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Philippe Meirieu : "Oui, je me suis trompé"


Philippe Meirieu, directeur de l'INRP (Institut national de la recherche pédagogique), est un personnage clé de l'Education nationale. C'est lui que Claude Allègre a choisi pour inventer le " lycée du XXIe siècle ". Considéré comme le hérault du " pédagogisme ", il fait l'objet de nombreuses critiques. Il répond ici à ses détracteurs.

Le Figaro Magazine - On vous reproche souvent d'être l'un des principaux responsables de la déliquescence de l'école…

Philippe Meirieu - Je ne me sens pas visé par les attaques contre le pédagogisme. On a mal lu ce que j'ai écrit. Je n'ai jamais prétendu qu'il fallait abolir la culture. Au contraire, je me bats pour faire accéder tous les jeunes à la culture. Ce que nous disons, nous pédagogues, c'est que l'apprentissage ne se décrète pas. Il ne suffit pas d'affirmer que les élèves doivent lire Eschyle pour qu'ils le fas-sent. Le travail du pédagogue est de faire en sorte que les savoirs soient désirés, Chacun sait que, à handicaps socio-culturels identiques, il y a des pédagogies qui sauvent et d'autres qui enfoncent. Nous voulons développer celles qui sauvent.

On accuse les pédagogues d'avoir détruit l'école dite " réactionnaire " de Jules Ferry pour des motifs idéologiques…

Soyons clairs : l'école de Jules Ferry a été créée après 1870. à un moment où il fallait éradiquer les patois et imposer le français ; à un moment où il fallait une armée unie pour reprendre l'Alsace-Lorraine et mener des guerres coloniales. Les temps ont changé. Aujourd'hui, l'école doit remplir une double mission : primo, la transmission des savoirs fondamentaux qui, c'est vrai, ne sont plus transmis ; secundo, la formation de la personne, afin d'éviter la généralisation de la violence comme mode d'expression. Ce qui caractérise un certain nombre de jeunes, c'est que, lorsqu'ils ne sont pas d'accord, ils tapent. Or la spécificité de la démocratie, c'est de discuter en cas de désaccord plutôt que de recourir à la force.

Concrètement, que proposez-vous pour lutter contre cette violence ?

Il y a d'abord la répression. Je pense qu'il faut sanctionner tout ce qui relève du code civil. Mais il faut aussi des outils de formation. L'un des problèmes du collège, c'est que les professeurs ont tous des exigences différentes. Certains sont plus répressifs, d'autres plus permissifs. Cette différence d'approche de la discipline est déstructurante pour l'élève. Il faut que les professeurs définissent une seule règle qui s'impose à tous.

Le niveau des élèves est en chute libre. N'est-ce pas le résultat de trente ans d'errements pédagogiques ?

Je suis assez d'accord pour reconnaître que le niveau a baissé dans de nombreux domaines, comme l'orthographe ou l'histoire. Personnellement, je milite pour la revalorisation absolue de l'écrit, qui est en désuétude. Mais je souhaite rappeler une chose : l'école de Jules Ferry n'était pas confrontée aux mêmes difficultés. Elle n'a jamais eu affaire à une population hétéroclite., avec un pourcentage significatif d'enfants d'immigrés, avec un environnement très défavorable (je pense au rôle nocif de la télévision). La situation actuelle est inédite.

Il est un peu facile d'incriminer la télévision. L'école a tout de même sa part de responsabilité.

Oui, bien sûr. L'école n'a pas su s'adapter aux défis modernes, au nouveau contexte. L'inculture historique des élèves, par exemple, est scandaleuse. En revanche, je conteste certains chiffres, comme les 40 % d'illettrés recensés en France par l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Si l'on prend une classe de sixième, disons qu'il y a 10 % d'enfants qui ne maîtrisent pas la langue. Évidemment, c'est 10 % de trop.

Que faire pour y remédier ?

Dans mon dernier livre, Des enfants et des hommes (ESF éditeur), je plaide pour l'étude systématique de la littérature classique. C'est la culture fondamentale de l'humanité. Je n'ai pas toujours pensé comme ça, je le reconnais. Les pédagogues. dont je fais partie, ont commis des erreurs. Il y a quinze ans, par exemple, je pensais que les élèves défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d'emploi d'appareils électroménagers plutôt que dans les textes littéraires. Parce que j'estimais que c'était plus proche d'eux. Je me suis trompé. Pour deux raisons : d'abord, parce que les élèves avaient l'impression que c'était les mépriser ; ensuite, parce que je les privais d'une culture essentielle. C'est vrai que, à l'époque, dans la mouvance de Bourdieu, dans celle du marxisme, j'ai vraiment cru à certaines expériences pédagogiques. Je le répète, je me suis trompé.

Vous admettez donc que l'école actuelle paye les expériences postsoixante-huitardes ?

Possible. Il y a des gens qui se sont parfois entêtés dans des voies qui n'étaient pas les bonnes.

PROPOS RECUEILLIS PAR J.-L. T.

Le Figaro magazine, samedi 23 octobre 1999

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