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L'enflure dans le naufrage, ou comment le « groupe d'experts » français réinvente la roue

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Se croyant révolutionnaire, se prenant pour Jules Ferry, qui, en 1880, avait, au baccalauréat, remplacé l’épreuve de discours latin par celle de composition en français dans l’idée d’exalter le patriotisme adolescent après le désastre de Sedan, notre " groupe d’experts " s’apprête à publier laborieusement un nouveau programme et une nouvelle épreuve de baccalauréat en français. Même si la soudaine urgence de nos " sages " nous fait craindre que la patrie ne soit en danger, il serait peut-être bon d’aller voir ce qui se passe ailleurs, c’est-à-dire tout près de nous, dans la francophonie.


1. En 1980, le programme québécois de français pour l’enseignement secondaire préconise une " pédagogie de la communication " et exige qu’on mette la grammaire au service de la communication.

En 1987, à la suite de l’épreuve de français écrit du ministère de l’Éducation, à laquelle ont été soumis les élèves de cinquième année du secondaire au printemps 1986, le Ministre constate en moyenne une erreur " de grammaire, de syntaxe ou d’orthographe " tous les 6 à 10 mots. La publication des résultats de cet examen produit un effet choc !

Sous la pression de l’opinion publique, le Ministère de l’éducation du Québec lance un plan d'action en 1988. Le corps enseignant doit alors augmenter le nombre d’heures de classe consacrées à la grammaire. Parallèlement, on assiste à l’entrée en masse d’ouvrages parascolaires et de cahiers d’exercices de grammaire, vendus au mètre cube dans les hypermarchés, ce qui fait le bonheur des maisons d’édition. Les photocopies d’exercices tirés de Bled et de Grévisse ou d’autres auteurs, s’accumulent dans les cahiers d’élèves.

Enfin, en 1995, un nouveau programme, applicable en 1997, veut apporter " plus de rigueur et d’exigence dans les apprentissages, plus de précision dans la définition des objectifs pour chacune des 5 années du secondaire, un accroissement de l’importance accordée à l’écriture et à la fréquentation d’œuvres de qualité (c'est-à-dire littéraires), étude plus systématique de la grammaire et des règles de fonctionnement de la langue " (1)

 

2. En cette année 2001, le canton du Valais, en Suisse, réforme l’enseignement du français et revient à la grammaire sérieuse et aux textes littéraires. Il abandonne le manuel officiel précédent pour choisir une collection française

Les deux collections qui ont été retenues — dont une seule sera choisie, car le manuel scolaire est imposé aux professeurs et sélectionné par une commission officielle — sont les deux seules qui, au collège, offrent d’une part un vrai manuel de grammaire avec une progression cohérente et un programme complet, d’autre part un manuel de textes qui fait une large part aux textes littéraires et à la lecture d’œuvres intégrale. Les " manuels uniques ", dont certains ont été conçus par des proches de certains membres du " groupe d’experts ", ont été tous rejetés.

Étant donné que les deux collections concurrentes sont toutes deux de très bonne qualité, voilà une bien bonne nouvelle !

 

3. La communauté française de Belgique vient de promulguer de nouveaux programmes, applicables en 2002, avec un net retour à la littérature en 1e et 2e année (nos 6e et 5e), auxquels s'ajoute, en 6e année, et sur décision expresse et personnelle du ministre, l’exigence de 5 dissertations sur des sujets généraux.

Donc, en ce qui concerne les travaux écrits au 3e degré, la commission des programmes demande 8 travaux écrits dont 2 textes argumentatifs et 2 résumés au minimum, et le Ministre a ajouté 5 dissertations traditionnelles en 6e année.

Le nouveau programme donc est nettement plus dense en matière de littérature. Auparavant, il n’y avait aucune exigence précise dans ce domaine. Ce programme repose sur un décret du parlement de la Communauté, ce qui est également nouveau.

Par ailleurs, l’enseignement libre de Belgique est également en train de se réformer dans le même sens : les réseaux libres, communaux (rares) et provinciaux (un peu moins rares) ne sont pas concernés mais sont néanmoins tenus par le même décret ; ils vont donc également remplacer leurs programmes.

 

Bref, encore une fois la preuve est faite que notre " Groupe d’experts ", qui se veut si novateur, ne tire pas la leçon des expériences faites au Québec et tout près de chez nous en matière de programmes, et, bon dernier, avec quinze ans de retard, nous lance dans des voies qui, le moins que l’on puisse dire, " n’ont pas fait leurs preuves à l’examen ".

Notre " groupe d’experts ", qui s’était déjà signalé naguère en prenant l’abbé Lhomond (auteur du De Viris illustribus, 1779) pour un authentique auteur latin, est-il, tout seul, en train de réinventer la roue ? Ces braves gens sont-ils trop débordés, trop doctrinaires, ou trop sûrs d’eux, pour ne pas aller voir ailleurs ? Pourtant, les textes officiels des pays amis sont sur le site de leurs Ministères respectifs !

Cela ne va-t-il pas poser un problème d’homologation des diplômes en Europe ? Allons-nous être bons derniers dans la Communauté, avec un baccalauréat de français qui fera rire nos voisins ? Ne pourrions-nous pas faire profiter nos enfants de l’expérience des autres, afin de leur éviter de déplorables errances ?

 

Anne MF SCULFORT

(1) Voir avant-propos de Jean Garon, ministre de l’éducation, Programme d’études du Québec, 1er novembre 1995.

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04/04/2001


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