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LA VIOLENCE contre L'ÉCOLE


La violence à l'École rameute les médias. Sur les écrans, dans les colonnes de la presse, déferlent les postures convenues : BC-BG de la pensée standard et petit frisson d'effroi de circonstance sur fond de malaise et de non-dit. Et si on crevait l'abcès?

De quelle violence nous parle-t-on? De brigandages entre minots; racketts, chantages, extorsions de fonds, violences contre les têtes de turc, réglements de compte sordides, attentats commis par de petites mafias, lutte des classes scolaires: en mineur, les mœurs des bandes de jeunes voyous de Los Angeles, en attendant de les voir déflagrer sur le mode majeur, avec armes, caïds et quartiers réservés. Pour l'instant , on n'entend guère sur le sujet que les sempiternelles explications des sociologues patentés. C'est là, nous répéte-t-on, une réponse à la violence de la société: ces jeunes sont victimes de la crise, du chômage, d'un urbanisme déglingué. Poussés au vol par une société de consommation qui les appâte et au désespoir par une École qui les brime, les sanctionne et les exclut, faute de pouvoir s'en prendre à la violence sans visage du "système", ils retourneraient leur hargne contre les plus petits, les plus faibles. On aura reconnu là les derniers feux d'une idéologie soixante-huitarde qui , parvenue au pouvoir et comme lui se délectant d'euphémismes, a remplacé dores et déjà le vilain mot de "délinquance" par le plus seyant "incivilité". On ne s'étonnera pas qu'un discours aussi déculpabilisant et irresponsabilisant ait été coopté et dûment assimilé par les délinquants et qu'ils le ressortent à tout propos quand on leur met un micro sous le nez: "J'ai la haine".

La grande casse

Autre mot récurrent: :"Respect"qui signifie le mépris arrogant de l'ego pour toute autorité, le refus proclamé de toute institution autre que celle de leur clan, l'imposition terroriste à tous des lois d'une classe d'âge et des mœurs des marginaux . Ils auraient tort de s'en priver quand l'institution, s'acharnant à se disqualifier, donne l'exemple de la crapulerie et que, s'ingéniant à nier ce qui la fonde, elle interdit tout exercice de l'autorité, prohibe sanctions et jugements dépréciatifs, quand pédagos et marchands de loisirs ont fait de l'enfant un roi intouchable et idolâtré, quand les intellos ont idéalisé toute révolte comme signe de saine juvénilité et que les bien-pensants de tout acabit ne jurent que par l'expression libre des différences et de leurs droits. Que, dans ces conditions, les derniers représentants de l'État tentent encore d'exercer leur métier et une quelconque autorité, voilà qui est insupportable . Rien que de très normal lorsque le ministre de l'Éducation lui-même ne cesse, en les accusant de tous les maux, de déstabiliser et déconsidérer les profs, institue avec les "heures de vie lycéenne" les tribunaux où faire comparaître les enseignants et les remplace progressivement par des emplois-jeunes précaires et sans qualifications. Et donc, que les "jeunes" malmènent , agressent ou tuent des profs, on n'en fera pas un plat. Silence télé. Pas de vagues ni de statistiques sur les centaines d'enseignants en maison de repos ou hospitalisés ou alors on les comptabilisera comme tire-au-flanc . À dégraisser , vous dis-je. Qu'en revanche des jeunes en exploitent d'autres, les tabassent et fassent régner dans l'enceinte scolaire la loi de la jungle, on s'émeut: comment est-ce possible? Confusément on pressent qu'il faudrait remettre en cause toute une idéologie libertaire, tout un rousseauisme pédolâtre qui a fait de l'ado un ange adorable ou un Rimbaud en herbe. Mais nul n'ose s'en prendre à de tels présupposés ou simplement les expliciter. Alors on s'étonne, on sonne l'alarme, on envoie au front des vedettes médiatiques et on continue à faire avancer des réformes qui détruisent définitivement l'École de la République, celle qui pensait que les hommes ne naissent pas autonomes mais qu'il convient de les élever à la vertu en les instruisant. Tout aussi confusément on sent que ces jeunes ne font que reproduire des mœurs capitalistes qu'ils ont parfaitement intégrées: un but, le profit sans effort; un moyen, le rapport de forces; un modèle humain, le chacal. Mais qui oserait proclamer que le monde des dealers et des prétendus marginaux, pur produit du libéralisme, décalque cette délinquance de haut vol qui est le cœur du système? Motus. Déréglementons, laissons libre cours aux trafics les plus fructueux.

Instruire et éduquer

Ainsi on continue, comme si c'était sans conséquence sur la société, à promouvoir la "culture jeune" pour ruiner davantage encore la culture réputée savante ou élitiste ou "ringarde", celle de l'École. On officialise le tag comme œuvre d'art, le rap comme business rentable et donc forme de culture des plus nobles. Rabâchant l'antienne de Barthes ("le langage est fasciste""), on valorise le parler des banlieues pour empêcher l'accès à la langue nationale et la moindre expression communautaire pour rendre obsolète toute culture commune. Le mot d'ordre de l'École selon Allègre sera: à bas la transmission, vive la communication! Mais qu'est-ce qu'une langue sans écrit ni littérature, qu'est-ce qu'une parole sans vocabulaire ni syntaxe? Un crachat proféré: "Respect! J'te nique!" Et que reste-t-il d'une culture lorsqu'on lui ôte sa dimension de connaissance d'un patrimoine et qu'on cesse d'en faire le moyen de donner sens à des savoirs? Dans le meilleur des cas, une "compétence" à zapper entre des données et , dans le pire, un vandalisme de frustrés: "Fais chier! J'te bute!"

Privés de la langue et de la culture, ils sont réduits à leur non-langue, à leur sous-culture et on leur dit qu'ils ont raison de s'en tenir là. N'est-ce pas là la violence qu'exerce l'École allégrisée sur toute une génération à qui elle dénie le droit à la beauté, au sens et au savoir? Moins on sait verbaliser, plus on cogne. Ils cassent donc du prof et du bon élève là où il en reste ta ndis que nos bons apôtres réformateurs cassent ce qui reste d'École et de profs en obligeant tous les collégiens et lycéens à se mettre au niveau des handicapés .

"Arma cedant togae", dit la maxime latine. La cuture diminue la violence. En priver les adolescents, c'est laisser se déchaîner et activer ces "incivilités" qu'on déplore officiellement. Et si la première réforme à tenter consistait à rétablir comme une valeur l'autorité, celle de la République et de ses représentants, à valoriser la transmission des savoirs et l'instruction? Car l'instruction est une des bases de l'éducation. C'est parce qu'ils en sont convaincus que tant d'enseignants qui voient institutionnalisée la destruction de leur métier descendent dans la rue. Cela suffit-il? "Si j'avais su, j'aurais fait judo!" ironisait Bedos dans une saynette où il incarnait un jeune prof découvrant la réalité du métier. Si l'on ne veut pas que les enseignants, pour sauver leur peau, se transforment en flics surarmés, si l'on ne tient pas à mettre un flic dans chaque classe pour "mettre du plomb" dans les crânes, il faut bien se résoudre à faire ce que ne font ni les familles ni les médias: éduquer le corps à l'autodiscipline. Car éduquer c'est aussi apprendre à concentrer son attention, à discipliner ses gestes, à maîtriser ses emballements , à régler sa respiration et sa posture. C'est par là que commence la véritable instruction civique et morale. A quand, outre le sport, des cours de judo, de yoga, de zen? Il y aurait là une vraie révolution pédagogique. Messieurs les spécialistes des "sciences de l'éducation" et conseillers du ministre, songez -y avant qu'il n'y ait plus de science ni d'éducation!

Pierre Murat, professeur au lycée Jean Perrin, Marseille
Texte publié dans Le Pavé, n° 99, 08/02/00

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