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La réforme du collège au Bulletin Officiel du 14 juin :
quelques éléments d'analyse.

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      Voici trois ans Philippe Meirieu, alors directeur de l’Institut National de Recherche Pédagogique, engageait une Consultation des Lycées dont l’impact retentissant devait surtout contribuer à une refondation du paysage scolaire. Le questionnaire qui composait cette consultation portait la trace d’un infléchissement radical dans la manière de concevoir le système scolaire, et de nombreux professeurs ressentirent comme dangereuses des questions qui, au-delà de leur pur aspect démagogique, leur semblaient participer d’une véritable destruction des missions de l’Ecole. Cette impression ne fit que se confirmer lorsque les savoirs jusqu’alors enseignés au lycée se virent dotés du caractère inutile et encombrant d’un " empilement de connaissances " dans la bouche du ministre d’alors, qui ne manqua pas ensuite de mettre en œuvre tous les moyens dont il était capable pour réduire, voire vider de leur substance, les différents enseignements jusque là dispensés au lycée - dénaturant certains programmes jusqu’à les transformer, justement, en cet " empilement de connaissances " qu’il dénonçait antérieurement. Ainsi le programme de Lettres perdit la perspective diachronique de l’histoire de la littérature qui permettait aux élèves d’apprendre dans quelle cohérence culturelle et historique s’élaboraient les œuvres, et il se vit tout d’un coup saturé d’" objectifs " formalistes, privilégiant l’entrée dans la littérature par la reconnaissance purement technique des " genres " et des " registres ".

      Parallèlement à cette désubstantialisation des programmes, s’amorçait un mouvement de destruction pure et simple de la notion même de spécialisation disciplinaire à travers la promotion de l’" interdisciplinarité ", qui se trouvait dotée d’heures spécifiques et d’un titre officiel : les Travaux Personnels Encadrés. Ces pratiques, destinées à mettre l’accent sur les liens qui unissent les différentes disciplines, existaient cependant dans le premier cycle du secondaire depuis 1995. Avec la création par François Bayrou des "parcours diversifiés ", dispositif permettant de faire de l’interdisciplinarité dans un cadre horaire spécifique, s’instaurait un système d’offre éducative " modulable " en fonction des établissements et des équipes éducatives : selon ce principe de modulation nommée " fourchette ", la dotation attribuée à chaque discipline était comprise, selon les établissements, entre un minimum dit " plancher " et un maximum dit " plafond ", les heures destinées aux parcours diversifiés se trouvant prélevées sur l’horaire des enseignements disciplinaires. Les professeurs, libres de s’inscrire ou non dans ce type de démarche, pouvaient, lorsqu’ils jugeaient leurs élèves insuffisamment formés à l’issue du primaire, préférer mettre l’accent sur les apprentissages fondamentaux, quitte à réserver pour plus tard d’autres procédures d’apprentissage, tant il eût été absurde de tenter des mises en relation entre les différentes disciplines dès lors que les rudiments de chacune d’elles n’étaient pas possédés.

       Sept ans plus tard, une nouvelle réforme paraît, annoncée au Bulletin Officiel du 14 juin 2001, largement inspirée par le rapport du recteur Joutard, commandé par le ministre Jack Lang. Contrairement à la réforme des lycées, cette nouvelle réforme du collège n’a fait l’objet d’aucune consultation des principaux acteurs concernés. Silence assourdissant, donc, sur une réforme qui bouleverse l’esprit même de l’Ecole, qui introduit dans son sein un fonctionnement adapté du management d’entreprise, qui méprise profondément les compétences disciplinaires des enseignants, qui sape enfin les valeurs de travail et d’effort qui fondaient jusqu’ici l’efficacité de l’école, interdisant aux élèves toute formation digne de ce nom.


1) Promotion de l’innovation et de la culture du management

      Dans la perspective de cette réforme, la  réussite des élèves  n’est plus considérée comme l’aboutissement normal du collège, mais comme la condition nécessaire, dans un établissement donné, pour obtenir les moyens de fonctionnement dont il a besoin. La réussite scolaire devient l’objet d’une contractualisation, comme l’indique la phrase suivante extraite du BO du 14 juin : " (…) les moyens utilisables seront modulés en fonction du projet d’établissement et contractualisés sur une durée de trois ou quatre ans. Sur le modèle des contrats de réussite qui associent un nombre important de collèges dans les zones et réseaux d’éducation prioritaire, un contrat sera établi entre l’établissement et les autorités académiques. " A l’instar de tout fonctionnement managérial, il s’agit ici de subordonner les moyens aux fins dans un rapport étroitement quantitatif.

       Les textes du BO du 14 juin ne se font pas faute d’ailleurs de mentionner les instruments qui permettront d’objectiver le degré de réussite propre à chaque collège : les cahiers d’évaluation déjà utilisés en 6ème seront étendus en 5ème et devront déterminer des démarches pédagogiques spécifiques. Déniant aux professeurs leur aptitude à organiser des progressions adaptées aux classes dont ils sont responsables, le texte du BO du 14 juin compte bien au contraire les contraindre à s’appuyer sur ces outils pour déterminer leur démarche pédagogique : " Un bilan de l’utilisation pédagogique des résultats de l’évaluation sixième et des projets individualisés élaborés à cette occasion sera demandé à chaque collège à la fin du premier trimestre de l’année 2000-2001. Ce bilan sera présenté au conseil d’administration ". La précision finale ne laisse pas d’inquiéter : on peut y voir un dévoiement du rôle du conseil d’administration, dont le rôle était jusqu’alors de délibérer sur des questions touchant au budget de l’établissement, voire à ses structures, mais en aucun cas d’examiner les démarches pédagogiques des enseignants. Le conseil d’administration étant pour partie constitué de professeurs, cette disposition, qui leur reconnaît le droit de juger les pratiques pédagogiques de leurs collègues, semble oublier que ce rôle appartient à l’Etat, via le corps de l’inspection. Elle permet surtout à l’idée assez vague jusqu’alors d’autonomie des établissements de se concrétiser, d’autant que les moyens désormais dévolus aux collèges leur seront attribués sous la forme d’une " enveloppe globale " mise à la disposition des chefs d’établissement .

      Dans cette perspective, les efforts budgétaires jusqu’alors consentis par l’Etat aux élèves en difficulté se voient remis en cause : " Bien que des moyens importants aient été consacrés à ces mesures, surtout dans les collèges confrontés à une concentration d’élèves en difficulté, leurs effets, tels qu’ils ont été constatés par l’inspection générale de l’éducation nationale, n’ont pas toujours eu l’efficacité attendue. Dès la rentrée prochaine, ces moyens seront intégrés dans l’enveloppe globale de l’établissement, sans pour autant être enfermés dans un cadre réglementaire étroit. Il s’agit par là de faire confiance aux équipes de terrain et à leur créativité pédagogique pour expérimenter des dispositifs originaux de prise en charge des élèves en difficulté. " Quelques lignes plus loin, il est préconisé d’organiser des emplois du temps " permettant de regrouper autrement les élèves et de les mobiliser de façon différenciée ", ce qui " a l’avantage de développer le travail en équipe des enseignants, à travers l’analyse collective des besoins des élèves ". Nous retrouvons bien là le préjugé négatif dont le cours est désormais l’objet au plus haut niveau de l’Etat. Dans le même BO est au contraire évoqué " le pouvoir motivant des technologies de l’information et de la communication, outils de pédagogie différenciée  ". Sommes-nous ici très loin des propos d’Edith Cresson, qui affirmait dans le film de Gérard de Seylis (" Le cartable de Big Brother ") que les enseignants devraient à moyenne échéance céder, pour une grande partie d’entre eux, leur place aux ordinateurs ? Le rapport Joutard précise quant à lui que " Se contenter de donner des cours supplémentaires selon la même méthode à celui qui a déjà échoué, augmente son désarroi et son échec ". Or cette assertion paraît fort surprenante, intégrée comme elle l’est dans un chapitre intitulé " Améliorer le fonctionnement de la sixième comme cycle d’adaptation " : les cours dispensés en sixième n’ont en effet que peu de rapport avec ceux de l’école primaire, ne serait-ce qu’en raison de la spécialisation disciplinaire des professeurs du secondaire. A ce niveau de classe, le " cours " constitue donc pour les élèves de 6e une entière nouveauté ! Et il est pour le moins paradoxal que, tout en faisant état d’" un pourcentage de 10% à 15% d’enfants n’ayant pas acquis les apprentissages fondamentaux leur permettant de pouvoir suivre des enseignements de plus en plus complexes ", le recteur Joutard fasse si peu de cas d’heures de cours, centrées, en 6e et 5e en particulier, sur ces " apprentissages fondamentaux " qui manquent selon lui dans une si grande proportion aux élèves issus du primaire…


2) L’interdisciplinarité comme alibi

       Nous ne devons pas nous étonner du discrédit rencontré par la notion de  cours  dans la mesure où c’est le même préjugé négatif qui frappe les disciplines, dont le cours est, par essence, constitué. Car il s’agit bien en dernière analyse de cela : s’acharner, à force de dispositions " innovantes ", pour reprendre un adjectif en faveur, à détruire l’héritage de l’école, et en premier lieu ses savoirs, garantis par la formation disciplinaire des enseignants. Contraindre les professeurs à s’appuyer sur les " cahiers d’évaluation ", de 6e et bientôt de 5e pour fonder leur démarche pédagogique amorce le processus de destruction des savoirs – tant ces cahiers sont peu pertinents comme outils d’évaluation et indigents en matière de contenus, comme l’analyse parfaitement Hélène Merlin-Kajman à propos des cahiers d’évaluation de la classe de seconde dans " Pourquoi défendre la dissertation ? " (revue Europe, mars 2001). L’interdisciplinarité, elle, achève de ruiner les savoirs disciplinaires en existant contre eux.

      La réforme du collège de François Bayrou introduisait les " parcours diversifiés " interdisciplinaires, fondés sur des horaires modulables : il restait à généraliser l’expérimentation, à la fixer en pratique obligatoire destinée à concurrencer les cours fondés sur les savoirs disciplinaires. Le rapport du recteur Joutard "  innove " donc  avec les " parcours de découverte ", repris dans le Bulletin Officiel sous le titre d’" itinéraires découverte ". Selon la définition du recteur " Les parcours de découverte (…) regroupent plusieurs disciplines articulées entre elles autour d’un sujet fédérateur qui traite différemment du programme (…). Ils ne sont pas à la marge, mais au centre de l’enseignement, puisqu’ils sont liés aux programmes. (…) Les élèves aborderaient des questions très nombreuses qui ne relèvent pas d’une seule discipline et constituent souvent de nouveaux objets de connaissance. " Dans ces propos qui prétendent définir des pratiques interdisciplinaires, il faut dénoncer vigoureusement l’absence totale de rigueur et de précision, qui laisse bien mal augurer d’un dispositif appelé à se développer au détriment de savoirs dont la cohérence n’est pourtant plus à prouver. Il est en effet clairement prévu dans le rapport que " Pour avoir une influence réelle sur l’évolution de l’enseignement, les parcours de découverte doivent bénéficier d’un horaire significatif, de l’ordre de deux heures trente à trois heures hebdomadaires pour le cycle central et de trois à quatre heures hebdomadaires pour la troisième (…).Pour ne pas surcharger les élèves et les collèges (sic), dans le cycle central, les horaires proprement disciplinaires seraient alignés sur l’horaire plancher " - c’est-à-dire au strict minimum.

      Lorsque l'on sait que chacun de ces " parcours " sera destiné à concerner deux matières au moins, et qu'ils seront dispensés à raison de deux par an, chacun sur " onze à douze semaines ", l'on mesure la perte future des élèves en terme de connaissances disciplinaires, d'autant que la notion de " programme " devient dans ce contexte totalement obsolète, les savoirs devant s'acquérir " autrement ". L'intérêt d'un programme se trouvant dans la définition pour chaque professeur, à l'intérieur de sa discipline, d'objets précis de connaissance à faire assimiler annuellement aux élèves, il est donc à supposer que le manque à gagner pour les élèves se traduira par des inégalités croissantes en fonction des établissements, en fonction de la qualité des projets interdisciplinaires et de la bonne volonté de ceux qui les animeront.


3) La " baisse du niveau " n’est pas un mythe, c’est une décision politique

       La constatation faite dans le Bulletin Officiel du 14 juin que " trop d’élèves redoublent en effet la classe de seconde ", loin d’être suivie de l’annonce attendue d’efforts supplémentaires pour mettre les élèves du collège au niveau du second cycle, ne prélude comme nous l’avons vu qu’à l’annonce d’une baisse supplémentaire et généralisée des moyens consacrés aux enseignements. C’est sur cette logique particulièrement perverse – au lieu de permettre au touriste perdu dans les sables de se désaltérer, on comble le puits -, qui semble fonder le texte tout entier du Bulletin Officiel. Hormis la baisse des heures d’enseignements consacrées aux apprentissages fondamentaux, plusieurs " remédiations " sont encore proposées.

      L’une d’elles se nomme " classe à projet artistique et culturel " : " A terme, chaque élève devra bénéficier de deux classes à projet artistique et culturel à l’école primaire (une à l’école maternelle, l’autre à l’école élémentaire) et d’une classe à projet artistique et culturel dans chaque cycle du second degré : il aura ainsi accès, au cours de sa scolarité, à quatre expériences de ce type ". Si cette expérience semble a priori inspirée par l’intention louable de favoriser une plus grande ouverture des élèves à l’art et à la culture, plusieurs détails concernant ses modalités d’application ne laissent pas de paraître inquiétants. Une fois encore les spécificités disciplinaires sont niées : " Le projet artistique et culturel associe l’ensemble des professeurs, quelle que soit leur discipline et s’appuie plus particulièrement sur les professeurs d’arts plastiques, d’éducation musicale et des disciplines générales. " Une fois encore, c’est l’application mécanique de la culture managériale de l’évaluation des objectifs qui domine : " Les classes à projet artistique et culturel s’inscrivent dans le projet d’établissement. Les projets sont présentés au conseil d’administration (…) Pour mieux accompagner le développement de ce nouveau dispositif et repérer les pratiques innovantes, les équipes d’enseignement sont invitées à construire, en lien avec les groupes de pilotage académique, des grilles indicatives d’évaluation en fonction des objectifs fixés et des acquis des élèves, notamment en matière de savoirs, de savoir-faire et d’innovation au sein du groupe". Et surtout, une fois encore ce sont les élèves les plus vulnérables du collège qui feront les frais de l’" innovation " : " Ce seront les classes de 6ème qui seront prioritaires, à la rentrée prochaine, pour la mise en place des classes à projet artistique et culturel, en particulier dans les collèges situés en ZEP et en zone rurale ".

      Comme une innovation ne va jamais seule, en guise de remédiation supplémentaire et pour achever de brouiller la carte des enseignements disciplinaires, il est également fermement conseillé aux professeurs des classes de sixème, sous couvert d’établir une cohérence avec l’école primaire, de transgresser les règles qui fondent leur statut en enseignant, en plus de la discipline qui détermine leur compétence, une autre discipline dans laquelle ils n’ont pas été formés : " De même, de nouveaux modes d’organisation de l’enseignement, comme la prise en charge de deux disciplines par des professeurs volontaires, peuvent rendre perceptible aux élèves la cohérence des contenus, des méthodes, des démarches de disciplines différentes. " Outre que cette disposition marque un mépris prononcé des élèves de 6ème qui ont, plus que dans toute autre classe, besoin de professeurs solidement formés dans leur discipline, elle constitue une régression, le corps des Professeurs d’Enseignement Général des Collèges, qui se définissait par la bivalence, ayant été supprimé voici déjà plusieurs années…

      Dernier dispositif proposé en guise de remédiation aux classes de 6ème : " Dans le cadre du plan de développement des langues vivantes à l’école primaire, l’apprentissage d’une deuxième langue sera introduit progressivement à compter de la rentrée 2002 en sixième afin d’atteindre l’objectif de maîtrise d’au moins deux langues vivantes, à des niveaux de compétence comparables, pour tous les élèves à la fin des études secondaires. " Que " 10 à 15% " des élèves entrant au collège ne maîtrisent pas les " apprentissages fondamentaux " - et a fortiori les rudiments de la lecture et de l’écriture -, comme l’indiquait le recteur Joutard dans son rapport, n’a finalement aucune importance puisque, comme le précise le texte du Bulletin Officiel " Lire, écrire, compter sont des compétences " qui " concernent tous les domaines disciplinaires même si l’approche technique de la langue française relève plus particulièrement du professeur de français (…) ".


4) Détruire l’école pour " lutter contre l’ennui ", ou casser les filières… d’excellence ?

       La constatation faite par le rapport du recteur Joutard, dont nous rappelons qu’il est le texte de base du Bulletin Officiel du 14 juin, de l’insuffisance des acquisitions en terme d’" apprentissages fondamentaux " chez " 10 à 15% des enfants " trouve une justification curieusement formulée et qui introduit de surcroît un décalage insolite avec les solutions attendues : " L’ennui et la perte de sens du travail scolaire semblent peu à peu gagner une majorité d’entre eux ", indique en effet le recteur Joutard dans son rapport, et les " parcours de découverte " sont " une manière de (..) lutter contre l’ennui ". Selon ces axiomes, si certains élèves ne réussissent pas, c’est donc que tous s’ennuient. C’est ce raisonnement, bancal dans son principe, qui justifie la généralisation des " itinéraires découverte " à tous les élèves.

      Mais comme en témoigne le discrédit clairement exprimé par le recteur Joutard à l’encontre des humanités, c’est sans aucun doute la notion bourdieusienne d’excellence qui est visée dans la justification de la généralisation des " parcours de découverte " : " Il existe déjà, mais implicites et cachées, des filières : faut-il citer les sections européennes ou l’option latin, sans parler de stratégies autour des langues ? L’évolution proposée (les " parcours de découverte ") démocratise la notion d’option puisqu’elle la généralise. " Traduction : supprimons pour chaque élève l’opportunité de choisir les options qu’il souhaite et de les approfondir tout au long de l’année scolaire, de la 5ème à la 3ème pour le latin, en 4ème et en 3ème pour la seconde langue vivante, en 3ème pour le grec, détruisons ces options suspectées par le recteur de créer des " filières ". Proposons aux élèves, à la place, de choisir entre " quatre parcours " : " Créations techniques histoire et société ", " La matière, le vivant et le corps ", " Les humanités et les arts ", " Langues et cultures du monde ", à raison " de deux par an ", pendant une " durée de onze à douze semaines ". Comment faire passer un tel marché de dupes pour une offre sérieuse de formation ? Il y a en effet fort à gager qu’une pareille confusion, mêlant disciplines optionnelles et obligatoires dans ce qui relève d’un véritable bricolage conceptuel et au détriment des enseignements fondamentaux, ne fasse que tuer dans l’œuf l’excellence de ceux qui parvenaient encore à s’épanouir à l’école, toutes catégories sociales confondues !

       Le rapport ne se contente pas, du reste, de contester l’utilité de l’apprentissage régulier et progressif du latin, des langues vivantes ou du grec comme options : " On oublie aussi le grand nombre d’établissements qui n’utilisent leur marge de manœuvre que pour renforcer les seules matières " importantes " (sic), les mathématiques ou le français (…) " L’urgence n’est donc pas, pour le recteur Joutard, de renforcer des " apprentissages fondamentaux " dont il s’accorde pourtant lui-même à déplorer les lacunes chez "10 à 15 % d’enfants " qui ne les ont pas assimilés à l’école primaire. L’urgence, au contraire, est de " travailler autrement ", c’est-à-dire pour l’essentiel, selon une pédagogie de projet conditionnée par des objectifs, dans un enseignement  interdisciplinaire, toutes dispositions que le Bulletin Officiel vise à rendre obligatoires par l’usage de grilles et de cahiers voués à faire l’objet d’un contrôle par le conseil d’administration, et non par les autorités de l’Etat – Inspection Générale en particulier, nommées par le ministère dans le but spécifique de procéder à l’évaluation du travail des enseignants…

 

       Les dispositions dont fait état le Bulletin Officiel n°14 dans sa présentation de la réforme du collège ne font, comme nous l’avons vu que tenter de généraliser des pratiques qui leur préexistaient, mais n’étaient que très inégalement appliquées. Il restait à franchir une étape supplémentaire, ce qui est chose faite : contraindre les professeurs à entrer dans le moule de la réforme en faisant dépendre les moyens attribués des contrats d’établissements. Destinée à devenir lieu d’expérimentation de projets innovants au travers de pédagogies nouvelles, l’école qui nous est proposée ici est inacceptable en ce sens qu’elle se construit dans le rejet radical d’un modèle, qui pourtant a fait ses preuves : celui d’une école où les élèves peuvent trouver le temps nécessaire pour approfondir leurs apprentissages et où les savoirs disciplinaires font l’objet d’une appropriation d’autant plus efficace qu’elle est lente, progressive et raisonnée.

      Que ce modèle trouve des limites certaines dans la proportion importante d’enfants qui, à l’issue de l’école primaire, n’ont pas acquis les savoirs fondamentaux qui leur permettraient d’aborder fructueusement les différentes disciplines dans leur complexité, nul n’en disconviendra. Mais fallait-il pour autant proposer, en guise de remédiation à ces problèmes, de détruire l’image de l’école en réduisant encore les heures de cours, interdisant à de nombreux élèves de continuer à trouver dans l’école l’occasion de l’épanouissement qu’ils y trouvaient jusqu’alors ? Fallait-il tirer du problème de l’échec de certains élèves la nécessité de nuire à tous les élèves en imposant désormais des procédures d’apprentissages fondées sur le touche à tout pédagogique, et pour tout dire sur le bricolage de l’expérimentation ?

       Ces textes, fondés dans leur principe sur le présupposé que le travail et l’effort ne peuvent qu’ennuyer les élèves, font surtout l’impasse sur la réflexion qui eût consisté à se saisir avec sérieux du problème des limites du collège unique. Tout se passe comme si, au lieu de faire porter les efforts de la réflexion sur la manière de permettre aux élèves en difficulté de trouver dans les années du collège l’occasion de pallier les lacunes parfois profondes dans les " apprentissages fondamentaux ", comme le précise le recteur Joutard lui-même, on avait pour seule préoccupation d’empêcher désormais à tous les élèves d’acquérir ces savoirs. Plutôt que d’examiner les problèmes spécifiques qui déterminent, à l’issue de l’école primaire, le fait que " 10 à 15% des enfants " ne maîtrisent pas ces apprentissages, et de tenter d’y remédier, on " primarise " le collège, en favorisant la bivalence des professeurs de sixième, en instutionnalisant l’interdisciplinarité au détriment des disciplines, en érigeant l’expérimentation en norme pédagogique. Il y a malheureusement fort à parier qu’encore une fois, ce soient les élèves les plus fragiles et les plus vulnérables, ceux des classes situées en Zone d’Education Prioritaire, qui fassent en priorité les frais de l’expérimentation lancée par la réforme, démunis, comme ils le sont souvent, des outils qui permettront aux autres élèves de trouver chez eux ce que l’école ne pourra plus leur offrir.

Eliane Thépot
pour le collectif Sauver les lettres
et l’association Reconstruire l’école

07/2001

 


Sauver les lettres
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