Accueil

La réforme

Analyses

Actions

Contributions

Liens

Presse


Contact

Recherche

Retour


    
Appel à la mobilisation

contre la suppression de la dissertation au baccalauréat


La dissertation, cette "vieille dissertation", est "moribonde", nous dit-on. Au nom de l'innovation, du XXIe siècle, du nouveau public lycéen, on nous annonce discrètement (en plein été) la suppression de la dissertation au baccalauréat de français 2002 : le nouveau programme de français en seconde, tel qu'il est présenté dans le B.O. hors-série n° 6 du 12 août 1999, ne laisse guère planer de doute à ce sujet. Si le contenu de ce texte officiel se veut flou, il n'en laisse pas moins transparaître des présupposés condamnables et des enjeux alarmants, que la lecture des Actes des journées inaugurales du plan de formation des professeurs de français qui se sont tenues au lycée Janson de Sailly cet automne vient confirmer (Ecole des Lettres n° 7 du 1. 12. 99).

L'imminence de la mise en œuvre de cette réforme - élaborée dans l'ombre, sans la participation des enseignants qui sont pourtant les professionnels compétents pour en évaluer la pertinence - nous incite à réfléchir sur son sens, car la menace qu'elle porte ne vise pas le seul enseignement du français, mais toutes les disciplines qui ont recours à la dissertation (SES, histoire-géographie, philosophie), et in fine le lycée lui-même comme lieu de transmission de la culture, de formation au jugement critique et à l'élaboration d'une pensée autonome.

L'enseignement du français au lycée subit une révolution inacceptable, guidée par des objectifs aussi ambitieux sur le papier que matériellement irréalisables au vu de la réduction des horaires en classe entière. Quoi qu'il en soit, ces objectifs s'avèrent dangereux. Par des déclarations de principe et une formulation vague qui superpose anciennes et nouvelles pratiques, le B.O. entend fédérer et rassurer. Il ne nous engage pas moins , faute de temps pour conserver les méthodes traditionnelles avec les nouvelles, sur la voie d'une instrumentalisation du français en vue de l'insertion des élèves dans la vie active. Ainsi, la dissertation en tant qu'exercice du jugement critique et esthétique sur les textes littéraires disparaît au profit de travaux d'imagination, d'imitation et de persuasion à partir de textes tant littéraires que non littéraires, tous mis sur le même plan en tant que discours humains ou "espaces des opinions" (ce sont les mots de M. Viala, Président du Groupe Technique Disciplinaire de Lettres…). Les textes littéraires perdent de fait leur statut d'œuvres d'art singulières. Le cours de français devient une simple préparation aux situations de communication dans le monde du travail et à la reproduction servile de codes et usages langagiers.

Le problème va vite s'étendre aux autres disciplines du lycée. Les bases méthodologiques de la dissertation étant posées en français, l'exercice est condamné à court terme en histoire-géographie, en philosophie et en sciences économiques et sociales. Supprimer la dissertation dans toutes ces disciplines relève d'un processus global déjà appliqué en mathématiques (où on ne fait plus de démonstrations) : c'est supprimer au lycée l'apprentissage de la construction logique, à la fois analytique et synthétique, de la pensée. C'est s'orienter vers un enseignement "zapping", fait de "flashs", où on ne fait que tout survoler sans demander d'effort intellectuel suivi aux élèves. Car la dissertation exige, certes, un effort difficile ! Nous réaffirmons donc l'utilité de la dissertation à l'école comme dans la vie, en tant qu'activité porteuse de cet effort essentiel qui consiste à s'arracher aux "opinions", aux "avis" (mots grossièrement pris comme synonymes de pensée par les réformateurs !), effort pour aller au-delà de l'impression subjective, de l'intuition immédiate, de la liberté illusoire qui consiste à agencer de manière plus ou moins habile les lieux communs dont les élèves sont abreuvés. En bref, un effort irremplaçable d'esprit critique, d'autonomie et de constitution de l'individu.

C'est par conséquent la finalité de l'enseignement secondaire qui se trouve mise en cause. Les objectifs avoués par les réformateurs, cette "cohérence des cursus d'apprentissage de la Sixième à la Terminale", cette "meilleure formation des lycéens d'aujourd'hui" qui doit "tenir compte de l'évolution de(s) discipline(s)" (pour reprendre les termes du B.O.), doivent être dénoncés comme un discours "langue de bois", grâce auquel on entérine l'affaiblissement des exigences scolaires. Le concept du "nouveau public lycéen" est plus que suspect : ceux qui affirment que "donner un même français pour tous (…) est un principe de nature politique" et en tant que tel sujet à "être décliné" face aux différentes catégories d'élèves (nous rapportons les propos de M . le Doyen de l'Inspection Générale des Lettres), se donnent un alibi pour renoncer à la mission républicaine de l'école. Accusés nous-mêmes d'élitisme, nous accusons d'élitisme pervers ces décideurs qui considèrent que les élèves défavorisés culturellement n'ont par exemple nul besoin d'accéder aux œuvres classiques. Une démocratisation authentique de l'enseignement consiste justement à confronter ce "nouveau public" à un certain dépaysement intellectuel, à un héritage culturel universel, voire au goût de la beauté. N'est-ce pas la seule manière de les arracher aux ghettos ?

Aucune modalité n'a été mise en œuvre pour recueillir les propositions des collègues lors de la session de mai 2000 du Conseil supérieur de l'Education qui devrait examiner des "ajustements" à cette réforme. Mais il n'y a pas d'ajustement possible. Nous lançons donc un appel à la mobilisation de tous les collègues pour s'opposer à une réforme qui, sous couvert d'une démocratisation de l'enseignement secondaire, cède en fait à la facilité, au dogme du rendement immédiat et du plus petit coût possible, annonce la dévalorisation de la qualité de l'enseignement public en France en proposant une culture au rabais pour ce "nouveau public" qu'un Lycée devenu garderie aura confirmé dans ses préjugés et laissera désarmé face aux marchands d'orviétan du prochain siècle.

Les professeurs du lycée Jules Ferry.

Coulommiers, le 25 janvier 2000.

Ce texte est paru dans Le Monde du 04/03/00, sous la signature de Fanny Capel, professeur de lettres, et Emmeline Renard, professeur de philosophie au lycée Jules Ferry (Coulommiers, 77). Il a été cosigné par 101 autres professeurs (sur 137) de cet établissement.

Pour télécharger ce texte : coulom.rtf

Retour  Haut