Consultation nationale sur le projet de programme d’enseignement du français
en classe de Première des séries générales et technologiques.


A une première lecture du projet de programme, et à quelques détails de langage, on éprouve tout d’abord une sorte de soulagement : on perçoit dans le projet un relatif gommage des théories d’Alain Viala, et peut-être une remise en cause des orientations autoritaires qu’il avait données à l’enseignement du français. L’homme en effet n’y est plus : l’emphase insupportable, le verbiage ampoulé et les formulations contournées ont disparu dans les quelques passages récrits, faisant place à un langage plus direct, qui élimine par ailleurs, à l’occasion, quelques termes lourds de sens.

C’est ainsi que la formule engoncée " le biographique " disparaît, " les scansions historiques ", " les grandes ruptures qui scandent l’histoire littéraire " sont remplacées par " les grandes périodes qui ont marqué le déroulement de l’histoire littéraire ", " la capacité de délibérer " n’est pas reprise dans les Contenus où " la réflexion sur les registres " n’est plus une perspective autonome ni " les opinions " au goût du jour, l’" invention " disparaît des acquis  accordés aux travaux personnels encadrés, et chaque " objet d’étude " a maintenant de simples " perspectives ", débarrassé de la hiérarchie des " dominante " et " complémentaire " lourdement répétitives qui martelaient sans cesse " genre ", " registre ", " argumentation et effets sur le destinataire ".

Mais si ces menus détails témoignent d’une désapprobation peut-être, d’un infléchissement certainement, ils ne remédient pas aux défauts majeurs des programmes de 2001. L’esprit en effet, défini dans des Finalités quasi inchangées, en reste le même, soumettant toujours des élèves démunis à des perspectives universitaires hors de portée fructueuse de leurs connaissances et de leurs lectures, sans leur donner le moyen d’acquérir les premières ni dominer les secondes. La reprise amidonnée et inaudible, après chaque " objet d’étude ", des systématiques " perspectives d’étude : connaissance des genres et des registres ; approche de l’histoire littéraire et culturelle ; réflexion sur l’intertextualité et la singularité des textes " témoigne de cette stérilisation éloignée du quotidien des classes.

Une remarque s’impose ici. S’attaquant au programme de première sans toucher à l’amont, le projet de programme ignore superbement les difficultés de la seconde, où les collègues sont tous confrontés aux grandes lacunes de la plupart des élèves qui n’ont pas acquis, du primaire au collège, une maîtrise suffisante de la langue française pour parvenir aussi bien à une compréhension aisée des textes qu'ils vont rencontrer que pour affronter les difficultés des exercices d'écriture qui leur seront proposés.

Il semble donc nécessaire et urgent que l'enseignement de la langue (orthographe, grammaire, conjugaison) reprenne toute sa place dans la scolarité antérieure, servi par des horaires conséquents, sans être confondu en primaire avec des activités transversales ni limité au collège à une sorte d'accompagnement des autres " objets d'étude ". Aucune prétention ne servira de rien si cette maîtrise de la langue n’est pas assurée dans le premier cycle.

En outre, ce " replâtrage " incomplet, touchant à une année en négligeant celle qui la précède, crée de nouveaux problèmes à côté de ceux qu’il ne résout toujours pas : l’absence de l’étude de la poésie en seconde reste un point pendant ; empêchant d’aborder des questions de langue qui seraient fructueuses, à travers " les relations entre forme et signification " proposées seulement en première, elle continue de faire cultiver au projet la technique de la poudre aux yeux : qui va croire un seul instant qu’en une quinzaine d’heures, la durée maximale d’une séquence, un élève démuni de connaissances et d’analyses antérieures, qui ne sait même pas reconnaître un sujet inversé ni évaluer une métaphore, va " discerner les continuités et les évolutions qui ont marqué l’histoire de la poésie " " en situant les textes étudiés à l’intérieur des mouvements littéraires qui les ont influencés " - dont il ignore presque tout ? Le faible nombre des textes prévus (" un recueil de poèmes ou un groupement de textes poétiques du XVIème au XXème siècles ") ne peut de toutes façons que conduire, en ce domaine comme dans les autres, à la caricature, et au sacrifice d’une singularité que par ailleurs on prétend faire surgir.

Les " objets d’étude ".

Les modifications portent essentiellement sur eux. Une remarque s’impose : le principe de l’" objet d’étude " porte en soi des problèmes que ne résolvent pas les modifications du programme puisqu’elles le reprennent à leur compte : lié à un titre réducteur et à une approche formelle par genre, il a tendance à figer les problématiques possibles et à restreindre les sujets du baccalauréat à quelques questions de cours prévisibles et dénuées de tout intérêt proprement littéraire, comme on a pu le voir pour l’"objet " Convaincre, persuader, délibérer, réduit en dissertation à l’exposé de techniques argumentatives. Ce principe conduit à des problématiques larges de type universitaire, inaccessibles à des élèves qui ne peuvent disposer en deux ans de lectures et de références maîtrisées, et à la déformation ou à la schématisation des œuvres, réduites à illustrer des titres de rubriques faisant bon marché de leur sens et de leur singularité. Même si le problème a été perçu, et l’emphase de certaines formulations supprimée en poésie (" enjeux ") et en théâtre (" le texte de théâtre " remplace avantageusement l’expression " le langage théâtral " qui a pu conduire aux sujets d’examen de 2004 excluant le texte et la langue au profit du… costume), le maintien de ce filtre obligé de l’"objet " paralyse l’accès direct à l’œuvre.

Si l’on ne peut que se réjouir de l’introduction du roman en première, réclamée dès l’instauration du programme en 2000, et de pouvoir aborder avec les élèves les grands romans de Balzac, Flaubert ou Stendhal, la perspective retenue (Le roman et ses personnages : visions de l’homme et du monde) en restreint la portée et conduit à des perspectives étroites : va-t-on proposer aux élèves une galerie ou une typologie de personnages, aussi figées que fausses, pour pouvoir satisfaire aux exigences des sujets de dissertation ? Quels sujets proposer, hors de la bien problématique " vision du monde " que ne recouvre pas forcément dans le roman la notion de personnage et qui peut tout autant dépendre de la structure ou de l’intrigue de l’œuvre ? Cette perspective d’ailleurs, essentiellement pertinente pour le XIXème siècle, réduit le champ des œuvres possibles, de surcroît limité par le programme de la seconde, consacré aux XIXème et XXème siècles dont les élèves peuvent déjà avoir étudié un roman. Revu partiellement et dans ces conditions alors qu’il répond à une attente, le programme du lycée devient source de difficultés nouvelles. L’étude du roman quel qu’il soit s’en trouve compliquée : comment le faire entrer dans la perspective retenue sans le trahir ? Quel roman choisir dont le personnage serait suffisamment représentatif de la problématique de l’examen ? On voit déjà fleurir (ou refleurir) le fameux " roman d’apprentissage "…

La disparition du " biographique " (cheval d’étude d’Alain Viala) dans les autres séries que L, est aussi un soulagement. " Objet d’étude " pléthorique par ses perspectives recouvrant " les diverses formes du biographique ", des  mémoires  à l’autofiction et… au roman puisque les Documents d’accompagnement y faisaient entrer par exemple Une vie, il conduisait à un passage en revue fastidieux, sec et faux, de notions difficiles à acquérir et pièges à examen, et à la trahison des œuvres, dont les plus importantes étaient souvent dans les " descriptifs " mal représentées : combien d’Annie Ernaux et d’Amélie Nothomb, au lieu des Confessions ou d’Enfance ?

A ce propos apparaît une préoccupation de taille : dans les deux " objets d’étude " spécifiques à la série L (" autobiographie " et " réécritures "), l’adjectif " littéraire " à côté d’ " œuvre " disparaît… Serait-ce le présage de la disparition de la spécificité de la série, trop consacrée à " l’austère sacralisation du texte " selon l’inspection générale, pour qui " le champ littéraire doit s’élargir " ? Serait-ce qu’en L l’œuvre littéraire n’est plus objet d’étude ? Quel est ce retour au premier programme de 99, qui sous la houlette de l’AFEF bannissait l’adjectif ? Serait-ce que cette association qui bannissait " les auteurs morts ou en bonne voie de l’être " reprendrait du poil de la bête, servie par des libéraux épris de " communication " ?

Le " dialogue " et " l’apologue " disparaissent des genres argumentatifs, dans l’objet L’argumentation : convaincre, persuader et délibérer. Si l’on peut s’en réjouir, dans le sens d’un allègement de l’apprentissage forcément malaisé de notions délicates (la définition de l’apologue a suscité des controverses), les prescriptions font cependant disparaître la possibilité d’études croisées de romans comme Le Neveu de Rameau dont le " dialogue " forme le nœud, et les exclut du même coup des œuvres à étudier.

Le mouvement littéraire et culturel connaît, malgré les attentes, peu de changement. Si quelques concessions apparaissent dans les formulations (le " déroulement de l’histoire littéraire " et son " cadre chronologique " remplacent " les grandes scansions historiques "), l’histoire littéraire proprement dite reste la grande oubliée d’un programme qui la nie toujours pour l’avoir remplacée depuis 2000 par les catégories a-historiques, prétendument universelles et démocratiques, du genre et du registre, où les élèves perdent tout repère chronologique, sans le compenser par un gain en rigueur générique, notions difficiles et abstraites, qui ne peuvent être comprises que si elles s’appuient sur une solide culture... littéraire et historique. Les élèves continueront donc à étudier les périodes à l’envers, et un seul mouvement par année scolaire, pour éviter que par hasard ils ne découvrent que l’histoire littéraire est un ensemble chronologique dont les périodes s’éclairent mutuellement et éclairent les œuvres…

Enfin, aucun retour n’est fait sur l’intitulé de l’objet Le théâtre : texte et représentation . S’il faut bien évidemment souhaiter qu’un maximum d’élèves puissent assister à un maximum de représentations, force est de reconnaître qu’une telle perspective revient à trier les élèves sur leur milieu géographique, social et culturel, et que le parisianisme des concepteurs leur fait ignorer que tout élève n’est pas voisin direct de la Comédie Française ou du théâtre des Amandiers. On ne peut accepter qu’un programme national d’examen fasse ainsi entrer un critère impondérable, parfois social et financier, dans une épreuve commune. Le projet, qui insiste sur " les mises en scène ", prolonge la difficulté, et fait craindre les sujets d’examen à venir, tout aussi inégalitaires que ceux de 2004.

Le projet ne fait par ailleurs aucune mention de la suppression de 25% de l’horaire de français en séries technologiques, ni des difficultés des élèves de ces classes. L’intention est peut-être tactique : alléger le programme d’autant serait une façon d’entériner la baisse de l’horaire, et y perdre un argument pour peser sur un revirement. Tout en exigeant le retour à un horaire décent, il serait judicieux en tout état de cause de penser à une simplification des orientations du programme pour ces élèves plus démunis , et proposer directement une œuvre pour réduire chacun des quatre objets d'étude obligatoires, dans l'esprit de ce qui était proposé naguère : par exemple pour le roman un roman d'apprentissage du XIX° siècle, pour le théâtre une tragédie du XVII° siècle ou un drame romantique, pour l'argumentation un conte philosophique du XVIII° siècle, pour la poésie une thématique simple, etc. On ne peut venir en aide aux élèves de ces séries qu’en clarifiant les approches, sans sacrifier les contenus ni surtout l’accès aux œuvres.

Les modalités du baccalauréat de français également sont absentes du projet, alors que se sont multipliées les protestations à ce sujet, année après année. Pourtant les mini-scandales annuels que ne cessent de provoquer les nouvelles épreuves depuis 2002 sont directement liés au programme, aux " objets d’étude " et à leurs formulations techniques. Les perspectives génériques, universitaires et non pas scolaires, ouvrent la voie à des sujets de dissertation infaisables pour les élèves et à des problématiques disproportionnées, que ce soit en 2002 à propos des " contraintes formelles " de la poésie, en 2004 sur le costume au théâtre, en 2005 les réflexions d’Artaud sur " le théâtre en Occident ", tous sujets dignes de concours d’enseignants, alors que l’inspection leur reprochait naguère de vouloir faire de leurs élèves de futurs professeurs de lettres… La correction des copies en est devenue un vrai dilemme qu’aucun critère objectif, sauf un changement des programmes, ne peut résoudre : peut-on mettre des notes déplorables à des élèves manifestement pris au piège du nouvel esprit de la discipline au lycée, et préalablement de l’absence d’enseignement de la langue au collège ? Un ancien doyen de l’inspection générale avait promis en 1999 que l’examen serait dorénavant soumis aux programmes, et non l’inverse. Il a réussi au-delà de toute espérance : l’examen est infaisable, à l’image des programmes. On attendait donc que le projet de programme soit, à la lumière de l’expérience, plus courageux.

Le sujet d’invention qui multiplie les problèmes est ainsi maintenu, alors qu’il s’avère à l’examen un fiasco : il n'apporte ni formation rhétorique, ni approfondissement littéraire, ni libération de l'imagination. Sa conception ectoplasmique en fait de plus un instrument dangereux. Son absence de contenu et sa relation explicite à l’ " opinion " et à l’argumentation comme " pacification " ont provoqué des dérives de libellé (que l’on songe au sujet " citoyen " 2005 des séries technologiques, qui a causé un tollé dans la presse et la démission d’un recteur) et contraignent les élèves à parler de sujets qu’ils ne peuvent concevoir ni dominer, et leurs correcteurs à être démunis devant des cas de conscience suscités par des copies informes faute de cadre et codifications de méthode. C'est un fourre-tout qui permet essentiellement (à quelques exceptions près) de faire un tri intellectuel (et social) ravageur. Dans les sections techniques, surtout, se précipitent sur cet exercice tous les élèves effrayés par les exigences d'analyse et de rigueur des deux autres exercices. Pourtant, construire une démonstration argumentée et exemplifiée sur des sujets accessibles (sur le sens d'un texte, comme dans le commentaire, ou sur la portée d’un genre, comme dans la dissertation) semble l'exigence nécessaire et suffisante pour aborder les études supérieures, toutes séries confondues.

Le principe de l’invention connaît cependant une entorse, peut-être une brèche, dans le projet : la formulation antérieure " l’analyse et la pratique des formes de réécritures ", en L, devient " on étudiera les formes de réécriture ". Pourtant, la série L mériterait peut-être une autre forme de présence de la création littéraire, avec l’instauration d’une spécialité " écriture " en Terminale, sur le modèle de spécialité de dominante que comporte la série S, avec la spécialité " mathématiques " en dernière année de lycée.

Que conclure de ce projet, sinon qu’il se limite à l’aménagement d’un terrain sinistré, sans jamais remonter à la cause du malaise, qu’il faudrait cependant éliminer : la conception générale des programmes ? Ceux-ci n’ont de cesse d’établir un filtre, un écran, voire un mur, entre les élèves et les œuvres. A force de vouloir à tout prix faire entrer la littérature dans les petits moules des " contenus objectivables " pour mieux éliminer la " connivence culturelle " soupçonnée d’élitisme, on l’a fait passer à la trappe, et on a dégoûté les élèves. Les élèves ne lisent plus d’autobiographies le cœur léger, ils apprennent par cœur le " pacte aubiographique " qu’attend leur examinateur d’oral ; ils demandent instamment " à quoi on peut reconnaître un apologue " au lieu de comprendre la lettre de leur conte philosophique… Il faudrait d’ailleurs étudier sous cet angle – même si les causes en sont variées - la diminution des orientations en série littéraire : depuis le collège, les élèves ont pris le français en horreur. Et au lycée, il leur faut apprendre des théories universitaires aussi floues que contestées (que l’on pense aux registres, que l’inspection générale elle-même suspecte et dont Tzvetan Todorov qualifie l’introduction d’" abus de pouvoir "), pendant qu’on leur a retiré les moyens de lire les œuvres, faute de lexique, de syntaxe, de connaissances historiques et parfois même de maîtrise de la lecture… Comment leur faire apprécier une discipline qu’on leur dérobe, et où on les met en difficulté ?

Ainsi, il n’y a pas de malédiction du français : il n’y a de la part des experts autorisés qu’un refus de la nature de la discipline, et des finalités qu’on assigne à son étude. Tout est affaire de choix, qu’en l’occurrence ils ont opérés constamment au rebours.

" L’ensemble de ces instructions repose sur des choix, à savoir que l’étude des textes a pour but de connaître les catégories même de l’analyse. Lire des poèmes ou des romans ne conduit pas à former la réflexion sur la condition humaine, sur l’individu et la société, l’amour et la haine, la joie et le désespoir, mais sur des notions critiques, traditionnelles ou modernes. A l’école, on apprend non pas de quoi parlent les œuvres mais de quoi parlent les critiques. Dans toute matière scolaire, l’enseignant est confronté à un choix – si fondamental qu’il lui échappe la plupart du temps. On pourrait le formuler ainsi, en simplifiant un peu pour les besoins de la discussion :  enseignons-nous un savoir sur la discipline elle-même, ou bien sur son objet ? Et donc, dans notre cas : étudie-t-on avant tout les méthodes d’analyse, qu’on illustre à l’aide d’œuvres diverses ? Ou étudie-t-on des œuvres jugées essentielles, dont l’accès passe par les méthodes les plus variées ? Où est le but et où le moyen ? (…) L’orientation actuelle de cet enseignement, telle qu’elle se reflète dans les programmes, le tranche dans le sens " étude de la discipline " (…), alors qu’on pourrait s’orienter vers l’" étude de l’objet " [1]

Les programmes en vigueur, et un projet qui ne les corrige guère car la tâche est impossible, liquident en effet leur objet. Quel temps reste-t-il pour la lecture effective et la compréhension des œuvres, qui disparaissent derrière le fatras des notions ou des orientations autoritaires dont on les encombre ou les stérilise ? " Sautent aux yeux (…) la pulvérisation du travail de lecture réfléchie ; l’asservissement de chacune des œuvres lues à un unique angle de réflexion (par exemple l’angle générique pour la lecture d’une comédie ou d’une tragédie) ; (…) et par-dessus tout, l’absence de toute étude interne de l’œuvre achevée, autre que l’analyse de ses caractéristiques génériques et rhétoriques. Rien sur les réseaux du sens, rien sur l’imaginaire, ni sur le rêve, ni sur les idées, ni sur la personnalité de l’auteur, rien sur la relation de l’œuvre à l’histoire (l’étude d’un mouvement ne dit pas grand-chose sur l’insertion d’une grande œuvre, prise en elle-même, dans les courants sociaux, idéologiques, politiques, religieux, qui l’entourent et la nourrissent), rien sur l’art. La littérature, ses savoirs, ses découvertes, ses enseignements et ses charmes ? Hors sujet ! " [2]

Pourtant, " la littérature est destinée à tous, et non les études littéraires " [3]. Il reste donc à tout reconstruire, puisque le programme de 2000-2001 ne s’est édifié que contre son objet, qu’il occulte totalement maintenant. Le seul intérêt de l’aménagement actuel est que les professeurs de première auront le droit de faire lire un roman. Mais pour en permettre à leurs élèves une véritable lecture, ils savent bien, dès maintenant, qu’il leur faudra contourner l’orientation imposée de son étude, ou ruser avec elle pour ne pas trahir l’œuvre, et craindre comme la peste le sujet d’examen qui en sortira. A-t-on déjà vu dans une discipline un tel coup de force : un programme sacrifier la matière même d’un enseignement – les œuvres majeures de la langue, de la pensée et de la sensibilité, transmises et donc validées par les lecteurs qui nous ont précédés – à des théories éminemment contestables et éphémères ? Le travail à faire sur un programme de français est donc déjà défini : mettre les œuvres au premier plan, discuter de leur choix, et réunir les conditions pour que les élèves en fassent une lecture digne de ce nom et de leurs aspirations, à la lumière de ce que vient de nous apprendre ce " programme pour rien " dont parlait dès 2001 Henri Mitterand [4].


Collectif Sauver les lettres

(1) TzvetanTodorov, Le Débat, n° 135, mai-août 2005.
(2) Henri Mitterand, ibid.
(3) Tzvetan Todorov, ibid.
(4) Europe n° 863, mars 2001.

02/2006