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À propos de la bavure policière d'Abbeville

Par Jean Romain

      À propos de cette affaire, la question que je me pose est la suivante : est-il vraiment question de bavure ? D'erreur de pratique ? D'abus ?
      Étant donné ce qui se passe, la chasse aux professeurs étant ouverte, pourquoi sommes-nous surpris outre mesure ?
      En effet, l'incident s'inscrit sur une ligne qui semble assez clairement lisible : si l'école est une Institution, l'Institution est un organisme d'État et, en tant que tel, supérieure à l'individu, serviteur de cet État : les actions individuelles ne prennent sens qu'au sein de cette unité supérieure, les démarches individuelles sont subsumées par les lois de l'Institution. Si en revanche, l'école est tenue pour un simple service public, tout service public est inférieur aux individus qui le composent, parce qu'il est à leur service justement.

      S'il est désormais possible, comme à Abbeville, de placer un professeur directement en face des parents, voire de la justice, c'est que l'école a transité du concept d'Institution publique vers celui de service public. Dans un service public, le client est roi (en l'occurrence les parents qui paient leurs impôts), et ce client payeur peut demander, au même titre qu'il exige que son enfant réussisse son année scolaire puisqu'il paie, que le vendeur (le professeur) rendre indéfiniment compte de ce qu'il fait. C'est l'élève au centre ! Et le salaire au mérite. On a transité ainsi du " droit aux études " au " droit au résultat ", ou si vous préférez, de l'égalité des chances à l'égalité des élèves.

      Dans une Institution publique, les choses devraient se conduire autrement : n'importe quel membre a évidemment à rendre des comptes à sa hiérarchie. Parce que c'est de l'État qu'il tire sa légitimité de professeur et non pas de la société. Si un professeur commet une faute (pédagogique, humaine ou autre) c'est à l'intérieur même de l'Institution qu'il convient d'enquêter : c'est " à l'interne " qu'on va évaluer le problème, mesurer la faute et, après, si besoin est, on peut naturellement faire intervenir la justice. Mais il y a une hiérarchie qui devrait s'interposer entre l'Institution et la société. À présent, il est donc possible de court-circuiter la filière normale, de supprimer cette interposition, afin de livrer un professeur, seul et désarmé, aux parents. Si on préfère : de passer de la structure étatique à la structure sociale. C'est Jésus devant Pilate. Mais ici Pilate n'est pas aussi embarrassé !
      À force de répéter que l'école est un lieu de vie (belle sottise s'il en est), l'école finit par devenir ce lieu où la vie intervient dans ce qu'elle a de plus brutal. Si l'école publique a contrario est un lieu de culture (ce qu'à mon sens elle doit devenir) alors elle échappe à cette nouvelle philosophie de l'organisation qui la déboulonne tous les jours un peu plus.

      Voilà comment se présente le montage, derrière le paravent de l'école actuelle. Mais qui appuie sur le levier ? Qui accepte d'être porteur d'eau ? Qui a intérêt à déboulonner pareillement l'école? Répondre à cette question c'est comprendre notre monde. Quoi qu'il en soit, seuls les naïfs peuvent penser qu'il s'agit là d'une bavure ou d'une péripétie fortuite.
      Voyez-vous, de fait, on ne cesse jamais de libérer Barrabas.


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