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Contre les TPE.


       Ce texte ne reprendra pas les traditionnels arguments pratiques et syndicaux avancés contre l'organisation des TPE. Il s'intéressera uniquement à démonter le discours qui les légitime, à travers 4 arguments.

I) Les "nouveaux champs disciplinaires" contre les disciplines.

      La globalité et la complexité des savoirs, chères à E. Morin, servent d'argument d'autorité aux TPE. Les disciplines doivent se regrouper naturellement en "nouveaux champs disciplinaires" : les sciences historiques et sociales, les sciences humaines, les sciences du vivant. Les mathématiques, les lettres, les langues, par exemple, dont la spécificité disciplinaire sera niée, seront de purs instruments. Si l'interconnexion des savoirs est intéressante pour des spécialistes (comme le prévoit une prochaine réforme du CNRS), elle est absolument artificielle pour des élèves qu'elle condamne au babillage, alors qu'eux doivent d'abord passer par de sérieuses formations disciplinaires, amputées dans la réforme du lycée (horaires, programmes) pour laisser place aux TPE. D'ailleurs, n'est-ce pas le rôle de la philosophie, en fin de parcours de l'élève, que de subsumer les savoirs et d'amorcer leur interconnexion ? Les TPE, quant à eux, ne proposeront souvent qu'une interdisciplinarité factice.
       L'apprentissage des savoirs, propédeutique à une émancipation du sujet, est noyé dans des activités dites "éducatives". L'école se transforme en un vaste atelier communicationnel d'animation péri-scolaire. Savoirs et programmes sont priés de s'adapter sous la pression de l'impérieuse introduction des nouvelles technologies. Le maître se transforme en aide-éducateur.
       Enfin la caution intellectuelle d'E. Morin est détournée et récupérée par les pressions libérales qui pèsent sur l'école. Les TPE, l'inter-disciplinarité, servent de cheval de Troie à la polyvalence des enseignants, donc à leur flexibilité. La critique des disciplines sert de préalable indispensable pour l'introduction d'enseignants moins qualifiés, qui servent de relais aux réformateurs pour préparer la destruction de la mission de l'Ecole.

II) L'école n'a plus le monopole du savoir !

      Didacticiels et Internet, promus en nouveau paradigme pédagogique, détiendraient du savoir. C'est absolument faux, en ce sens que c'est confondre information et savoir. Internet serait-il un facteur d'émancipation ? Un tel utopisme technologique rejoint le pire obscurantisme. Les TPE ont pour mission de servir l'impératif catégorique de notre époque : l'impératif technique. Les TPE sont en réalité le cheval de Troie d'une marchandisation de l'école : regroupant notamment les grands patrons des principaux constructeurs informatiques européens, la Table ronde des industriels européens (ERT), groupe de pression auprès de la Commission européenne, cherche des marchés et précise dans un rapport (i) de 1997 : "L'usage approprié des TIC (technologies de l'information et de la communication) dans le processus éducatif va imposer d'importants investissements en termes financiers et humains. Ils généreront des bénéfices à la mesure des enjeux […]. Il faudra que tous les individus qui apprennent s'équipent d'outils pédagogiques de base, tout comme ils ont acquis une télévision." Les entreprises de téléphone, privatisées en tout ou en partie, vont bénéficier de la croissance du volume des communications téléphoniques.

III) Haro contre le cours magistral.

      Le cours magistral, qui n'est qu'une fiction commode pour les "réformateurs", rendrait l'élève "docile et crédule" selon une déclaration de L. Jospin, qui fait porter le soupçon sur l'autorité institutionnelle et académique du maître, au nom de l'épanouissement de l'élève, mis au centre du système éducatif et acteur de son apprentissage. Or les réformes en cours introduisent la crédulité et la passivité de l'élève face à la machine "infaillible" (correcteur orthographique, calculatrice graphique, Internet…). Certains discours techno-populistes, aux relents totalitaires, méritent d'être dénoncés : "L'éducation doit être considérée comme un service rendu […] au monde économique. […] Les gouvernements nationaux devraient envisager l'éducation comme un processus s'étendant du berceau au tombeau. […] L'éducation vise à apprendre, non à recevoir un enseignement. […] Nous n'avons pas de temps à perdre." (ii) Faut-il rappeler que Mussolini définissait ainsi le fascisme : "Je prends l'homme au berceau et je ne l'abandonne qu'au moment de sa mort où je le rends au pape." ?

IV) Une pédagogie par projets importée des Etats-Unis.

      Certains des avatars les plus récents de l'école française peuvent être compris à la lumière de l'école américaine. John Dewey, chef de file de l'Education Nouvelle, est à l'origine dans les années 60 de la suppression dans les " high schools " des disciplines et des programmes d'études (iii) ; il est l'instigateur de la pédagogie par projets fondée sur l'interdisciplinarité. Aujourd'hui la multiplication des activités est telle dans les écoles américaines (éducation aux valeurs, lutte contre la drogue, visites de laiteries et autres projets d'établissements, ateliers où s'exerce la créativité, activités ludo-éducatives intégrant la télévision et Internet, projets interdisciplinaires) que seulement 18% du temps scolaire est consacré au travail acdémique (iv). Or au vu du délabrement actuel des " high schools ", les réformateurs français auraient dû réfléchir aux effets des expériences américaines. Il leur aurait fallu chercher à comprendre pourquoi l'idée de " back to the basis " et celle de " teaching as a conserving activity " ont émergé, après les désastres provoqués par la mise en oeuvre de telles expériences.


      Si les enseignants restent attachés à leur discipline, c'est donc, comme on vient de le voir, pour d'autres raisons que le corporatisme. Les TPE sont contraires à la mission de l'Ecole républicaine, qui vise à émanciper l'élève, hors de toutes les formes de particularismes et d'obscurantismes, à le conduire vers la raison universelle, grâce à une sérieuse formation disciplinaire. Enfin il est certain que si les TPE présentent des intérêts pédagogiques (initiation aux nouvelles technologies, notamment pour les élèves démunis, travail de documentation, travail personnel ou en groupe…), ceux-ci ne leur sont pas propres. La plupart des disciplines y ont recours depuis longtemps ! C'est donc que les TPE ont des intentions cachées que ce texte a essayé de mettre au jour : remettre en cause les disciplines, et partant le statut du professeur, en passe de devenir un animateur et un simple médiateur technique entre l'élève et l'information, et transformer l'école, au profit des entreprises, en le "grand marché du XXIème siècle" que C. Allègre appelait de ses vœux. (v)


(i) Investir dans la connaissance. L'intégration de la technologie dans l'éducation européenne, ERT, Bruxelles, février 1997.
(ii) Une éducation européenne, vers une société qui apprend, ERT, février 1995.
(iii) Lire D. Boorstin, Histoire des Américains, Bouquins, Laffont, 1991.
(iv) Lire J. Barzun, Begin here, The forgotten conditions of teaching and learning, The University of Chicago Press, 1991 et N. Postman, Enseigner c'est résister, Paris, Le Centurion, 1981.
(v) Les Echos, 3 février 1998.

Collectif "sauver les lettres" (www.sauv.net)

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