Stagiaire un peu con made in IUFM


Un jeune stagiaire de lettres IUFM (CAPES) fait actuellement son stage à l'année dans mon établissement, avec une classe de sixième. Il est cornaqué par une vieille virago pédagogo notoirement incompétente et qui n'a jamais passé le moindre concours de sa vie mais que son zèle à faire mine d’appliquer les réformes et à mettre en circulation les signes d’un avant-gardisme consciencieux, ont valu de se retrouver dans les petits papiers de l’inspection. Il faut dire qu'un certain nombre de collègues " certifiés ", en collège, se foutent éperdument de la littérature et de la langue française, pour l’excellente raison qu'ils ne la connaissent pas ou très imparfaitement.

Beaucoup sont donc évidemment intéressés à faire consister le cours de français en autre chose que du français : ça peut aller de Buffy contre les vampires, la série TV culte de la jeunesse américaine, jusqu’à un aperçu fastidieux et terriblement approximatif du programme de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en sémantique structurale : on sait en effet que les concepts linguistiques mal assimilés et mal transposés sont les signaux dont le pédagogisme se sert pour faire saliver la modernité.

Bien sûr, ces militants de toutes les réformes qui jouent la carte biseautée de l’innovation permanente et singent la modernité (quoiqu’ils soient le plus souvent blanchis sous le harnais professoral : la plupart sont des vétérans cacochymes) ne mordront jamais la main bienfaisante de l'Institution qui leur délivra naguère un concours qu'ils n'ont jamais passé ! Oui, vraiment, ils sont appelés à bénir toutes les instructions en cours et à venir, qui d'ailleurs tablent sur un enseignement du vide où la nullité trouve merveilleusement son compte.

Ils sont donc les instruments (inconscients ou de mauvaise foi) de la Réforme et ont perçu le salaire de la docilité, d'une administration machiavélique qui ne donne jamais rien pour rien...

Or donc, réunion parents-professeurs, l'autre jour. Le stagiaire se trouve à une table voisine de la mienne. Il dit des trucs du genre : " Mon projet pédagogique prend en compte une transversalité hétérogène des compétence et redistribue les champs d'autonomie dans un crible tabulaire, ce qui m'a permis de déceler chez Alexandre une prise en compte erratique des graphies ..."

Les parents atterrés ouvrent des yeux grands comme des soucoupes. A l'étonnement incrédule succédera bientôt un mépris justifié pour ce jeune imbécile qui pastiche les petits marquis caquetants des IUFM et la sous-culture dont ils se soutiennent.

A s'arracher les cheveux de désespoir... Et je constate évidemment, avec tout un chacun, qu'avoir eu un concours ( plutôt facile pour l'étudiant "honnête homme"...) n'est pas toujours un gage suffisant d'intelligence de la discipline et même d'intelligence tout court. Mais il faut bien avouer cependant (soyons optimistes!) que les impétrants sont statistiquement moins souvent atteints de cette pédagogite aiguë qui signale  presque invinciblement un ramollissement cérébral concomitant et une compétence "scientifique" au dessous du médiocre : j’ai nommé l’armée des lémuriens pédagogistes.

Depuis la rentrée, le pauvre Perrault, l’auteur pourtant génial des Contes, sert de prétexte à notre stagiaire qui élabore une séquence didactique (ne me demandez pas ce que c’est !) sur le schéma actanciel de Greimas. Rien que ça ! D’accord mon adjuvant, à condition tout de même de ne pas y passer plus d'une heure ou deux, même si, de toute évidence, l’écrivain du Grand Siècle a remarquablement contribué dans le Petit Chaperon rouge à mettre les théories linguistiques les plus sophistiquées à la portée d’un élève de sixième. La belle au bois dormant n’a qu’à bien se tenir devant le carré sémiotique.

Armé de la demi-compréhension de concepts scientifique un peu complexes pour un mauvais étudiant de lettres modernes, même passé prof, notre docte imbécile, s'emploie à astiquer sa méchante pacotille pour éblouir élèves et collègues et s'attirer les éloges de son inspecteur en vue d'une titularisation en grandes pompes.

Priorité, donc, de la glose scientifique contemporaine sur le texte lui-même, priorité du XXIème siècle sur celui de Louis XIV, priorité, enfin, de Greimas et Brémond sur Perrault ou Lafontaine. D’autant qu’un enfant de onze ans est plus naturellement porté à l’étude des auteurs contemporains, n’est-ce pas ?

Actuellement mon stagiaire est très bien enlisé et ses élèves avec lui ... Ils finissent par ne plus rien comprendre à la  sémantique structurale  à la petite semaine qu'on veut leur faire ingurgiter. Ils pataugent dans la " production " (selon le schéma quinaire ) d’un conte merveilleux. Mais le processus s’éternise un peu et les élèves finissent par chahuter (ils ont bien raison) un maître pédant et jargonneux qui leur paraît grotesque et presque fou.

Du reste, ceux-ci ne sont dupes de rien et les plus fins pointent même les approximations et les contradictions qui surgissent à chaque instant. Quant au "maître" il n'a pas les connaissances théoriques solides qui lui permettraient de répondre à des objections ou des demandes de précisions souvent justifiées.

La surexcitation gagne la classe. Des reliefs alimentaires décrivent des paraboles. Thomas l’œil vitreux faussement absorbé par les schémas complexes du tableau, se branle méthodiquement au vu de tout le monde puisque les tables sont naturellement disposées en fer à cheval, " autonomie " et " élève au centre " obligent.

Mais le monde pourrait s'écrouler autour de lui, le cuisinier schizoïde continue à servir sa soupe infecte et conforme au cahier des charges : un plat supposé complet, évidemment, avec des rogatons de considérations grammaticales et orthographiques (décloisonnement oblige : il ne faut plus enseigner la grammaire et l’orthographe mais en saupoudrer un peu, au bon endroit, pas trop…), flottaisons incongrues, cheveux sur la soupe, mais, attention, de la couleur de la soupe, puisque tout doit s'assortir, s'accorder et se lier. Le lien scientifique et conceptuel est dissout au profit du lien " didactique " qui relève le plus souvent de la logique de Bécassine quand elle range sa chambre. Tout par couleur : le lait avec les draps, les édredons avec les pommes, etc.

Les cahiers des élèves (exit le classeur et ses intercalaires qui cloisonnent , horresco referens…) sont évidemment des chaos indescriptibles.

Mais le stagiaire se fait plaisir, c'est à dire, en réalité qu'il se met en conformité avec des consignes incontournables et des protocoles absurdes. La paix de sa conscience est, semble-t-il, à ce prix. Résultat : Il doit passer environ cinq heures pour préparer une heure de cours. Une montagne de bêtise consciencieuse, d'inutilité affairée, qui accouche d'une petite souris rabougrie nourrie aux farines didactiques et qui n'amuse même pas les élèves. J'ai peur que ces derniers ne finissent par le haïr tout à fait car la psychologie élémentaire n'est manifestement pas son fort.

Scrupuleux à l'extrême, le gars ! Heureux ? Je ne sais pas. On m'objectera sans doute l'inspection de titularisation : qui n'a pas joué au "bon élève" en ces circonstances quelque peu angoissantes ? Certes. Mais il y a quand même une marge de liberté et d'esprit critique à laquelle ne peuvent renoncer que les esprits gentiment masochistes ou simplement un peu faibles.

Tiens, au passage, mon stagiaire, puisqu’il étudie le conte, s’est-il assuré que toute sa petite sixième maîtrisait la conjugaison du passé simple qui est loin d’être toujours parfaitement enseignée au CM2 ? Du tout, évidemment : il y a au moins deux tiers des élèves qui ne la savent pas : c’est que, voyez-vous, faire apprendre correctement et méthodiquement quelques flexions, relève d’une pédagogie antédiluvienne et fascisante que les plus hautes instances de la hiérarchie condamnent véhémentement…

Aux dernières nouvelles, mon type se consume quand même un peu...Le moral n’est plus tout à fait au beau fixe. Une mauvaise intuition, peut-être ? Il perçoit vaguement, parmi le bordel ambiant et les cris d’animaux, qu'il y a peut-être quelque chose qui ne colle pas. Tout ce temps qu'il passe à peaufiner seulement la manière et les objectifs d'une série de cours qui assommera ses élèves et hébétera leur intelligence ! Tout cela au détriment d'une réflexion sur les oeuvres (Perrault !) et sur le contenu substantiel du cours ! Ne vaudrait-il pas mieux qu’il lût attentivement, crayon à la main, les auteurs qu’il fait " étudier " ? Qu’il s’enquît un peu d’histoire et d’histoire littéraire ? Bref ne vaudrait-il pas mieux qu’il préparât son cours plutôt que cette sinistre " séquence " qui n’est qu’un gadget élaboré par des songe-creux thésards en science de l’éducation qui haïssent la littérature et les élèves ? Je lui ai fait perfidement remarquer qu'il lui faudra bien être un peu moins perfectionniste quand il aura quatre (ou cinq !) classes. Je sens que cette objection l'ébranle un peu.

Ah, ah, ah !

M. Pacifico

PS. Mon stagiaire passe environ deux heures après chaque cours à remplir son cahier de textes pour " expliciter sa démarche ". Il n'a pas trop de trois couleurs pour ce faire. Les " objectifs " les plus ronflants s'épanouissent sur les petits carreaux, sagement soulignés. Environ une demi -page pour une heure de cours, ce qui fait qu'il avait presque rempli, à la Toussaint, l'espace qui lui avait été attribué pour l'année. De la graine d'excellent prof, je vous dis ! En espérant qu'il ne sera pas lynché par les élèves avant la fin de l'année. Quoique...

04/2003