Le pédagogiste ou l’homme de bien

 

Dottor, Commedia dell Arte     
Dottore, Commedia dell Arte.

1/01/2004

L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d'homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu'on puisse jouer aujourd'hui, et la profession de pédagogiste a de merveilleux avantages. C'est un art de qui l'imposture est toujours respectée ; et quoiqu'on la découvre, on n'ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des enseignants sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l'hypocrisie des soi-disant pédagogues est un vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d'une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les jette tous sur les bras ; et ceux que l'on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers et appuient aveuglément les singes de leurs actions.

Combien crois-tu que j'en connaisse qui, par ce stratagème, ont redonné  à un enseignement vide et ennuyeux un faux lustre tout d'ostentation, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion de l'élève au centre, et, sous cet habit respecté, ont la permission d'être les plus mauvais professeurs du monde ? On a beau savoir leurs intrigues et les connaître pour ce qu'ils sont, ils ne laissent pas pour cela d'être en crédit parmi les gens ; et quelques baisements de pantoufle doctrinale, un soupir de compassion pour les élèves en réussite différée, deux citations de Meirieu, l'emploi immodéré des mots  " objectifs ", " séquences "  et  " pluridisciplinaire " rajustent dans le monde tout ce qu'ils peuvent faire.

Un collègue me disait tantôt :

-- " C'est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j'aurai soin de me cacher et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin, c'est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m'érigerai en censeur des actions d'autrui, jugerai mal de tout ceux qui prétendent " transmettre des connaissances ", les taxerai de conservateurs. Je n'aurai bonne opinion que de moi, des élèves et de la Sainte Didactique. Dès qu'une fois on m'aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts de l'Apprenant, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d'impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d'injures, et les damneront hautement de leur autorité privée.

C'est ainsi qu'il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siècle. Peu me chaut, en vérité, que l'école publique succombe sous la hargne des dévots pédagogistes soutenue de l’appétit des marchands : n'est-elle pas qu'une institution perverse, une odieuse machine à transformer ceux qui héritent en ceux qui méritent ? C'est là une vérité sonnante que j'ai fini par réciter presque aveuglément, car une bulle papale ne saurait contenir de bourde divine. Et ma tranquillité est au prix de cette maxime, même si je suis prêt à toutes les conversions. "


M. Pacifico sous le regard bienveillant de J-B. Poquelin.


Bonne Année 2004 à tous ceux qui espèrent encore qu’il est possible de sauver l’école !

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