pas l’humiliation de notes en dessous de 6... Que dire de cet élève qui a obtenu 1 sur 20 à l’oral ? J’ai été très sérieusement déprimée, car je suis très attachée à la réussite de mes élèves et à l’image qu’ils conserveront des lettres... Et puis je me sens désarmée car j’ai le sentiment que mes collègues et moi-même avons été très vigilants tout au long de la préparation des candidats ; l’inspecteur pédagogique régional nous a même confortés dans l’idée que nous devions travailler ainsi... "

"Alors que la dissertation était en train de passer en dessous des 10%,nous notons une remontée sur cette session, puisque entre 12 et 13% des candidats l’ont choisie",

A Louis-le-Grand, ce sont les parents qui se désolent. Les 246 élèves de première scientifique se retrouvent avec un moyenne de 10,8 à l’écrit et de 12 à l’oral Une moyenne qui, cette année, les situe loin derrière les élèves d’Henri-IV avec lesquels ils sont d’ordinaire au coude-à-coude. Bien sûr, ils décrocheront tout de même leur sésame pour l’enseignement supérieur, mais ils risquent de se voir refuser les classes préparatoires qu’ils convoitaient... Et puis, 25 malheureux candidats venus d’un établissement un peu moins prestigieux et mélangés dans les mêmes jurys ont subi la même correction et s’en tirent, eux, avec 5,4 de moyenne à l’oral et 7,6 à l’écrit... A Mantes-la-Jolie (Yvelines) des parents ont demandé, en vain, l’annulation d’une épreuve pour des raisons très voisines... Difficile de savoir s’il s’agit de cas isolés, de jurys sévères ou si les nouvelles épreuves (et plus particulièrement l’oral) plaçaient trop haut les attentes. La nouvelle épreuve anticipée de français est-elle moins juste que la précédente?

"Les élèves à qui j’ai fait passer l’épreuve n’ont pas préparé l’entretien, mais ont consacré leur quarante minutes à l’explication de texte. Or chacune des parties devait être notée sur 10... "

D’ailleurs peut-il y avoir une évaluation "juste"? Un contrôle continu le serait-il davantage?

De l’autre côté du bureau, puisqu’il était correcteur en Seine-et-Marne, Jacques Vassevière reconnaît qu’il a mis des notes moins bonnes que lors des sessions précédentes. "Les élèves à qui j’ai fait passer l’épreuve n’ont pas préparé l’entretien, mais ont consacré leur quarante minutes à l’explication de texte. Or chacune des parties devait être notée sur 10... A cela s’ajoute le fait que si je me réfère aux consignes, ceux qui récitaient se voyaient attribuer une mauvaise note... Résultat, j’ai mis une moyenne de 7 sur 20 aux oraux... Quant à l’écrit, j’ai dû mettre des 1 et des 2. Un seul 17, alors que d’ordinaire je n’hésite pas lorsqu’une copie est bonne. Dans mon paquet de copies, j’ai noté un déséquilibre en faveur de l’écriture d’invention. Un sujet faussement facile pour lequel les élèves que j’ai corrigés semblaient mal préparés ". A l’inspection générale, on réaffirme que les notes de l’épreuve anticipée de français sont provisoires et qu’elles pourront être relevées par le jury de terminale qui, lui, disposera du livret scolaire de l’élève.

Le mécontentement s’est surtout focalisé sur l’oral, mais des plaintes se sont aussi fait entendre sur l’écriture d’invention. " Si une petite majorité se montre déçue par les modalités actuelles de l’écriture d’invention, orienté vers l’argumentation, qui paraissaient trop restrictives et conventionnelles, si certains soulignent les difficultés d’évaluation, une très grand majorité des réponses attestent que le présence de l’écriture d’invention à l’examen a enrichi les activités d’écriture en classe", résume l’enquête de I’AFEF. Dans le numéro 2 de novembre 2002 de la Nouvelle revue pédagogique, Corinne Abensour, rédactrice, estime de son côté - à partir d’une enquête - que " se dérobant à tout apprentissage construit", le sujet d’invention apparaît "peu démocratique dans le mesure où il requiert une bonne culture générale". C’est aussi le reproche que le SNES(4) fait à ce type d’exercice. Ce qui autorise à se demander ce qu’on évalue au bac. Le travail d’une année, des compétences particulières ou une culture générale ? Mais si le syndicat majoritaire s’est abstenu de voter lors du passage au CSE du 20 décembre dernier du texte modifiant l’oral, il n’est pas leader de la contestation. Depuis la mise en place des nouveaux programmes de français au lycée, c’est le collectif Sauver les lettres qui mène la grogne (voir le débat entre Agnès Joste et Alain Viala page 46).

Qui croire donc? Les protestataires ou le ministère, qui assure, par la voix de Katherine Weinland, que les récriminations arrivées sur son bureau sont moins nombreuses que lors de la session 2001 (il s’agissait encore des épreuves ancienne formule) ? Impossible de trancher. Tout ce remue-ménage n’est pas sans poser un nouvelle fois bien des questions sur le baccalauréat. Peut-on changer les épreuves aussi radicalement ou faut-il avancer à petits pas? Réponse de l’inspection générale sous forme de question et de conclusion " Cette nouvelle évaluation s’inscrit dans le sillage des nouveaux programmes. Et fallait-il jouer l’immobilisme alors que le baccalauréat littéraire attire moins de 10% des candidats aux bacs? N’y avait-il pas urgence à faire vivre la littérature?"

Maryline Baumard

(1) Impossible malgré des demandes appuyées et réitérées d’obtenir ces notes auprès des services du ministère.
(2) Katherine Weinland précise que les données dont elle dispose ne portent que sur quelques académies.
(3) Le compte rendu est disponible sur le site de l’AFEF: www.afef.org
(4) www.snes.edu/observ/spip/article.php3?id_article=23

04/2003