Communiqué de presse du 19 octobre 2004



Rapport Thélot : le S.M.I.G. est encore à la baisse.

      Après la publication d’un Miroir du débat très déformant, comme prévu [1], les réponses apportées par la commission Thélot sont proches des propositions contenues dans les fiches préparatoires au Grand Débat, publiées en 2003, ainsi que des opinions défendues par M. Thélot dans Réussir l'école (1999). En dépit de sa promesse solennelle de respecter la diversité des opinions exprimées, M. Thélot a ignoré les propositions du pays. Pire, le rapport remis au Premier Ministre s'inscrit dans la continuité d'une politique éducative désastreuse menée depuis trente ans, que de nombreux enseignants et parents d'élèves avaient fermement remise en cause.

      Il s’agit en effet de franchir une nouvelle étape dans la baisse continue des exigences et du niveau.
      À l’école primaire, sous le terme trompeur de « fondamentaux », le rapport Thélot dénature le rôle premier de l’enseignement des éléments : il y inclut des compétences techniques inutiles à la formation de l’esprit et facilement assimilables ultérieurement (anglais commercial et informatique) ; et surtout, il y fait entrer des savoir-être sociaux (politesse et citoyenneté), qui donnent une priorité absolue à la socialisation sur l’instruction. Par contre, l’enseignement de repères historiques et de connaissances de base sur le monde (géographie et sciences) est exclu.
      Le collège, privé de la sixième rétrogradée à l’école primaire, a des objectifs désormais très proches de ceux qui étaient assignés à celle-ci. Non seulement on restreint les disciplines considérées comme « indispensables », en excluant l’histoire et les sciences, mais on programme leur appauvrissement, en décrétant que les contenus actuels seraient « un assemblage parfois lourd, manquant de cohérence, peu motivant et dont les évaluations montrent que trop d'élèves échouent à le maîtriser » (p. 39) : puisque trop d’élèves échouent à maîtriser des connaissances auparavant jugées indispensables au collège, on en rabattra encore sur le savoir minimum garanti. Sans chercher les causes de cet échec, lié aux horaires insuffisants attribués à certaines disciplines et aux méthodes pédagogiques inefficaces imposées aux professeurs, le rapport programme une fuite en avant qui a par ailleurs, comme par hasard, tous les avantages de l’économie.

      L’enseignement aura donc pour seul objectif, simpliste et fondamentalement erroné : la maîtrise des connaissances, des compétences et des comportements nécessaires pour s’intégrer dans le monde professionnel, dont il est rappelé qu’il aura besoin d’emplois « peu qualifiés » ou « requérant des qualifications fondées sur le savoir-être ». L’enseignement de la politesse remplacera avantageusement l’étude de la culture universelle et la formation du jugement critique.

      Le collège désormais « décroché » du lycée – suivant le vœu de l’obsessionnel François Dubet, principal inspirateur du rapport Thélot –, la compétence disciplinaire et le statut du professeur n’ont plus de raison d’être. Pour enseigner les consternants « fondamentaux » de M. Thélot, quelques connaissances superficielles suffiront à des professeurs bivalents. Et plus besoin de temps pour préparer des cours ou corriger des copies, puisque l’éducation moralisante primera sur l’instruction.

      Finalement, au prix d’analyses biaisées [2] et de « bons sentiments », facteurs de la sélection et de la ségrégation la plus arbitraire, ce rapport assigne à l’école des tâches bien proches des « trois I » proposés par M. Silvio Berlusconi pour l’école italienne : « Impresa, Inglese, Internet »

      Le collectif Sauver les Lettres condamne la stupidité et la perversité de ce rapport dont la mise en œuvre provoquerait deux conséquences inévitables :
- l’accroissement une fois encore des inégalités sociales entre les uns, qui sauraient aller apprendre ailleurs ce que l’école ne leur apprend pas, et les autres, moins bien entourés, qui se contenteraient du consternant socle de la si méprisante « culture commune » chère à François Dubet.
- à brève échéance, l’éclatement de l’école de la République au profit d’un système d’éducation largement privatisé, au profit des plus fortunés et des plus avisés.

      Le collectif Sauver les lettres rejette les recommandations d’un rapport qui propose pour « fondamentaux » la formation nécessaire aux entreprises et pour organisation les préconisations de l’O.C.D.E. [3]
      Au contraire, le collectif Sauver les lettres réclame une réforme ambitieuse qui promeuve l’instruction, nécessitant par conséquent la redéfinition des contenus et des programmes et l’évaluation sans parti pris des méthodes d’enseignement – autant de sujets passés scrupuleusement sous silence par M. Thélot et ses amis.
      C’est à ce seul prix que l’élève sera en mesure d’acquérir une authentique culture, en même temps commune et personnelle, et un esprit critique, double fondement du lien social et de la démocratie.
      Contre un rapport qui repousse les véritables apprentissages constitutifs de la formation de l’esprit en dehors du service public et « tout au long de la vie », le collectif Sauver les lettres demande une vraie école publique, formatrice et émancipatrice pour tous.

Collectif "Sauver les lettres"

[1] Cf. communiqué de presse du 9 décembre 2003 ; http://www.sauv.net/fx031209.php
[2] Lire l’analyse détaillée à l’adresse : http://www.sauv.net/thelot.php
[3] Cf les recommandations de l’E.R.T. (Table ronde des industriels européens) en 1995 : « L’éducation doit être considérée comme un service rendu au monde économique », et de l’O.C.D.E. : « Les pouvoirs publics n'auront plus qu'à assurer l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable, et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que d'autres vont continuer à progresser. » (Adult learning and technology in OECD countries, 1996)