Le "ludique" en question

Au début du Satiricon de Pétrone (1er siècle ap. J.C.), Encolpe s'en prend vivement au professeur d'éloquence Agamemnon dont les méthodes pédagogiques, comme celles de ses collègues, lui paraissent aussi grotesques qu'inefficaces. Agamemnon laisse patiemment passer l'orage avant de lui répondre en ces termes :

« Jeune homme, puisque tes propos s'écartent manifestement de la mode actuelle et que, fait rarissime, tu aimes le bon sens, je vais te dévoiler les secrets de notre profession. En réalité, la responsabilité des maîtres n'est aucunement engagée dans le choix de ces exercices, pour la bonne raison que, ayant affaire à des fous, ils sont bien forcés de déraisonner. Si en effet leurs cours ont le malheur de ne pas plaire aux jeunes, ils risquent de se retrouver, comme dit Cicéron, " tout seuls dans leurs écoles ". Regarde les flagorneurs dans les comédies : quand ils guignent un repas chez les riches, il s'évertuent à tenir les propos qu'ils jugent les plus aptes à séduire l'auditoire, car pour ne pas rentrer bredouilles, il faut qu'ils fassent tomber les oreilles dans leurs pièges. Le professeur d'éloquence est logé à la même enseigne : s'il n'a pas, comme les pêcheurs, garni son hameçon de l'appât qui fera mordre le petit poisson, il végétera sur son rocher sans aucun espoir de prise.

Que faut-il en conclure ? Que ce sont les parents qui sont à blâmer, eux qui refusent de voir leurs enfants progresser sous des méthodes sévères [...] Cette éloquence dont ils claironnent partout la grandeur, ils veulent l'ajuster à une taille de nourrisson. S'ils les laissaient faire ces études progressives qui permettent aux élèves appliqués de s'imprégner de lectures sérieuses, de régler leurs impulsions sur les préceptes des philosophes, de corriger leur style avec une rigueur inflexible, d'écouter patiemment les modèles dont ils voudraient s'inspirer, de ne plus béer devant des enfantillages, le noble art du discours retrouverait vite sa grandeur et son autorité.»

Taisez-vous, Pétrone ! Les élèves ont changé.

Michel Leroux, Instituteur des lycées.

04/2010