Les programmes de français à la lumière de leur « accompagnement »

Avec l'aimable autorisation de l'auteur et de L'École des lettres.


      Chaque professeur de lycée a dû recevoir le document d’accompagnement des nouveaux programmes de seconde et de première [1] et mesurer par lui-même son importance quantitative et qualitative : si la lecture de ces 135 pages au format A4 et sur deux colonnes demande beaucoup de temps, elle fournit des précisions et des éclaircissements dont la connaissance est indispensable à la mise en œuvre des programmes, et même à leur bonne compréhension. C’est sous cet angle que ce texte va être examiné ici, non pour présenter un compte rendu qui pourrait dispenser de sa lecture, mais pour l’interroger comme un prolongement, un aboutissement même, qui rend plus clairs la cohérence de ces programmes, les objectifs qu’ils poursuivent, les démarches qu’ils préconisent. La réflexion qui suit sera donc limitée ; elle trouve sa source dans une impression de lecture, partagée, semble-t-il, par d’autres collègues à qui ce document d’accompagnement a donné quelque peu le vertige.
      « Le programme est ambitieux », « le programme peut paraître lourd à première lecture », reconnaît le document à propos des séries technologiques (pp. 98 et 101). On voit mal ce qui avait pu faire craindre à certains un appauvrissement des études littéraires, sinon, paradoxalement, cette ambition même, dans la mesure où elle peut conduire à multiplier les approches superficielles pour tenter de "couvrir" un champ trop vaste. C’est donc cette ambition et ses conséquences éventuelles qui seront analysées, en privilégiant trois grands domaines : l’histoire littéraire, les épreuves du bac, l’extension donnée à la notion de genre.
      Mais d’abord, une précision : on ne s’arrêtera pas aux subtilités de rédaction qui font alterner l’injonction, la recommandation et la proposition, on ne se demandera pas quelles nuances distinguent, les formules « il est nécessaire de », « il est recommandé de » ou « il est souhaitable de », réunies par exemple à la page 47, on n’épiloguera pas non plus sur les emplois du verbe pouvoir, qui hésite toujours, dans ce contexte, entre la prescription et l’exemple : les consignes et les conseils seront considérés comme les modulations d’une même voix qui définit pour les professeurs des contenus et des pratiques.


I. L’histoire littéraire

      La structuration du programme par des catégories comme le genre, le registre, la genèse et la réception des textes, l’argumentation ne fait nullement disparaître l’histoire littéraire, qui voit au contraire son domaine encore élargi. Un double mouvement, en effet, rejette l’exhaustivité mais définit des exigences et des pratiques qui reconstituent les conditions d’un empilement des connaissances. Ainsi la « saisie panoramique » de l’histoire littéraire est condamnée au profit des « moments-clés de l’héritage culturel » (p. 12) ; mais la Préface nous a déjà prévenus que l’ambition (comme la métaphore…) reste la même : « À l’issue des deux années, ils [les élèves] doivent disposer d’une perspective d’ensemble pour les scansions majeures de cette histoire, mais il ne saurait être question ni de limiter son extension, ni de la transformer en prêt-à-penser » (p. 9). Est-ce si différent de « la perspective d’ensemble sur la littérature du Moyen Âge à l’époque contemporaine » que préconisaient les anciennes Instructions officielles [2] ?
      Un examen minutieux est ici nécessaire pour savoir quelles sont « les scansions majeures » de l’histoire littéraire à enseigner au lycée. Les programmes stipulent qu’en seconde et en première, « l’étude porte sur un des mouvements majeurs qui structurent l’histoire littéraire et culturelle française » et que « la démarche de contextualisation […] est sollicitée en tant que de besoin dans les autres objets d’étude » [3]. Le document d’accompagnement apporte à ce sujet une double précision importante. D’une part, il fournit pour chaque classe une liste dans laquelle le professeur doit choisir « un de ces mouvements » (p. 26) : en seconde, « Pléiade, classicisme, romantisme, art pour l’art, réalisme/naturalisme, littérature engagée » ; en première, « humanisme, baroque, Lumières, symbolisme, surréalisme » (p. 13). D’autre part, il prescrit, beaucoup plus nettement que les programmes, l’étude de l’ensemble de ces mouvements. C’est ce qui ressort de la lecture du premier paragraphe de la page 27 qui énumère, parmi les « autres mouvements littéraires » pouvant être étudiés en « perspective complémentaire », « le classicisme », « la Pléiade », « le réalisme et le naturalisme », « la littérature engagée », « l’art pour l’art », soit cinq des six mouvements de la liste de seconde, le sixième, le romantisme, apparaissant de fait comme le mouvement à « étudier en tant que tel » alors que le paragraphe précédent laissait le choix entre « le romantisme, le réalisme et le naturalisme, la littérature engagée » (p. 26). Le document d’accompagnement apporte donc une précision essentielle : les six mouvements littéraires cités page 13 sont tous abordés en classe de seconde, et parmi eux c’est le romantisme qui fait l’objet d’une étude spécifique. La liste fournie n’est d’ailleurs pas limitative puisqu’« il est bon également d’initier les élèves à d’autres phénomènes de l’histoire littéraire, qui n’en constituent pas des scansions majeures, mais qui permettent de contextualiser les œuvres et les textes lus » (p. 27). La même observation peut être faite concernant la classe de première : le paragraphe de la page 29 montre comment on peut associer les cinq mouvements littéraires de la liste aux différents objets du programme et recommande d’en aborder d’autres. Lesquels ? « Le Parnasse, le régionalisme, le Nouveau Roman, des courants comme la préciosité, le libertinage, ou celui qu’on désigne sous le nom d’absurde, et enfin des phénomènes comme la querelle des Anciens et des Modernes, la revendication identitaire dans les anciennes colonies… » (p. 13). Soulignons les points de suspension : le panorama est singulièrement large. Certes, ces mouvements littéraires, aussi bien ceux des listes initiales que les autres, peuvent être étudiés avec des niveaux d’exigence et d’approfondissement divers ; il n’en reste pas moins que c’est l’ensemble de l’histoire littéraire qui doit être abordé. La volonté d’exhaustivité est bien réelle ; elle se mesure aussi au fait que la Pléiade, qui ne figurait pas dans la première version des documents d’accompagnement, a été ajoutée dans la seconde, sans doute pour faire droit aux critiques des professeurs attachés à un parcours chronologique et qui voyaient dans les nouveaux programmes la disparition du seizième siècle en seconde (la Pléiade est ainsi associée, par un lien quelque peu forcé, à l’objet d’étude « l’éloge et le blâme »).
      Cette longue explication (expliquer, c’est toujours déplier…) met en lumière le mode d’articulation particulier du programme officiel et du document d’accompagnement : il faut bien constater en effet que le premier (seul texte réglementaire) ne trouve sa pleine signification et ne dévoile sa véritable ampleur que grâce au second, qui l’éclaire rétroactivement. L’histoire littéraire occupe donc une place très importante dans le programme, alors même qu’elle ne sera pas évaluée directement à l’écrit puisque la diversité d’approche des mouvements littéraires interdit tout sujet commun de dissertation dans ce domaine. Cette exclusion, explicitement formulée à propos des séries technologiques (p. 99), vaut pour les autres séries.


II. Les épreuves et leur préparation

      La note de service redéfinissant les épreuves de français et les premiers exemples de sujets fournis par les annales "zéro" ont suscité beaucoup de questions. Bien que celles qui ont été posées dans les numéros 2 et 3 de L’École des lettres soient toujours sans réponse, la lecture du document d’accompagnement conduit à présenter d’autres observations.

Les questions sur le corpus

      Notons d’abord que la préparation des nouvelles épreuves risque fort de prendre encore plus de temps que dans l’ancienne formule, la diversité des « travaux d’écriture » s’étant accrue. Les élèves devront savoir en effet rédiger un commentaire et une dissertation mais aussi répondre à « une ou deux questions portant sur le corpus », ce qui exige un apprentissage : une question portant sur plusieurs textes ou documents appelle une réponse synthétique à laquelle ils sont, pour l’instant, peu préparés. L’expérience montre que la solution de facilité, pour eux, consiste à juxtaposer des reformulations et des citations selon une démarche "paralinéaire" qui esquive une véritable confrontation et même, souvent, une bonne analyse de ces textes. Or, on attend plutôt une réponse synthétique et concise, obtenue par la sélection des caractéristiques pertinentes de ces textes : l’analyse, même si elle est bien conduite, ne constitue qu’une étape, et la préparation de la réponse devient, de ce fait, plus difficile et plus longue.
      Dégager, par l’analyse, l’essentiel, organiser ensuite une réponse synthétique : ces opérations, sans nul doute plus intéressantes et plus formatrices que l’ancien résumé, demandent un apprentissage [4]. Elles intervenaient déjà dans le cours de français à l’occasion d’exposés ou de questions d’ensemble (elles sont d’ailleurs transdiciplinaires), mais elles prennent maintenant un caractère réglé et constituent un exercice nouveau, évalué à l’examen. Les élèves ne seront peut-être pas disposés à consacrer le temps nécessaire à une partie de l’épreuve notée seulement sur 4 points [5], mais le professeur, lui, devra prendre du temps pour les y préparer : c’est une charge supplémentaire dans un programme de travail déjà bien lourd, c’est aussi un temps de correction qui s’ajoute à celui demandé par le commentaire ou la dissertation dans l’ancienne formule.

Le commentaire

      Lors de la précédente réforme des épreuves de français, le remplacement du libellé par des « questions d’observation » avait déjà soulevé le problème de la réduction du temps laissé pour l’élaboration du commentaire. Ce problème, comme on vient de le voir, s’accroît quand on substitue à ces questions un exercice plus difficile et qui exige plus de temps (au moins une heure), ne serait-ce que parce qu’il porte sur un texte plus long ou sur un corpus de textes. Les exigences du correcteur restent-elles les mêmes quand le candidat ne peut plus consacrer que trois heures au commentaire [6] ? Le document d’accompagnement ne fournit pas de réponse claire, laissant probablement aux inspecteurs et aux professeurs, qui se réunissent en ce moment, le soin de définir et d’harmoniser les attentes des correcteurs sur ce point. Des relectures attentives de la page 97 permettent toutefois de présenter quelques observations, qui hésitent entre la conclusion et l’hypothèse.
      Le commentaire se voit assigner un « enjeu fondamental » : « le jugement critique », opération terminale qui en suppose trois autres : « L’élève est […] invité à analyser et à comprendre un texte puis à le caractériser, à proposer un jugement sur ce texte en fonction des caractéristiques essentielles qu’il a dégagées. » On peut se demander d’abord si ces quatre opérations, analyser, comprendre, caractériser, juger, sont vraiment distinctes et successives ; l’analyse constitue en effet une opération fondamentale qui permet aussi bien de comprendre la lettre du texte que ses « qualités littéraires » spécifiques et donc de formuler un jugement argumenté. Une autre question serait de savoir si la disposition du commentaire doit reproduire cette progression et aller de l’analyse des caractéristiques à la formulation d’un jugement – question légitime puisque, comme on l’aura remarqué, l’exercice ne s’appelle plus « commentaire composé », ni même « commentaire littéraire » comme en 1994, mais tout simplement « commentaire ». Sur ce point, la composition semble toujours exigée : le paragraphe intitulé « Les formes du commentaire » demande en effet que « le commentaire prenne appui sur les conclusions auxquelles celle-ci [la lecture analytique] l’a conduit » et distingue le moment de l’analyse et celui de la synthèse qui préside à la composition du devoir. C’est du moins ce que l’on peut inférer de la phrase suivante : « Mieux vaut donc admettre que les deux temps de l’analyse préalable du texte, puis de l’exposé synthétique des conclusions de cette analyse avec preuves – reprises d’analyses en détail – à l’appui soient clairement distincts dans l’esprit du lycéen ». Personne n’aura de mal à « admettre » que, dans la phase de préparation du commentaire, les opérations d’analyse et de composition soient successives dans « l’esprit du lycéen », à qui l’on enseigne souvent cette démarche comme une méthode de travail, même si on précise que, dans la réalité, des interactions constantes s’établissent entre la lecture analytique et la formulation des perspectives d’étude qui vont finalement structurer le commentaire. On regrettera, en revanche, que le document d’accompagnement ne précise pas plus clairement que le commentaire doit être composé et ne fournisse pas un cadre dans ce domaine, comme le faisaient les Instructions officielles de 1994. Celles-ci autorisaient d’ailleurs une organisation du devoir « allant de l’observation à l’interprétation [7] » ; peut-être le relatif flou des paragraphes du document d’accompagnement caractérisant le commentaire a-t-il pour fonction de préserver cette possibilité, alors même que la conception du texte comme "forme-sens" perdure puisque le professeur est appelé à prendre en compte « la sémantique » dans l’analyse des « faits de vocabulaire et de syntaxe ».
      La question du sens, posée dans le paragraphe intitulé « Commentaire et sens », n’y est en fait abordée que dans les premières lignes pour laisser très vite la place à celle de « l’appréciation du texte », précisée ensuite en « l’appréciation de l’originalité ». Celle-ci est définie comme l’aboutissement du commentaire puisqu’elle ne vient « qu’à la fin », après « le corps du propos » qui doit « rendre compte de ce que le texte présente de propriétés qui le caractérisent et qui font sa singularité ». Faut-il voir là une explicitation de la notion de « jugement critique », dont on pouvait se demander ce qu’elle recouvrait exactement ? Mais apprécier « l’originalité de la pensée » ou de « son traitement dans le texte », quand le thème développé est banal, constitue une réelle difficulté pour l’élève qui n’a pas « suffisamment lu », aussi n’intervient-elle que « le cas échéant ». L’articulation entre les notions de « jugement critique » (attendu dans le commentaire) et d’« appréciation de l’originalité » (simplement éventuelle) demanderait une clarification. On constatera aussi que la note publiée au BOÉN du 28 juin exige du candidat une « interprétation » et des « jugement personnels » [8] mais que le document d’accompagnement ne reprend jamais le terme interprétation. Le « jugement critique » est-il un « jugement personnel » ? Il faudrait sans doute préciser qu’il ne l’exclut pas (d’où son caractère facultatif) mais qu’il impose une interprétation du texte, laquelle n’a rien de particulièrement personnelle et doit au contraire s’appuyer sur un savoir-faire (l’analyse du texte) et sur des connaissances extérieures au texte.
      Il semble bien que ces imperfections de rédaction soient calculées et justifiées par le désir de renforcer, fût-ce artificiellement, la cohérence des programmes et des épreuves. C’est ce qu’indiquent le début du développement intitulé « Commentaire, dissertation, invention : étapes et progression » ainsi que les affirmations qui présentent le commentaire et la dissertation comme deux exercices d’argumentation et de formation du jugement critique. La finalité politique, « la formation du citoyen », l’emporte ici sur le souci de définir plus précisément les exercices.

La dissertation

      Les Instructions officielles présentent la dissertation comme « une réflexion personnelle et argumentée à partir d’une problématique littéraire issue du programme de français » [9]. Le document d’accompagnement en donne une définition plus large et en fait « un exercice de la délibération ». Il résume sa démarche par « le schéma suivant : une proposition est présentée aux élèves, sous la forme d’un jugement ; ils sont invités à en dégager tous les arguments et à en apprécier le bien-fondé ; puis il s’agit d’envisager les arguments qui divergent d’avec ce point de vue initial, voire s’y opposent ; dans un troisième temps enfin, les élèves prennent eux-mêmes position » (p. 96). Là encore, la rédaction suscite quelques interrogations, surtout si on confronte cette démarche avec deux sujets types présentés en septembre dernier.

Sujet 1. « Suffit-il de se souvenir pour écrire un récit autobiographique ? […] »

Sujet 2. « Dans sa lettre à Hetzel (texte C), Victor Hugo propose de " réveiller le peuple ". Les poètes, les écrivains, les artistes en général, vous paraissent-ils pouvoir, mieux que d’autres, remplir cette mission ? […] »

      Il est clair, tout d’abord, que les questions posées ne sont pas vraiment ouvertes et qu’elles laissent aux élèves peu de liberté pour « pren[dre] eux-mêmes position ». Les connaissances qu’ils ont acquises sur le genre autobiographique, et qui relèvent d’une doxa scolaire transposée d’un savoir universitaire, leur interdisent de donner une réponse positive à la première question. Donner une réponse négative à la deuxième demanderait des justifications difficiles à produire et qui montreraient, par exemple, que les Châtiments n’ont eu aucun effet sur l’attitude du peuple vis-à-vis du Second Empire ; ou bien, on courrait le risque de sortir du champ littéraire en affirmant que les journalistes, les politiques, les hommes de religion, les vedettes du moment, etc., ont plus de pouvoir que les écrivains et les artistes. On voit mal, d’ailleurs, en lisant ce genre de « jugement » qui se présente sous la forme simplifiée d’une question, comment on pourrait « en dégager tous les arguments » : les arguments favorables ou opposés à la position suggérée par la question sont à dégager des textes étudiés en cours (et c’est très bien ainsi), éventuellement des textes du corpus. Une telle question exprime donc en fait un point de vue qui appelle une illustration – certes, argumentée – plutôt qu’une délibération dont l’issue serait incertaine.
      Mais alors, c’est la validité de la troisième partie de la dissertation qui se trouve mise en cause et, plus largement, la « démarche » proposée. Le document d’accompagnement opère ici une sorte de réduction par rapport aux dispositions du texte réglementaire en imposant une organisation formaliste du devoir, celle que les élèves ne connaissent que trop et qui fait se succéder le « pour » et le « contre ». Une autre réduction est envisagée quand on accepte que la confrontation de deux points de vue divergents prenne « la forme d’un dialogue », comme dans l’écriture d’invention. Cet effacement des frontières entre les exercices, qui s’accompagne, comme on va le voir, d’un effacement des frontières entre les genres, ne peut conduire qu’à des simplifications excessives, qui sont peut-être le complément nécessaire d’un programme trop ambitieux.

L’écriture d’invention

      Le document d’accompagnement précise que l’écriture d’invention est liée à l’argumentation indirecte (« L’écriture d’invention, en première, s’associe principalement à l’argumentation », p. 45) alors que la dissertation ressortit à la délibération. Le troisième sujet des nouvelles épreuves apparaît ainsi comme un avatar de l’ex-premier sujet (écriture d’un texte argumentatif). Cette spécialisation du sujet d’invention présente l’avantage de le rapprocher des deux autres : tous comportent une dimension argumentative, ce qui établit entre eux un semblant d’égalité. La question est de savoir si, dans l’argumentation indirecte (argumenter dans un dialogue de théâtre, par exemple), l’invention n’introduit pas une contrainte supplémentaire au détriment de l’argumentation. Les professeurs qui ont corrigé le sujet de juin 2001 (les vœux d’un responsable de l’État), qui donnait un avant-goût de ce genre de sujet, en savent quelque chose.
      On voit mal, d’autre part, comment les élèves pourraient ici « pren[dre] l’initiative de ce qu’ils ont à écrire » (p. 89) puisque, précisément, l’écriture doit obéir à des consignes et que son contenu même est orienté par le sujet quand on demande de rédiger un article qui « attaque, critique et condamne le poème "Souvenir de la nuit du 4" » ou qui « salue le courage de Victor Hugo et rend hommage à son talent ». On risque en outre, dans cet exemple, de faire pratiquer une sorte de sous-commentaire, dans d’autres une sous-dissertation : que gagne-t-on, là encore, à la confusion des exercices ?
      Enfin l’apprentissage de l’écriture d’invention est rendu difficile par la diversité de ses formes, qu’indique le texte officiel et sur lesquelles le document d’accompagnement ne revient pas.

La préparation

      Les exercices apparaissent donc moins "cadrés" que dans l’ancienne formule, ce qui ne facilite pas leur préparation. C’est sans doute pourquoi le document d’accompagnement précise le rythme des devoirs et « la progression annuelle en première » (pp. 80-81). Les Instructions officielles de 1988 prévoyaient « huit à dix » devoirs « dans la forme où ils sont prévus à l’examen » et « des exercices plus limités dans leur objet et dans leur volume » [10]. Pour trouver le nombre d’exercices désormais « recommandé », il faut se livrer à un petit calcul. Chaque type de « travail d’écriture » (commentaire, dissertation, invention) doit faire l’objet d’un devoir pour les élèves « au moins deux fois dans l’année », soit six devoirs ; « une séquence dans l’année au moins – outre les "bacs blancs" – doit leur donner l’expérience de cette situation », soit respectivement un et deux (ou trois) devoirs. On aboutit à un total de neuf ou dix devoirs, ce qui, rappelons-le, constitue un minimum, auquel s’ajoute « au moins un exercice court d’expression écrite » par séquence, c’est-à-dire, si le professeur consacre une séquence à chacun des objets d’étude, au moins cinq dans les séries ES et S, au moins quatre dans les séries technologiques, au moins sept dans la série L. S’il veut en outre vérifier ou guider par des questions la lecture préalable ou la lecture complémentaire d’une œuvre intégrale [11] (six œuvres, au moins, doivent être lues), la surcharge de travail devient proprement écrasante.
      Le contraste risque en outre d’être très fort avec la seconde, où l’on recommande trois devoirs complets (un de chaque type), préparés par des « exercices brefs [qui] en construisent les étapes ». Sans nier leur nécessité de ménager des apprentissages et des progressions, on peut préférer une confrontation plus fréquente aux exercices complets : de même qu’on n’apprend pas à marcher en décomposant les mouvements des jambes, il faut aussi "se lancer" dans ces exercices et s’y entraîner, la répétition étant un gage de progrès.


III. La notion de genre

      L’ambition de ces nouveaux programmes, et donc la surcharge de travail qu’il impose aux professeurs et aux élèves, découle aussi de la volonté d’embrasser la diversité des genres et sous-genres littéraires afin de couvrir, dans ce domaine comme dans ceux de l’histoire littéraire et de l’écriture, le champ le plus large. On comprend bien l’intérêt d’une mise en question de l’étiquetage conventionnel et péremptoire des frontières entre les genres, toujours transgressées par l’infinie diversité des œuvres. Il reste que le souci d’une réflexion sur la diversité des formes conduit à multiplier les objets d’étude. Le paragraphe consacré à « la connaissance des grandes formes et des principaux genres poétiques » (p. 38) témoigne de ce souci et de cette ambition puisqu’il préconise l’étude des « grandes formes de l’écriture poétique », des genres poétiques (sonnet, ballade, ode, épopée, satire), des « grands lieux de la poésie (dire l’amour, dire la guerre, dire la mort, dire la révolte, etc.) ». Cette recommandation n’est pas à prendre à la légère : étant donné que le sujet de dissertation du baccalauréat, pour être accessible à tout élève, ne peut porter que sur les genres qui figurent au programme de première (la poésie, le théâtre, le biographique, l’essai, l’apologue, le dialogue), donc, en pratique, sur une des formes ou un des problèmes caractéristiques d’un de ces genres, la bonne préparation sera celle qui aura abordé l’ensemble de ces formes et de ces problèmes. On en a un exemple avec le sujet sur Hugo déjà cité, qui mettrait en difficulté les élèves n’ayant pas étudié la poésie "engagée", celle qui se propose de « réveiller le peuple ». À ce programme déjà pléthorique, le document d’accompagnement ajoute encore deux listes – non limitatives – de poètes français et étrangers auxquels « il est nécessaire de faire place » (p. 40).
      De même, en ce qui concerne « le biographique » (p. 46-47), le professeur doit non seulement en montrer les « fonctions » mais aussi « donner à percevoir les moments-clés [de son] évolution » historique (biographie antique et médiévale, Mémoires, autobiographie, journal, autofiction, roman biographique). Le champ ainsi couvert est très vaste, et on l’élargit encore en effaçant la frontière entre les genres, en ajoutant « des romans autobiographiques » (« Vallès, Proust, Céline »), « des biographies fictives et des romans biographiques » comme Une vie. À ce titre, « le biographique » engloberait tout roman qui, comme Eugénie Grandet ou Madame Bovary, conduit le protagoniste jusqu’à sa fin, mais aussi les romans « de formation », du Père Goriot à Bel-Ami. C’est pourquoi, alors que les programmes prévoient d’étudier « une œuvre littéraire accompagnée de textes et de documents complémentaires ou un groupement de textes et des documents complémentaires » [12], le document d’accompagnement précise qu’« il est souhaitable » de choisir « une œuvre accompagnée de quatre textes étudiés analytiquement et de deux à trois textes et documents envisagés plus cursivement », autrement dit une œuvre et un groupement de textes : le complémentaire est mis sur le même pied que le principal.
      La même démonstration pourrait être faite à propos des autres genres. Signalons simplement que l’extension donnée à la notion de genre conduit à s’intéresser aussi, en ce qui concerne l’oral, aux « genres du quotidien (conversation, discussion, récits… »), à « la chanson », aux « contes, sermons, oraisons funèbres… » : tout est genre, même « les formes de cours » (p. 87).


      Vus à la lumière du document d'accompagnement, les nouveaux programmes apparaissent comme un véritable défi : la multiplication des exercices écrits, et plus largement des activités, le désir de donner une vision d’ensemble de l’histoire littéraire et culturelle, des genres et des formes, conduisent à définir un projet volontariste et ambitieux. On aimerait, pour tout dire, que les étudiants de DEUG bénéficient d’un tel enseignement. Au niveau du lycée, il paraît souhaitable de modérer quelque peu cette belle ambition, ce qui implique une réduction du programme dans son extension. Faute de quoi, inévitablement, c’est l’approfondissement de la réflexion, c’est l’assimilation des savoirs, ce sont les exigences qui seront réduites, comme elles menacent déjà de le faire pour les épreuves du baccalauréat, et on connaîtrait une nouvelle fois cette situation anti-pédagogique et démobilisatrice par excellence qui consiste à se contenter de peu quand on demande beaucoup trop.

Jacques Vassevière

(L'École des lettres second cycle, 2001-2002, n°7, pp. 3-13)

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1. Français, classes de seconde et de première, CNDP, septembre 2001. Saluons, au passage, cette attention inhabituelle, et espérons qu’elle deviendra la règle : jusqu’ici, les professeurs devaient acheter les brochures du CNDP contenant les Instructions officielles.

2. Note de service n° 94-179 du 14 juin 1994, reprise dans Français, classes de seconde, première et terminale, CNDP, 1998, p. 49.

3. Programmes de seconde et de première, repris dans L’École des lettres, 2001-2002, n° 1, pp. 61-62 et 67-68.

4. Assez curieusement, ces opérations sont abordées dans le document d’accompagnement à propos des exercices permettant de pratiquer l’écriture d’invention, sous la rubrique « Analyser » : « à partir d’un ou plusieurs textes, l’élève est amené à inventorier les arguments et les procédés qu’il emploie et à en établir un répertoire ordonné » (p. 94). Cette démarche est aussi celle du commentaire (voir plus loin).

5. Valoriser davantage cette question, c’était réduire d’autant, donc dévaluer, le commentaire et la dissertation.

6. Dans la formule précédente, le candidat devait aussi répondre à des questions, mais celles-ci concernaient le texte à commenter et engageaient déjà son analyse. Le temps consacré à ces questions n’était donc pas "perdu" pour le commentaire, qui, dans certains cas, se contentait de développer ces réponses.

7. « Le candidat peut par exemple s’attacher à caractériser le texte en allant de l’observation à l’interprétation. Il peut reconstruire les étapes successives de la lecture et de la découverte. Il peut encore s’inspirer des structures mêmes du texte et de sa composition ou organiser son commentaire d’après les effets qui s’y développent. » (Note de service n° 94-179 du 14 juin 1994, reprise dans Français, classes de seconde, première et terminale, CNDP, 1998, p. 50.)

8. L’École des lettres, 2001-2002, n° 1, p. 74.

9. BOÉN du 28 juin 2001, L’École des lettres, 2001-2002, n° 1, p. 74 .

10. Français, classes de seconde, première et terminale, CNDP, 1998, p. 37.

11. La « lecture cursive », demandée comme lecture préalable d’une œuvre étudiée ou comme lecture d’une œuvre complémentaire, doit être menée « de façon aussi autonome que possible », recommande le document d’accompagnement (p. 83), après avoir précisé : « le professeur donne des indications pour rendre ces lectures plus profitables et en réalise des bilans en classe. Il n’est pas tenu de noter ces lectures cursives » (p. 82). C’est dire que cette lecture gagne à être guidée, mais aussi qu’une lecture active et attentive demande plus de temps ; peu d’élèves sont disposés à la pratiquer sans la perspective, contraignante et / ou stimulante, d’une évaluation.

12. Programmes de première, L’École des lettres, 2001-2002, n° 1, p. 68.


Lire aussi :
- Cinq questions sur l’oral de l’ÉAF ;
- Nouvelles questions sur le français au baccalauréat.