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"Son pair ne pensé pas à lui et sa maire ne l'aimait poing"

Le Monde, vendredi 7 juillet 2000, article en une


Stéphanie Le Bars


CONVOQUÉ à l'épreuve de français du brevet national des collèges, Victor Hugo aurait sans doute rêvé meilleur traitement. Non pas parce que quelques lignes sur Gavroche ont servi de support à la dictée proposée aux élèves de troisième des académies de Paris et d'Ile-de-France : l'hommage de l'éducation nationale aux grands auteurs est classique. Mais parce que les conditions de correction instaurées cette année permettaient de belles entorses à la langue française.

Pour la première fois, les élèves étaient évalués sur douze mots-cibles répartis dans un texte de six lignes. Il leur suffisait donc d'orthographier correctement des mots tels que mais, à, aimait, pitié, orphelins... pour engranger un demi-point par mot. Toute autre faute d'orthographe ne pouvait pénaliser les élèves que de deux points au maximum, l'épreuve étant notée sur six. En poussant le bouchon un peu loin, comme l'a fait le Collectif anti-Allègre, toujours actif sur Internet, un texte écrit phonétiquement pouvait prétendre à un honorable 4 sur 6 (sur 40 points pour l'ensemble des épreuves de français).

Ce score aurait donc pu saluer un caricatural "torchon", fourni par les membres du collectif: "Pour temps il avait un paire est une mer. Mais son pair ne pensé pas à lui et sa maire ne l'aimait poing. S'étaient un de ses enfants digneux de pitié entre tous ki ont perd et mère ait qui sont orphelins…" Jusqu'en 1999, l'orthographe des collégiens était évaluée sur un texte deux à trois fois plus long et qui, de l'avis général, comportait un niveau de difficulté acceptable. Les changements intervenus "ont tendance à positiver" l'épreuve d'orthographe, "seul exercice où l'on ne peut que perdre des points", rappelle un prof de français.

Une autre partie de l'épreuve de français a fourni aux enseignants un motif d'inquiétude sur le niveau scolaire exigé des collégiens. Il leur était demandé de mettre au présent les verbes d'un texte conjugués à l'imparfait, "un exercice digne de l'école primaire", selon un enseignant de français. "Ces contenus pédagogiques sont stupéfiants pour juger des élèves candidats à l'entrée au lycée", estime un correcteur du brevet, pour qui "la maîtrise de la langue écrite par les élèves décroît, alors on casse le thermomètre". Seule la rédaction sur un sujet imposé a conservé, aux yeux des profs de français, un niveau digne d'une fin de ,planté obligatoire. Mais, là encore, afin de ne pas pénaliser les élèves, deux points maximum peuvent être soustraits à la note finale (sur quinze) lorsque la copie, d'une trentaine de lignes, est truffée de fautes.

Localement, l'exaspération du corps enseignant a été attisée par les traditionnelles "consignes de tolérance" fournies par certains rectorats pour "maintenir ou améliorer les résultats". En réaction, une soixantaine de profs du Val-d'Oise ont décidé d'attribuer la moyenne à toutes les copies. Réquisitionnés en début de semaine pour recorriger les copies, ils s'y sont pliés, "dans l'intérêt des élèves". L'an dernier, les trois quarts des collégiens ont obtenu leur brevet. Un examen qui ne conditionne en rien la suite de leur parcours scolaire.


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