Commentaires critiques du rapport Thélot sur l’éducation.


NB : Cette analyse a été menée à partir du " pré-rapport " de la commission Thélot, rendu public le 27 août dernier. Le rapport complet, publié le 12 octobre suivant, a adouci ou lissé certaines formulations. La première version, plus brutale, n’en est que plus éclairante.


" Il n’y a pas de contradiction, en dépit des apparences, à lutter à la fois contre l’hypocrisie mystificatrice de l’universalisme abstrait, et pour l’accès universel aux conditions d’accès à l’universel, objectif primordial de tout humanisme que la prédication universaliste et la (fausse) subversion nihiliste ont en commun d’oublier ".

Pierre Bourdieu " Médiations pascaliennes " (p.104, éd. Points-Seuil).


A l’automne 2003, le gouvernement mettait en place une Commission, présidée par Claude Thélot, afin d’organiser une grande consultation nationale sur l’avenir du système éducatif français. Pour ce faire, cette commission était chargée d’organiser un vaste débat public puis d’en synthétiser le plus fidèlement possible les différentes contributions. [1] Cette synthèse devait refléter les grandes préoccupations des participants au débat, auxquelles la commission, après avoir auditionné de nombreux experts du système éducatif, se donnait pour objet de répondre. Ces propositions concernant l’avenir de l’école viennent d’être publiées dans un rapport d’une centaine de pages qui doit permettre d’éclairer le gouvernement lors de l’élaboration de la prochaine loi d’orientation sur l’éducation qui sera votée au printemps prochain. Visiblement, le gouvernement et la commission n’ont pas lésiné sur les moyens, puisque, pendant un an, la commission a dû accomplir un travail important afin de recueillir puis synthétiser les différents points de vue des usagers, des acteurs et des experts du système éducatif. Il est toutefois permis de s’interroger, à l’heure ou le gouvernement semble avoir comme objectif majeur la diminution du coût de l’éducation, sur le bien-fondé d’une telle opération, tant les réponses apportées par la commission Thélot sont proches des propositions contenues dans les fiches préparatoires au grand débat que publiait le MEN l’an dernier, qui s’inspiraient, elles-mêmes, fortement d’un livre publié en 1999 par Claude Thélot et Philippe Joutard " Réussir l’Ecole ". Nous vous proposons ci-dessous une lecture critique du rapport Thélot, afin d’une part d’en proposer une synthèse pour informer l’ensemble des collègues qui n’auraient pas eu le temps de le lire entièrement , mais aussi de mettre en perspective les propositions avancées afin d’en dévoiler les véritables enjeux.

Le rapport de la commission Thélot se fixe comme priorité absolue de " faire vraiment réussir tous les élèves " [2] (p.2). Elle considère en effet que l’Ecole est désormais confrontée à de nouveaux défis et qu’il importe donc de repenser l’ensemble du système éducatif afin de lui donner les moyens de répondre à ces derniers.

Renforcer la formation à la civilité et à la citoyenneté

En premier lieu l’école doit faire face à la montée de " la violence, des incivilités et du communautarisme " (p.2) [3]. Il lui faut donc " assurer les conditions de l’acte pédagogique et du vivre ensemble " et pour se faire développer " l’éducation à la civilité et à la citoyenneté " (p.2). Tout au long du rapport, la commission Thélot insistera sur cette " mission éducative inédite pour l’école à laquelle elle ne pourra, ni ne devra, pas se dérober ". Elle estime, de plus, qu’il " faut rappeler avec force la dimension éducative de l’école : l’enseignement ne se suffit pas à lui-même, et d’ailleurs, un enseignement strictement réduit à lui-même ne pourrait exister. Même s’ils ne le savent pas, même s’ils ne le veulent pas, tous les adultes qui travaillent dans un établissement scolaire font de l’éducation, ne serait-ce qu’à travers l’image du monde adulte dont ils sont porteurs " (p.15). Ce renforcement de la mission éducative de l’école serait la conséquence de " l’effritement de l’encadrement traditionnel des jeunes par la famille " (p.3) et  " par les autres institutions comme l’Eglise, l’armée, l’entreprise, les associations de jeunesse.. " (p.121). Le déclin des institutions traditionnelles de socialisation de la jeunesse, et notamment de la famille, serait responsable de la montée des incivilités et d’une perte de repères globale pour une partie de la jeunesse, ce qui rendrait la vie dans les établissements scolaires de plus en plus difficile et nuirait à l’efficacité même de l’acte pédagogique et donc à l’efficacité de l’école. Notons toutefois qu’à travers le champ lexical retenu, la commission Thélot porte un diagnostic très ambigu sur les mutations actuelles de l’institution familiale. Tout en évitant, en effet, de parler de " déclin ou de crise de la famille ", elle établit toutefois un lien de causalité entre d’une part la " fragilisation de la structure familiale "  [4] à savoir l’augmentation des familles monoparentales et des familles recomposées, et le déclin de leur rôle socialisateur [5].

Ce diagnostic est loin d’être partagé par la plupart des sociologues, qui, s’ils notent en effet une évolution importante des formes de la famille, insistent toutefois sur la pérennité de sa fonction socialisatrice. Le rapport Thélot semble donc s’inspirer de certaines thèses réactionnaires qui relient la fragilité croissante du lien matrimonial avec le déclin de l’autorité et des valeurs traditionnelles. Pas un mot par contre sur les difficultés sociales et économiques croissantes auxquelles sont confrontées les familles des milieux populaires et qui peuvent parfois rendre difficiles l’éducation des enfants et des adolescents. Quant aux autres " institutions traditionnelles " comme l’Armée, l’Eglise ou l’Entreprise, leur déclin dans la socialisation de la jeunesse n’est pas nouveau et la formation du citoyen ne nous semble jamais avoir été leur préoccupation première. A l’inverse elles jouaient en effet sans doute un rôle important dans l’éducation à la civilité, mais celle-ci était alors davantage synonyme de docilité et de soumission que de " vivre ensemble ". L’insistance mise sur le déclin des institutions [6] permet surtout de légitimer l’introduction de l’apprentissage au " vivre ensemble "  et à la " civilité ", ces comportements et savoir-être qui font désormais partie du socle commun et sont mis sur le même pied que les savoirs et savoir-faire. L’objectif est en réalité de montrer la nécessité pour les nouveaux professeurs d’être aussi des éducateurs et non plus uniquement des enseignants qui se " contenteraient " de transmettre des connaissances.  Quiconque a déjà enseigné ne pourra que s’étonner de voir désigner l’éducation et l’instruction comme des termes quasi antinomiques, et surtout d’apprendre que l’on peut se " contenter d’enseigner " sans " éduquer " par ailleurs ! Quant à sa " mission éducatrice ", on aimerait savoir en quoi l’école d’aujourd’hui essaye de s’y dérober…


Le Socle commun des connaissances et la formation tout au long de la vie

Culture commune et socle commun des connaissances

En second lieu, le rapport Thélot estime que l’école doit définir l’ensemble des connaissances " qu’il ne doit plus être possible d’ignorer " et qui sont nécessaires pour " s’intégrer et réussir sa vie ", c’est-à-dire devenir " une personne autonome, un citoyen de la république et un professionnel compétent ". Ce niveau de connaissances incompressibles qu’il importe que tous les élèves maîtrisent, ne saurait se confondre avec l’actuel programme des collèges, jugé " peu motivant et peu cohérent et que trop d’élèves échouent à maîtriser " (p.19) [7]. Ce socle commun ne définirait pas, contrairement aux programmes actuels en vigueur, " le périmètre idéal de ce que le bon élève devrait théoriquement savoir " (p.19) ; sa définition serait laissée à une autorité indépendante, le Haut Conseil de l’éducation, composé de personnalités diverses dont la majorité ne seraient pas des experts du système éducatif ( ?) (p. 45). Le rapport précise que " le socle commun se définit avant tout par ses finalités (…) il ne s’agit donc pas de contenus de programme, mais plutôt des éléments constitutifs d’un bagage, dont il convient de munir les jeunes afin qu’ils aient acquis les éléments de savoir et les aptitudes de base nécessaires pour réussir leur vie d’adulte " (p .19).

Ce thème du socle commun ou de la culture commune, qui apparaît comme l’axe majeur des réformes à venir, est un thème aussi vieux que l’école " républicaine "  elle-même, comme le rappelle C.Lelièvre [8]. En effet en 1882 les instructions officielles indiquaient que " La préparation à la vie, telle est la formule commune à la définition de l’enseignement primaire de tous les pays " et que " l’objectif de l’enseignement primaire n’est pas d’embrasser, sur les diverses matières qu’il touche, tout ce qu’il est possible de savoir, mais de bien d’apprendre dans chacune d’elle ce qu’il n’est pas permis d’ignorer ". Quant à A.Thiers 34 ans auparavant, ne déclarait-il pas "  lire, écrire compter , voilà ce qu’il faut apprendre ; quant au reste cela est superflu (…) J’irais même jusqu’à dire que l’instruction est suivant moi, un commencement d’aisance et que l’aisance n’est pas réservée à tous ". Un siècle plus tard, le débat n’a guère progressé, il aurait même, à l’heure d’Internet et de la " révolution électronique " tendance à régresser puisque c’est désormais au collège que la commission Thélot assigne dans des termes quasi-identiques les objectifs qui étaient auparavant ceux de l’école primaire !!! Nous sommes loin des objectifs du plan Langevin-Wallon qui estimait en 1947, que " l’enseignement doit offrir à tous d’égales possibilités de développement, ouvrir à tous l’accès à la culture, se démocratiser moins par une sélection qui éloigne du peuple les plus doués que par une élévation du niveau culturel de la nation ", ou même de Ferdinand Buisson selon lequel " l’enseignement secondaire, doit former les esprits , leur apprendre à juger (…) il doit faire des hommes ayant foi en leur raison, capable de comprendre les idées de leur temps et d’accepter dans toute leur étendue les conséquences des découvertes nouvelles ".  La politique éducative préconisée par le rapport Thélot, sous couvert de lutte contre l’échec scolaire et d’équité, revient de façon très nette sur les objectifs émancipateurs qui sont ceux de l’enseignement dans une société démocratique. Au nom d’un certain " réalisme pédagogique ", le projet Thélot estime que l’enseignement doit d’abord avoir pour objectif la maîtrise des connaissances, des compétences et des comportements nécessaires pour s’intégrer dans le monde professionnel ; quant à la formation à l’esprit critique ou l’entrée dans la culture universelle, il n’en est, tout simplement, plus question. La disparition de l’histoire comme matière faisant partie du tronc commun en dit long à ce sujet [9].

La formation tout au long de la vie

Mais si la commission Thélot insiste tant sur la maîtrise du socle commun, c’est aussi parce qu’elle doit permettre " la formation tout au long de la vie ", cette dernière étant rendue désormais indispensable en raison de l’accélération des créations et destructions d’emplois, due au progrès technique. La formation continue devrait désormais constituer  " une seconde chance pour ceux dont la formation initiale demeure insuffisante (p.6) ". Elle serait donc à la fois une voie de recours indispensable, de façon à ne pas rendre l’échec scolaire définitif, mais aussi " une chance supplémentaire pour compléter et enrichir sa vie personnelle et professionnelle au-delà de ce qu’offre une formation initiale réussie " (p.25). Il faut donc désormais que " l’Ecole apprenne à apprendre " (p.5) afin de permettre la formation tout au long de la vie. Ce qui implique un clivage entre formation initiale, assurée par le système scolaire, et formation continue, éventuellement assurée ultérieurement par des organismes professionnels et privés. Ce souci de ne pas rendre l’échec scolaire définitif et de permettre aux élèves ayant quitté trop tôt le système scolaire de reprendre des études et de suivre une formation nouvelle peut sembler légitime. Rappelons à ce propos qu’actuellement, seuls les salariés les plus qualifiés profitent de la formation continue, que certaines compétences s’acquièrent jeune, qu’il est très difficile par la suite de trouver les ressources (volonté, disponibilité) de se former, et que retourner à l’école ne va pas de soi lorsqu’on l’a quittée très jeune. Le projet Thélot impute à l’Ecole (et à l’Etat) un rôle " a minima ", dispenser une formation initiale de base, rendant possible l’intégration professionnelle des individus, et elle laisse aux entreprises privées de formation ou aux entreprises elles-mêmes le soin d’assurer la formation éventuelle de leurs salariés. Se dessine en creux un modèle éducatif, conforme à la pensée ultra-libérale, avec un Etat chargé d’assurer un enseignement initial minimal, et qui une fois cette mission correctement achevée, pourrait s’estimer quitte de tout autre effort de formation ultérieure. Selon la théorie du capital humain, chaque actif sera responsable de l’entretien ou de l’augmentation de son propre capital " humain ", capital qu’il devra valoriser en fonction de ses propres expériences professionnelles ou des opportunités du marché. L’Etat aura rempli son rôle, l’équité sera alors " respectée " puisque tous les individus, même les plus mal lotis au départ, seront dotés des connaissances, compétences et comportements nécessaires à leur intégration. Le rapport Thélot précise par ailleurs que " l’école pourra, ce faisant, assumer sereinement de promouvoir une élite scolaire afin de doter la Nation des cadres dont elle aura besoin dans les décennies à venir " (p.13) [10]. Il ne s’agit plus de favoriser l’élévation du niveau de formation des citoyens ni de lutter contre les inégalités scolaires mais de limiter l’exclusion des plus défavorisés en les préparant à l’occupation d’emplois peu qualifiés, et de laisser ensuite les inégalités jouer leur rôle incitateur et régulateur. Un élitisme serein et décomplexé pourra être alors encouragé, puisque les plus mal lotis auront reçu le bagage nécessaire à leur intégration professionnelle ; la compétition méritocratique, quant à elle, jouera pleinement son rôle sans la " mauvaise conscience " qui lui colle actuellement à la peau en raison des situations d’échec et de ressentiment qu’elle engendre pour les " vaincus de la compétition scolaire " [11]. A nouveau la conception de l’équité mise ici en avant pourrait très bien s’accompagner, en garantissant un seuil " minimum " de formation aux plus démunis, d’une augmentation des inégalités de formation globale. Le rapport Thélot le reconnaît sans scrupules : " les inégalités engendrées par l’école seront d’autant plus acceptables que certains biens scolaires échapperont aux inégalités " (p.25) [12].

De plus la commission Thélot insiste beaucoup sur la nécessité pour l’école de tenir compte, dans son offre de formation, de la finalité professionnelle des diplômes qu’elle délivre même si elle reconnaît que  " l’adaptation de la formation à l’emploi est une tâche difficile et incertaine "(p.5). Il est, en effet, parfois difficile, en raison du rythme des innovations technologiques, de prévoir avec précision l’évolution qualitative de la demande de travail des entreprises. Toutefois en soulignant que " le chômage, l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emploi, les difficultés de l’insertion professionnelle des jeunes conduisent les familles et le monde du travail à développer des attentes fortes en matière de préparation à la vie professionnelle " (p.5), elle sous-entend implicitement que la mauvaise adéquation entre l’offre et la demande d’emploi est à l’origine de l’importance du taux de chômage des jeunes actifs. Cela revient à imputer à l’école une part de responsabilité dans ce phénomène puisque la " mauvaise adéquation " entre l’offre et la demande d’emploi ne peut venir que des demandeurs d’emplois insuffisamment formés face aux qualifications requises par les entreprises D’où la nécessité pour l’école d’être davantage " en prise " avec le marché du travail en envoyant par exemple certains élèves en stage ou en alternance et cela dès le collège ou en développant des partenariats avec les entreprises locales de façon à répondre le mieux possible à leurs besoins. Puisque le chômage et l’exclusion touchent d’abord les moins qualifiés, la commission sous-entend alors qu’il existe un rapport de cause à effet entre un faible niveau de qualification et le niveau d‘employabilité de la main-d’œuvre. Si les difficultés d’insertion de certains jeunes sur le marché du travail peuvent être effectivement liées à la faiblesse de leur niveau de formation, ce n’est certainement pas ce facteur, à lui seul, qui explique l’importance du taux de chômage des jeunes actifs. Rappelons que la France se caractérise depuis 25 ans par un niveau de chômage des 16-25 ans particulièrement élevé alors que le niveau de formation moyen a augmenté depuis le début des années 80. Le chômage et la précarité, qui touchent plus souvent les moins qualifiés, sont davantage la conséquence des politiques de surqualification à l’embauche des entreprises (théorie du filtre) que de l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail. Ce n’est donc pas l’Ecole qui est responsable, comme le rapport le laisse entendre, du chômage, mais bien la faiblesse de la croissance économique et les politiques menées par les entreprises. Cette thèse de la responsabilité de l’école dans le chômage des jeunes n’est qu’un argument de plus pour " saper " et remettre en cause une formation initiale jugée trop abstraite et trop globalisante notamment pour les nombreux jeunes en situation d’échec scolaire. Ceux-ci devraient se contenter du socle commun afin de pouvoir ultérieurement (éventuellement) se " former tout au long de la vie ". Voilà aussi pourquoi la commission estime qu’en " en raison de l’incertitude lié à l’avenir " (p.5), il est préférable que l’augmentation du niveau de qualification de la main-d’œuvre, qui conditionne en partie les performances économiques d’un pays, résulte de l’essor de la formation tout au long de la vie plutôt que d’une politique éducative volontariste et ambitieuse. " L’élévation globale du niveau d’étude et de diplôme de la jeunesse pourrait ainsi constituer moins un objectif du système éducatif qu’un effet témoignant de son efficacité " (p.7). Curieuse façon d’envisager l’élévation du niveau d’étude de la jeunesse quand tout est fait pour qu’il diminue !


La réforme de l’école

Pour atteindre les objectifs qu’elle fixe au système éducatif, la commission Thélot estime nécessaire d’agir sur l’organisation de la scolarité en réorganisant le déroulement des cycles d’apprentissage, de renforcer l’autonomie et l’évaluation des établissements afin " d’égaliser la qualité de l’offre scolaire " et enfin de revoir la formation et le service des enseignants.

Une réforme pédagogique

Si l’Ecole doit assurer à tous la maîtrise du socle commun, elle doit aussi permettre à chacun de trouver " sa voie de réussite " (p.34). Voilà pourquoi elle doit d’une part " assurer la personnalisation des apprentissages ", de façon à ce que chacun puisse réellement s’approprier le socle des indispensables, et d’autre part organiser " la diversification des parcours " notamment grâce à " des enseignements optionnels qui permettront l’éclosion d’une excellence chez tous les élèves " ( p.35). Elle doit aussi développer " l’éducation au choix " et l’information sur les métiers et l’orientation. Afin de personnaliser les apprentissages, la commission envisage la création d’un nouveau conseil pédagogique, " d’un coordinateur de la personnalisation des apprentissages " et d’un directeur des études (p.87). Cette personnalisation des apprentissages s’accompagne d’une redéfinition des cycles d’apprentissage. La commission suggère ainsi de re-découper l’organisation de la scolarité obligatoire en 3 cycles : un premier cycle d’apprentissage qui correspondrait aux cycles actuels de la grande section de maternelle [13] jusqu’au CE1 ; un cycle d’approfondissement du CE1 à la sixième et un cycle de diversification de la 5ème à la 3ème.

La commission prévoit que la maîtrise effective par l’élève des fondamentaux propres à chaque cycle soit exigée pour que celui-ci puisse accéder au cycle suivant quitte à éventuellement rallonger (ou raccourcir) d’un an le temps d’apprentissage pour respecter les rythmes de progression propres à chaque élève. Tout doit être fait pour s’assurer que l’ensemble des élèves maîtrisent l’ensemble du socle commun. " Ainsi une personnalisation des pratiques pédagogiques et des apprentissage est nécessaire en amont pour prévenir l’échec et s’assurer d’une bonne maîtrise des connaissances, des compétences et des règles de comportement considérés comme indispensables " (p.40). Pour les élèves qui ne parviendront pas, malgré les efforts déployés et l’année supplémentaire octroyée, à maîtriser ces connaissances indispensables, il est prévu des dispositifs dérogatoires incluant des " itinéraires alternatifs de droit commun ", " des périodes plus ou moins longues d’alternance avec une entreprise, un lycée professionnel ou un dispositif relais ". Ces mesures dérogatoires pour les " incurables " sonnent concrètement le glas du collège unique même si le rapport précise que ces décisions ne seront pas définitives et que " le retour à une forme plus standard du collège doit être toujours possible " [14].

Le rapport Thélot insiste aussi beaucoup sur la nécessité d’améliorer les processus d’orientation et d’affectation des élèves, car il estime que " l’affectation dans une filière de formation que l’on n’a pas choisie (cas d’un jeune sur trois dans la voie professionnelle) est un facteur de démotivation important " car cette affectation " relève trop souvent d’une logique fondée trop exclusivement sur l’offre et les résultats scolaires " (p.62). Dans ce but il faut donc, dès le collège, aider les élèves à " former un projet éclairé " qui respecte " le choix de l’élève et de ses parents " en tenant compte des " goûts, de la motivation des compétences des élèves mais aussi des besoins de l’économie et de l’offre d’éducation " (p.63). D’autres éclaircissements seraient ici nécessaires pour indiquer aux conseils de classe et aux professeurs principaux des classes d’orientation (3ème et seconde) la façon dont ils doivent s’y prendre, lorsque les familles n’acceptent pas certaines décisions d’orientation, pour à la fois prendre en considérations les compétences des élèves sans trop tenir compte de leurs résultats scolaires. Demander aux élèves de bâtir un projet dès le collège en les emmenant visiter des entreprises, montre une certaine méconnaissance de la façon dont des pré-adolescents se projettent dans l’avenir, lorsque l’on sait que même en Terminale les élèves ignorent pour la plupart le type d’étude qu’ils choisiront l’année d’après. Encore une fois, demander aux élèves de bâtir un projet précoce n’est qu’une façon déguisée de faire comprendre aux élèves les plus faibles, les autres ayant encore un peu de temps devant eux, qu’il est urgent qu’ils se décident pour un type de formation professionnelle précis afin qu’ils anticipent leur sortie rapide du système scolaire classique. Ces propositions, qui visent à réintroduire une sélection précoce pour les élèves en échec, vont à l’encontre des résultats les plus solides mis en lumière par les chercheurs en éducation qui montrent que retarder le plus possible " l’heure des choix " en matière d’orientation est un des moyens les plus sûrs de réduire les inégalités scolaires et d’améliorer l’efficacité de l’école [15].

L’égalisation de la qualité de l’offre scolaire

Pour réaliser ces objectifs, la commission estime qu’il faut rendre l’école plus efficace et permettre " l’égalité de la qualité de l’offre scolaire ". En effet les performances étant inégales d’un établissement à l’autre, cette inégalité pénaliserait les élèves les plus faibles souvent scolarisés dans des établissements moins performants. Même si la commission Thélot émet un avis mitigé sur l’efficacité des ZEP, elle reconnaît qu’elles ont une " importance fondamentale réelle et symbolique " [16] , elle propose de " généraliser le principe de la discrimination positive " (p .75), ce qui conduit à vider dans les faits ce concept de toute signification réelle puisque la discrimination, qu’elle soit positive ou négative d’ailleurs, ne s’applique par définition qu’à une population ou à un groupe particulier. Cette généralisation de la discrimination positive a principalement pour but le développement de la contractualisation et l’autonomie des établissements qui n’ont rien à voir avec la discrimination positive. Il s’agit avant tout de forcer les établissements à passer des contrats avec les autorités de tutelles qui moduleront donc les moyens attribués (8 à 10 % de la DHG pour un usage contractualisé et jusqu’à 25 % dévolue sur critères spécifiques pour promouvoir la mixité scolaire et le soutien des élèves défavorisés) à chaque établissement en fonction de son projet mais aussi de ses résultats et de ses performances. Pour favoriser l’égalité des chances, il importe de favoriser la qualité de l’offre scolaire, ce qui implique " non l’égalité des moyens ", mais " un pilotage du système par les résultats et les progrès des élèves, plus que par les normes " (p.23).

Afin de favoriser la mixité scolaire, le rapport Thélot préconise aussi de revoir parfois la sectorisation mais insiste aussi beaucoup sur le fait que " l’égalité des résultats et l’égalité de l’offre scolaire " seraient le moyen le plus efficace d’éviter les stratégies d’évitement mis en place par les familles, façon assez discrète de rendre encore une fois les enseignants responsables des piètres performances de leur établissement et donc de la fuite des enfants des classes moyennes ou favorisées dans les secteurs difficiles !

Pour les établissements sinistrés, le rapport Thélot envisage des mesures dérogatoires qui iraient jusqu’à la fermeture de ces établissements, afin de répartir les élèves sur d’autres établissements. Mais déléguer la responsabilité de telles décisions aux collectivités locales dans le cadre de la décentralisation ne nous semble pas être la meilleure des solutions si l’on veut réellement voir ce projet aboutir. Les élus locaux, soumis aux pressions des parents d’élèves et des électeurs des classes moyennes, prendront-ils le risque de modifier la carte scolaire afin de favoriser la mixité scolaire en envoyant par exemple les élèves d’une cité sensible dans un collège de centre ville afin de favoriser l’hétérogénéité des élèves ? Par contre le rapport Thélot souligne l’intérêt des évaluations fréquentes et publiques des établissements afin de favoriser par une " politique de qualité contrôlée les effets délétères de la ségrégation scolaire " (p.74). La désectorisation viserait à favoriser l’organisation de la concurrence entre les établissements afin de faire pression sur les établissements les moins performants (même en prenant compte la composition des publics scolaires, les établissements " populaires " sont souvent les moins efficaces) pour les inciter à améliorer leurs performances afin d’attirer les élèves des classes moyennes (ou de garder) les bons élèves issus des milieux populaires.

Ce projet s’il passe par la création de zones d’excellence [17], c’est-à-dire par la création ou le maintien d’options rares dans des établissements sensibles par exemple, pourrait effectivement peut-être permettre d’installer une certaine hétérogénéité sociale. Or les mesures prises par le MEN depuis deux ans [19], en supprimant les options rares et les classes à faible effectif, vont à l’encontre de cette logique de la polyvalence, synonyme de diversification de l’offre scolaire via les options proposées et privilégient, au contraire, ouvertement, une logique de polarisation, en prônant le regroupement des options dans certains établissements au nom de la rationalisation de l’offre scolaire. Logique de pôle, qui, en regroupant des élèves selon leurs choix d’options, ne peut que se traduire par une plus grande ségrégation scolaire, ces choix étant loin d’être socialement neutres. Encore une fois, la décentralisation risque d’amplifier cette logique puisque les collectivités locales, soucieuses elles aussi de " maîtriser " leurs budgets, risquent de privilégier la polarisation au détriment de la polyvalence : ainsi l’arbitraire et les contingences électorales vont gérer des situations qui devraient être réglées au niveau national.

La refonte des servies et de la formation des enseignants

En dernier lieu, la commission Thélot envisage aussi une refonte des services des enseignants Elle propose d’augmenter pour les nouveaux enseignants le temps de présence au sein des établissements et de modifier leur formation afin d’en renforcer le contenu pédagogique et éducatif. De plus, la commission envisage clairement le recours à la bivalence, chaque professeur devra désormais enseigner deux matières et pourra ainsi remplacer plus facilement ses collègues absents. Pour enseigner les indispensables, il semblerait que l’on n’ait plus besoin d’enseignants spécialisés mais au contraire polyvalents (p. 102), mais qu’il soit primordial de les évaluer davantage. Nous nous contenterons ici de citer ce que Marcel Gauchet écrivait il y a une quinzaine d’années à propos d’un débat qui n’a guère avancé depuis : " C’est le rapport subjectif de l’enseignant au savoir qui fait en vérité l’efficacité de l’enseignant . Il en résulte pour la pratique cette conclusion fort importante, et contraire à la vulgate présentement dominante, qu’on ne saurait trop exiger quant au niveau de connaissances des enseignants. En matière de pédagogie, les têtes bien faites sont d’abord des têtes bien pleines. Sans doute est-il vrai que l’étendue des connaissances ne préjuge pas nécessairement par elle-même d’un rapport détendu et maîtrisé au savoir. Il est certain en revanche qu’on ne saurait valablement transmettre, si formé qu’on soit par ailleurs aux techniques de l’animation et de la communication, des connaissances dont on a qu’un maniement approximatif, donc rigide et routinier " [20]. La diminution de la compétence des personnels de l’éducation nationale nous semble une curieuse façon de vouloir améliorer son efficacité ! [20]


Une remise en cause de la démocratisation de l’enseignement.

Dans les années 80, un certain consensus s’était établi sur la nécessité d’ouvrir l’enseignement secondaire à un nombre de plus en plus important d’élèves et la loi d’orientation de 1989 fixait comme objectif au système éducatif de faire parvenir 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat. Cet objectif était en fait la résultante d’une triple demande :

D’une part elle répondait à la demande d’un patronat préoccupé par la vague d’automatisation qui supprimait de nombreux postes d’exécution et entraînait une diminution de la demande de travail peu qualifié, souhaitait qu’un effort important soit entrepris afin de pouvoir bénéficier d’une main-d’œuvre plus qualifiée. Un niveau de formation élevé était alors le gage d’un fort niveau de productivité du travail mais devait aussi permettre aux salariés de s’adapter plus facilement aux évolutions technologiques. Les entreprises étaient à l’époque confrontées au problème de la reconversion de la main-d’œuvre taylorienne victime des restructurations industrielles des années 80 et prenaient conscience qu’un faible niveau de formation initiale était un obstacle majeur à l’adaptation des salariés peu qualifiés aux mutations technologiques.

D’autre part le gouvernement de l’époque, préoccupé par la persistance du chômage notamment chez les jeunes et les actifs peu qualifiés, pensait, en améliorant le niveau de formation moyen de la population, diminuer le chômage. En prolongeant le temps de formation initiale des jeunes il retardait d’autant leur entrée sur le marché du travail et freinait ainsi mécaniquement la croissance de l’offre de travail, qui était alors, pour des raisons démographiques, en pleine expansion (la population active augmentait de 200 000 actifs par an). Ce dynamisme démographique de la population active se heurtait à la faiblesse des créations d’emplois, ce qui se traduisait mécaniquement par un déséquilibre entre l’offre et la demande de travail, et par une augmentation du chômage.

Enfin cet objectif des 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat trouvait un écho positif chez les familles, notamment d’origine populaire, qui espéraient ainsi voir leurs enfants bénéficier d’une possibilité d’ascension sociale grâce à l’acquisition d’un niveau de qualification supérieur à celui de la génération de leurs parents. L’école devait donc favoriser l’égalité des chances et former les futurs diplômés dont la nation allait avoir besoin. Le thème de la démocratisation de l’enseignement répondait à la fois à un souci de justice sociale et d’efficacité économique [21].

Ce consensus semble actuellement remis en cause, pour plusieurs raisons [22] :

Même si le pourcentage d’une classe d’âge qui atteint le niveau du bac a augmenté de façon notable au cours des années 80, il stagne depuis une dizaine d’années. De plus cette élévation du niveau moyen de formation aurait un effet pervers, celui d’aggraver la situation relative de ceux qui n’atteignent pas ce niveau d’étude et qui de ce fait rencontreraient des difficultés croissantes pour s’insérer sur le marché du travail. Voilà pourquoi, dans leur livre " réussir l’Ecole " Claude Thélot et P.Joutard estimaient qu’un taux de 70 % d’une classe d’âge au bac serait un objectif raisonnable.

D’autre part, en se massifiant, l’enseignement aurait durci les " conditions de la compétition scolaire " et rendu à la fois plus visible et plus dramatique l’échec scolaire pour les élèves qui en seraient victimes, puisque pour ceux-ci les difficultés scolaires seraient désormais pratiquement synonymes d’exclusion future. Ces élèves, se sentant à la fois stigmatisés et dévalorisés, seraient alors à l’origine de la montée de la violence et des incivilités qui perturbent l’ordre scolaire et l’efficacité de l’école !

La démocratisation de l’enseignement entraînant mécaniquement une augmentation des titres scolaires décernés, elle entraîne aussi, de fait, leur dévalorisation sur le marché du travail, lorsque, comme cela a été le cas pendant la décennie 90, la croissance économique stagne et que l’ascenseur social reste en panne. L’inflation des diplômes peut alors être une source de frustration et entraîner leur remise en cause par des jeunes diplômés déçus et amers qui ont alors l’impression d’avoir été victimes d’un marché de dupes [23].

La massification de l’enseignement est aussi remise en question par une partie du corps enseignant qui a de plus en plus de mal a gérer l’hétérogénéité des élèves et qui estime que cette massification a d’abord comme conséquence une détérioration de leurs conditions de travail et un sentiment de dévalorisation de leur fonction.

Mais surtout les prévisions du patronat, qui annonçaient pratiquement une quasi-disparition des emplois peu qualifiés, sont remises en cause. En effet " la nouvelle économie " aura encore besoin d’une main-d’œuvre peu qualifiée, notamment dans les services comme le reconnaît le rapport Thélot : " La part des emplois " peu qualifiés " ou requérant une qualification d’ordre comportemental ou " relationnel " demeurera considérable dans l’avenir : certains domaines d’activité (ventes, services à la personne, etc…) devraient donner lieu à une création d’emplois importante ; dans les métiers d’employés et d’ouvriers peu qualifiés, la destruction des emplois sera plus que compensée par la nécessité de remplacer les départs massifs à la retraite qui vont intervenir à partir de 2005 " (p.5).

C’est bien à l’aune de ces prévisions que le projet Thélot prend tout son sens. L’augmentation de la durée moyenne de scolarisation, tendance séculaire depuis un siècle, devient inutile : il importe désormais que l’ éducation nationale forme les futurs ouvriers et employés de demain ; qu’elle leur inculque les savoirs, savoir-faire et surtout savoir-être de base indispensables à leur intégration et à leur employabilité, mais il devient désormais inutile de " prolonger " la scolarité ou d’approfondir la formation initiale d’une main-d’œuvre appelée à occuper des emplois requérant surtout une "  qualification d’ordre comportemental ou relationnel ". Voilà pourquoi il importe que les élèves soient dès le plus jeune âge en contact avec le monde de l’entreprise, partenaire majeur de l’école selon le rapport Thélot, de façon à inciter les moins performants d’entre eux à " choisir "  éventuellement une formation  en alternance ou à élaborer un projet professionnel qui leur apparaîtra plus concret plus séduisant qu’une formation initiale  " trop théorique  ou trop abstraite " et dont ils perçoivent de toutes façons mal les objectifs.

Mais surtout, c’est l’importance récurrente attribuée au rôle éducatif de l’école et à la formation à la civilité qui prend tout son sens. En effet les enfants des classes populaires sont ceux qui ont le plus de chances d’occuper les emplois "peu qualifiés ou nécessitant une qualification d’ordre comportementale ", mais ce sont aussi eux qui sont souvent à l’origine de la montée de la violence et des incivilités [24]. Ils sont en effet, d’une part plus souvent que les autres exposés à l’effritement de la structure familiale, et d’autre part à la perte de l’estime de soi induite par la stigmatisation dont ils sont victimes à l’école. Ces élèves n’ont donc pas besoin d’une formation initiale, ni d’un niveau de culture générale très élevé. Il serait même plutôt souhaitable qu’ils quittent l’école de bonne heure, puisqu’ils y perdent leurs temps et perturbent par leur comportement la scolarité des autres élèves. Ils ont surtout besoin de maîtriser le socle commun des indispensables, dans lesquels les " savoir-être " et la dimension comportementale sont désormais aussi importants que les connaissances. L’apprentissage de la " civilité " n’est en fait qu’euphémisme à peine déguisé d’apprentissage de la politesse puisque le rapport Thélot le reconnaît " Civilité et citoyenneté ne peuvent être confondus, l’apprentissage de la politesse doit précéder l’entrée en politique " (p.18). L’école doit donc éduquer à la civilité et au vivre-ensemble  afin que ces jeunes puissent occuper ces emplois peu qualifiés certes, mais qui nécessitent toutefois la maîtrise des règles minimales en vigueur dans la vie active. En effet " le monde de l’entreprise, dans son insistance sur les règles de socialisation dans le processus de formation d’actifs qualifié, paraît plus demandeur en éducation  que d’autres acteurs ou partenaires de l’école " (p.16). Il s’agit bien de transformer les " sauvageons " en une main-d’œuvre polie et docile, de façon à ce que les entreprises trouvent des salariés " civilisés et socialisés ". L’école doit éviter que les jeunes en difficultés ne forment une nouvelle classe dangereuse, et faire en sorte qu’ils forment la nouvelle classe laborieuse dont les entreprises vont avoir besoin. Ce nouveau prolétariat sera peut-être majoritairement employé dans le tertiaire et non plus dans le secondaire, d’où l’importance de la composante comportementale, mais il doit rester un prolétariat docile et peu revendicatif.

Tout doit être donc fait pour persuader l’opinion publique que l’école va mal, que la démocratisation de l’enseignement est un leurre qui entraîne de nombreux effets pervers, et qu’il importe de revenir sur l’objectif des 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac [25]. L’ensemble des forces syndicales et des organisations enseignantes doivent donc se mobiliser pour dénoncer ce projet hypocrite et dangereux, qui au nom des plus défavorisés, estime qu’il faut renoncer à l’accroissement du niveau culturel de la jeunesse et vise clairement à diminuer la qualité du service public d’éducation en brisant les quelques acquis dont bénéficiaient jusque là ses salariés. Il faut donc s’opposer à ce projet car il porte atteinte aux statuts et aux acquis des salariés de l’éducation nationale mais aussi, parce qu’en remettant en cause le principe de la démocratisation de l’enseignement, il ne pourra que se traduire par une augmentation des inégalités scolaires. La voie est étroite entre d’une part, une opposition stérile et systématique qui sera alors dénoncée par la presse et les courants " réformateurs " comme une défense du " statu quo " à caractère corporatiste et conservateur [26] et, d’autre part, une position, qui au nom du " réalisme " pédagogique et des difficultés réelles que connaissent nombre d’établissements, viserait à valider certains aspects du projet Thélot et à rejeter ceux qui touchent directement les statuts des enseignants. La presse (voir le titre du Monde du 10 octobre qui présente le projet Thélot comme une défaite " des partisans de la vieille école " et des républicains) semble à nouveau présenter le débat autour du rapport Thélot comme une énième répétition de la querelle des anciens et des modernes, des républicains et des pédagogues, dans lequel nombre d’enseignants ne se reconnaissent pas. Il nous semble qu’au contraire il est urgent de rebâtir un discours fort et mobilisateur autour de la démocratisation de l’enseignement, qui ne soit " ni réac ni démago ", et autour duquel l’ensemble des enseignants progressistes pourraient se retrouver afin de construire un projet dont l’objectif serait une " éducation de qualité  pour tous ".


Jean-Yves Mas
Professeur de SES

 

1. Voir le Miroir du débat " publié par le MEN
2. Toutes les citations entre parenthèses comportant une référence à la pagination sont issues du pré-rapport. Les autres expressions entre parenthèses sont de notre fait.
3. On notera que ces trois termes " accolés " sont invoqués plusieurs fois dans le rapport ce qui peut laisser supposer qu’il existe un rapport de cause à effet entre eux, la montée du communautarisme étant implicitement jugée responsable de l’augmentation des incivilités et de la violence, ce qui pour le coup relève d’un amalgame plus que discutable. Précisons que par exemple si l’on interprête l’affaire du voile islamique comme un symptôme du communautarisme, les jeunes filles ne sont par ailleurs ni inciviles, ni violentes !
4. Elle parle d’effritement, d’érosion ou de fragilisation des liens familiaux.
5. De 1990 à 1999, la proportion d’enfant vivant dans des familles monoparentales s’est accrue de 12.9 à 16.8 %, celle vivant dans des familles recomposées est passée quant à elle de 8.26 % à 9.6%. Rappelons toutefois que vivre dans une famille monoparentale ne signifie pas systématiquement, être élevé uniquement par un seul parent. De même dans les familles recomposées, les enfants peuvent se retrouver, paradoxalement avec 3 ou 4 adultes référents !!
6. Cf. le titre du livre de F.Dubet qui a apparemment activement participé à la commission Thélot " contre " le clan des républicains qui aurait démissionné rapidement de la commission.
7. Selon une étude à paraître, mais que le journal " le Monde " a " réussi à se procurer un mois avant sa parution officielle " seulement un tiers des élèves réussiraient à maîtriser convenablement l’ensemble des objectifs assignés à la fin du collège, ce qui semble effectivement peu, mais on apprend un peu plus loin que 60 % des élèves les maîtriseront suffisamment pour pouvoir suivre une formation et que 15 % des élèves ne les maîtrisent pas du tout. Rappelons tout de même que 80 % des élèves réussissent le brevet.
8. Toutes ces citations qui suivent sont tirées du livre de C.Lelièvre "  L’école obligatoire pour quoi faire ? " Ed. Retz 2004 p.12. Ce débat a aussi trouvé un écho important dans le mouvement syndical enseignant, comme en témoignent les conflits récurrents entre les syndicats du primaire et ceux du secondaire tout au long du siècle. (" Le syndicalisme enseignant " B.Geais Ed. Repères-La Découverte).
9. Dans les débats auxquels j’ai participé l’an dernier, beaucoup de parents estimaient l’enseignement de l’histoire primordial.
10. C’est peut-être dans ce but qu’elle envisage de faire payer un voyage aux élèves qui auront obtenu une mention au bac.
11. Cet aspect était surtout développé dans les fiches préparatoires au grand débat du MEN, l’an dernier. C’est sur ces fiches que nous avions travaillé pour "  La dignité des dominés ".
12. De plus amples développements seraient ici nécessaires pour montrer qu’il s’agit d’une lecture réductrice de la conception de la justice comme équité du philosophe John Rawls.
13. Ce qui pose la question du devenir des petites et moyennes sections de maternelle !
14. Dans le monde du 10 / 11 octobre, Mme Altschull, membre démissionnaire de la commission Thélot et de sensibilité chevènementiste , reproche à la commission Thélot de ne pas aller assez loin dans la critique du collège unique. Il nous semble, quant à nous, qu’à partir du moment où des mesures dérogatoires peuvent intervenir, c’est bien qu’il y a remise en cause du collège unique.
15. Les pays du Nord (Suède, Finlande, Norvège…) à structure scolaire unique réaliseraient des performances scolaires moyennes supérieures à ceux des pays qui connaissent des types d’enseignement fortement différenciés (Allemagne, Autriche.) Le système français serait intermédiaire entre ces modèles.
16. En clair cela signifie que toucher aux ZEP et à la discrimination positive pourrait être délicat. La commission a sans doute en mémoire la mobilisation des enseignants du 93 au printemps 1998, et veut sans doute éviter de " désespérer (et d’exaspérer) le neuf trois ".
17. La création de ces zones d’excellence n’impliquant dans aucun cas l’instauration de la concurrence entre établissements.
18. Les fiches préparatoires au grand débat publiées par le MEN l’an dernier dénonçaient clairement la multiplication des options " rares " dans de nombreux lycées comme une source de l’augmentation du coût de l’éducation ces dernières années.
19. M.Gauchet : "  L’Ecole à l’école d’elle-même " in " La démocratie contre elle-même " Tel / Gallimard. 2002
20. Nous passons rapidement sur ces atteintes au statut des enseignants, non parce que nous les jugeons marginales, mais nous les supposons davantage connus et commentés que les autres aspects de la réforme Thélot. Nous avons développé par ailleurs une critique de l’évaluation des établissements et des personnels " Contre le salaire au mérite dans l’enseignement ".
21. Les syndicats enseignants étaient aussi globalement favorables à cet accroissement des effectifs scolaires, puisque il impliquait une augmentation du nombre d’enseignants et permettait de répondre à des revendications de justice sociale.
22. Nous reprenons ici partiellement les analyses de C.Thélot et P.Joutard dans " Réussir l’école ".
23. Surtout s’ils sont de plus d’origine immigrée et victime des politiques de discrimination à l’embauche qui accentuent leur sentiment d’amertume. (voir " 80% d’une classe classe d’âge au bac et après… " de S.Beaud)
24. Le rapport Thélot ne dit évidemment pas cela tel quel, mais les euphémismes sont tout de même assez significatifs
25. Voir l’accueil médiatique reçu par le dernier livre de H.Hamon "  Tant qu’il y aura des élèves ! "
26. Il va de soi que nous ne considérons absolument pas comme conservateur et corporatiste le fait de défendre notre statut, mais il va falloir à nouveau argumenter et se mobiliser pour montrer en quoi sa remise en cause n’améliorerait en rien l’efficacité et la justice du système scolaire actuel.

10/2004