Histoire des arts (ou de l’art ?)

Passons sur cette distinction problématique entre histoire de l’art et histoire des arts. D’un côté, comment ne pas se réjouir que, de quelque manière qu’on la nomme, “l’histoire de l’art”, ait enfin droit de cité dans notre enseignement secondaire, et du collège au lycée ? Mais dans les projets des programmes littéraires au lycée, l’approche historique des oeuvres et des écrivains (époque, chronologie, aspects biographiques ...) ne fait l’objet que d’une timide réhabilitation : après dix ans de destructions dues à des programmes barbares dont le maître d’oeuvre (!) fut Alain Viala, les lycéens et étudiants actuels, et leurs prédecesseurs immédiats n’ont aucun sens des perspectives historiques et des contextes dans lesquels s’inscrit toute oeuvre littéraire. Cette ignorance des repères élémentaires, je la constate chaque jour chez mes élèves de classes préparatoires. Il serait cohérent que la littérature fasse l’objet d’une considération “historique” au moins égale à celle que l’on veut bien reconnaître aux arts.

Surtout, tant au collège qu’au lycée, qui enseignera “l’histoire des arts” ?

Pour le lycée, les projets de programmes font référence aux enseignants de diverses disciplines qui auraient obtenu une certification en la matière. Mais cette catégorie d’enseignants ne va pas surgir ex nihilo en quelques mois ...

Dans mon établissement, un cadre d’IUFM est venu présenter au corps professoral la réforme du collège. L’enseignement de “l’histoire des arts” serait obligatoire dès la classe de sixième. Mais aucune dotation horaire n’est prévue. Donc, cette discipline serait confiée à des professeurs de toutes les disciplines, je dis bien toutes. Si les professeurs d’histoire seraient particulièrement sollicités à raison de 25% de leur horaire (par classe), les collègues de technologie, d’EPS, de mathématiques ... pourraient être mis à contribution. Rien n’est dit sur leur formation, ou, pour employer un mot à la mode, “leurs compétences.”

La revue Le Débat n° 159 mars-avril 2010 reproduit le texte de la conférence inaugurale donnée par Pierre Rosenberg, ancien conservateur en chef du musée du Louvre, lors du colloque national consacré à cette question et qui s’est tenu en Sorbonne les 15 et 16 septembre 2009. Autant que tous les programmes, ce texte devrait être une référence majeure. Quant à la question cruciale de la formation du professeur, Pierre Rosenberg écrit (page 78) : « dans le Bulletin officiel du Ministère de l’Éducation nationale du 28 août 2008, dans le programme de l’enseignement de français, » on lit : «  “Le professeur de français collabore à l’enseignement de l’histoire des arts avec sa compétence propre. Il n’a pas besoin pour cela d’une formation spécifique.” » Et Pierre Rosenberg d’ajouter : « Les bras m’en tombent. Je veux bien croire que le professeur de français est le mieux placé pour commenter Proust et son “petit pan de mur jaune”, mais que dira-t-il de Vermeer s’il ignore tout de cet artiste, sur la redécouverte de son oeuvre au XIXe siecle, sa rareté, ses particularités techniques, son univers spirituel (catholique caché en pays protestant) ? Je veux bien que le professeur de français saura faire aimer Racine, mais comment s’y prendra-t-il pour faire aimer Poussin, notre plus grand peintre. » Pierre Rosenberg parle ensuite de la mort de Marat telle que l’a représentée David -« Cette Piétà laïque qu’attendait la Révolution »- pour conclure :

« l’histoire de l’art est une discipline à part entière, une profession, un métier que l’on apprend et que l’on enseigne ! On ne s’improvise pas historien de l’art. »

Avis aux amateurs ! Il est vrai que, depuis une ou deux décennies, le saupoudrage des disciplines et l’esprit d’amateurisme font partie des traits qui caractérisent le mieux les conceptions et directives de notre Ministère de l’Éducation nationale.

Gilbert Beaune

05/2010

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