Océane et Mathieu au CP


Je reviens de chez des amis, des parents d’élèves assez chaleureux, qui ont déménagé cet été pour cause de mutation et qui voulaient nous montrer un peu leur nouvelle maison et tout ça.

Leur petite était en moyenne section dans notre école, bien dégourdie, comme la grosse moitié de ses copains et copines … qui a eu bien le temps d’aborder l’écriture des lettres et des nombres et de suivre tous les travaux systématiques qui nous semblent nécessaires avant d’entrer en grande section.

Elle est passée directement au CP en arrivant dans sa nouvelle école. " Elle ne ferait en grande section rien de plus que ce qu’elle a déjà fait en moyenne section dans son école d’origine … ". Ca devient systématique, nos plutôt bons élèves sautent une classe quand ils changent d ‘école. Si nous avions fait ‘sauter’ sa grande section à Océane, nous l’aurions fait pour la moitié des moyens de l’an dernier …

Alors, puisqu’elle est au CP et que sa maman nous invite, nous lui offrons un livre en plus du bouquet de fleurs rituel pour ses parents… Instits ringards jusque tard le samedi, nous faisons toujours la promotion des livres et de la lecture – pas celle des Pokémons. Bien placés par métier pour savoir où en sont des CP fin novembre, nous choisissons avec soin le joli petit livre sur les rennes du père Noël, impeccablement calibré en nombre de mots par page, en nombre de pages, en longueur des mots, et avec des dessins qui brillent – il y a des quantités de superbe littérature enfantine disponibles jusque dans les supermarchés. Et nous l’offrons à la petite : " Voilà un livre à lire toute seule, même si maman t’aide un peu … "

Pas de réaction. Elle attend que nous soyons assis dans les grands fauteuils à apéritif pour se caler contre son ancienne maîtresse et elle ouvre le livre sur ses genoux : " Montre-moi .. Cathy… ". Cathy essaie de la faire lire. Rien. Alors c’est l’ancienne maîtresse qui lit, pour que la petite ait au moins une part du plaisir. Plus tard dans la soirée, la gamine tient à montrer ses cahiers… Elle est fière de montrer ce qu’elle sait faire. Elle lit les lignes entières de mots courts : " je, tu, il, lui, dans, comme .. ". Une fois, elle se trompe : elle lance une série de mots en commençant par " le, la, suis, des, … ". Cathy la reprend, et elle identifie cette fois correctement le premier mot de la ligne : " je ! ". Puis elle déroule sans hésitation, la lecture de la bonne ligne entière " je, tu, il, lui, dans.. ". Elle connaît ses lignes de mots par cœur. Elle n’a su lire aucun mot inconnu comme " maison ", ou " renne ". Elle ne sait pas commencer " maison " parce qu’elle ne sait pas que " m " fait toujours le bruit [m]. Elle ne peut pas commencer à écrire Marc. Elle dit juste que dans Marc on entend [r]. Elle apprend à lire depuis 3 mois entiers. Nos CP syllabiques commencent à lire – tous.

Elle subit la méthode phonétique, que j’appelle analytique, avec sans doute un peu de " naturel " dedans (les mots apparaissent dans un ordre qui semble farfelu et qui est en fait l’ordre de leur apparition dans les textes soi-disant inventés par les enfants.).

Les parents d’Océane abordent la question eux-mêmes. " C’est vraiment bizarre, cette méthode phonétique. On dirait que c’est du global.. On dirait que ça tourne à l’envers, du mot vers les lettres et non pas des lettres aux mots … Océane n’a pas encore vraiment fait des progrès … "


L’an dernier, c’était mon neveu, le petit Mathieu. Fin novembre, son père, découragé, m’apprend que Mathieu ne suivra pas les traces de son grand frère, qu’il est moins scolaire, …. , … qu’il est peut-être … plus bête ( ! !). Je proteste : le Mathieu en question est certes un fripon mais il ne fait pas du tout l’effet d’être … bête ( !)… en particulier au point de ne pas apprendre à lire.

Les deux jeunes parents racontent le temps qu’ils consacrent au CP de Mathieu, en " profitant " du décalage de leurs journées de travail. Elle travaille de nuit et consacre une heure tous les matins à la lecture ; et lui travaille de jour et trouve plus d’une heure tous les soirs, plus le samedi et le dimanche selon la fatigue du petit bonhomme. Mathieu ne ‘décolle’ pas, il n’aime pas ça, il rechigne, il ne retient rien. Il y a quelquefois des cris et des pleurs. La maîtresse a déjà parlé de redoublement. D’ailleurs seulement un tiers de la classe devrait passer au CE1.

Nous regardons les cahiers. Le diagnostic est rapide ; méthode phonétique, c’est-à-dire globale … La maîtresse a même expliqué en début d’année qu’il ne fallait pas ‘syllaber’ avec les enfants qui doivent découvrir les sons tous seuls.

Nous offrons une méthode Boscher au papa. Nous donnons quelques instructions simples. Ce sont des parents très sérieux et très attentifs, capables de mobiliser deux heures par jour pour un seul de leurs enfants.

Mathieu a appris à lire à la maison avec son papa. Il est maintenant au CE1. La maîtresse a fait une réunion de bilan en juin ; elle a abordé sa maman : " On ne sait pas trop ce qui s’est passé, mais comme ça, à Noël, tout d’un coup, Mathieu s’est débloqué … Nous en sommes contents … " ; et la maman de Mathieu, pourtant si réservée, a répondu qu’ils lui avaient eux-mêmes appris à lire à partir de Noël, " avec ‘les syllabes’ ". La maîtresse a un peu rougi puis a conclu que ce qui comptait, finalement, c’était que le gamin lise. Enfants sinistrés, enseignants aveugles.

Ce sont désormais les parents seuls qui apprennent à lire aux enfants. Et les enseignants ne le savent pas.

Et que sont donc devenus les douze ou quinze redoublants pronostiqués en décembre ? Leur papa ne leur a pas appris à lire, alors ils ne savent pas lire. Mais ils sont passés au CE1 quand même. Parce qu’on ne redouble plus dans l’éducation nationale, c’est mauvais pour les statistiques.

Mathieu, Océane, et tous les autres, ce sont vos enfants. L’Education Nationale n’apprendra pas à lire à vos enfants. Ca fait plus de trente ans que ça dure. Plus de 80% des CP subissent encore ces âneries dogmatiques et fausses. Tous les manuels de CP font du global qu’ils baptisent phonétique, ou naturel ou ‘à hypothèses’. Beaucoup d’enfants lisent très mal et plus personne ne redouble. Il faut que ça cesse.

Je voudrais alarmer les parents.

Il a bien fallu un jour que les médecins abandonnent la saignée et le clystère, parce que ça ne marchait pas. Nos Diafoirus modernes sont-ils donc plus sots que ceux-là ?


Marc Le Bris

04/2002