Manifestation laïque à Paris


Sauver Les Lettres appelle à se joindre à la Manifestation laïque à Paris
" Pour la défense et la promotion de la loi de 1905 "
Samedi 10 décembre à 14H30 - Place de la République


L’enseignement des Lettres que nous défendons, repose sur une conception de l’école héritée de Condorcet et des Lumières.

Nous avons la ferme conviction que la liberté de l’esprit ne peut venir de l'attachement à une foi, mais du libre usage du doute que les philosophes ont hérité de Descartes, et qu’ils ont osé appliquer à tous les domaines, qu’ils soient intellectuel, social, politique ou religieux. Aussi sommes-nous en lutte contre les pédagogies qui cherchent à susciter l’adhésion, voire l’enthousiasme des enfants par la libération des émotions et l’adhésion irrationnelle à une opinion.

C’est cet enseignement, hérité des Lumières, qui a consolidé pendant un siècle les fondements de la République et qui a pu l’asseoir durablement. C’est cet enseignement là que les pédagogies actuellement dominantes cherchent à faire disparaître.

C’est pourquoi nous tenons à rendre hommage à la loi de séparation de l’église et de l’état, dont on commémore le centenaire. Car l’école républicaine, partant du postulat d’Helvetius (" tant qu’ils s’obstineront à regarder les cieux, les hommes trébucheront sur terre "), a patiemment donné aux hommes les moyens d’observer avec raison, méthode, et rigueur, la terre et les hommes qui les entouraient, ainsi que leur passé. Et cette lucidité méthodique sur le monde et sur les autres leur a donné, grâce à l’école laïque les moyens d’accéder à l’égalité.

C’est cette école que nous voulons conserver , car nous savons que si elle n’est pas la condition suffisante pour former des hommes libres et responsables, elle en est du moins la condition nécessaire. Et cette école-là n’a pu naître qu’en s’émancipant de la tutelle de la foi.

C’est pourquoi Sauver Les Lettres se joint aux organisations qui appellent à manifester le 10 décembre pour commémorer le centenaire de la loi de séparation de l’église et de l’état, et pour défendre la laïcité.

Il existe en effet une étroite relation entre notre combat pour l’enseignement de la littérature et la défense de la laïcité. La laïcité est la condition d’existence d’un espace public commun et démocratique qui privilégie ce qui nous réunit et nous permet de vivre ensemble au delà de nos particularismes et de nos communautés.

Mais un espace public n’a de sens que s’il est habité. Or, seule l’instruction que nous défendons permet de créer chez chacun d’entre nous une autre dimension que celle qui nous définit comme éléments d’un groupe particulier. Cette dimension est plus large et plus abstraite que celle de la communauté culturelle ou religieuse, c’est celle de l’existence politique.

Car l’enseignement des lettres a pour nous une triple finalité personnelle et politique, qui est à l’opposé de la fonction qu’on veut assigner à l’ " l’enseignement citoyen de la littérature " qu’on cherche à nous imposer.

- C’est d’abord l’apprentissage d’une maîtrise du langage et de l’expression, et donc la construction d’une syntaxe de la pensée qui lui donne les moyens de s’exprimer clairement, d’argumenter, et de discuter sans être soumis à une parole d’autorité, et à des réponses toutes faites.

- C’est ensuite la transmission d’un héritage culturel propre à construire un lien social non partisan. Car l’approche des oeuvres d’art est essentiellement laïque : ce ne sont pas des sources de révélation, mais elles incarnent de manière exemplaire la liberté d’invention en représentant une multiplicité d’univers imaginaires.

- C’est enfin l’apprentissage de l’étrangeté de chaque monde imaginaire construit par les artistes du langage. A ce titre, il permet d’apprivoiser le différent, et d’approcher la singularité du monde intérieur de l’autre.

Or, cette priorité donnée à l’enseignement des moyens linguistiques et rationnels pour construire sa propre pensée - ainsi qu’à l’arrachement, par le commerce des grandes oeuvres, à l’univers habituel et convenu - a été progressivement abandonné par les réformes successives. Ces dernières se sont attachées à effacer toute trace d’apprentissage systématique, créant ainsi une insécurité linguistique grave. Elles se sont également attachées à gommer toute hiérarchie entre les productions écrites, et à banaliser les textes littéraires, jusqu’à leur dénier leur statut d’œuvres d’art inclassables, les faisant ainsi descendre de leur sphère d’étrangeté radicale, donc de neutralité, dans l’univers du quotidien partisan. On a réussi ainsi à vider de sens l’enseignement, et à priver les élèves de la capacité d’en construire un.

Ce vide aménagé dans l’école elle-même, permet alors d’appeler au secours ceux qui se proclament spécialistes du sens : les religieux. Après une offensive ratée pour introduire l’enseignement du " fait religieux " à l’école, et réduire l’enseignement philosophique à la transmission d’une philosophie officielle, il s’agit maintenant d’attaquer globalement l’espace public laïque, en l’affublant, au nom du relativisme culturel, d’un costume d’Arlequin, simple juxtaposition de pièces communautaires. Qui ne voit que ces attaques sont issues de pensées différentes mais dont le but est le même ? pensées religieuses fondamentalistes, pour qui l’idée même d’un monde public autonome par rapport au pouvoir religieux est une hérésie ; pensée ultra-libérale cynique, qui détruit toute cohésion sociale et économique, et qui se propose de déminer le caractère explosif de ce démembrement par la visée plurielle d’une transcendance qui calmerait, par l’espoir d’un ailleurs, les frustrations d’ici - bas.

La revendication de la laïcité est l’exigence d’un lieu ouvert à l’échange libre, rationnel, et sans exclusive. Car il est arrivé que la littérature rende hommage à la portée littéraire - c’est à dire créatrice d’un univers imaginaire - de certains textes religieux ; il est même arrivé que des écrivains défendent par leur art, la liberté religieuse, ou la foi. Mais il n’est jamais arrivé que la religion, quelle qu’elle soit, défende la littérature.

C’est donc à nous de la défendre et de défendre avec elle la formation d’esprits curieux, critiques et rationnels capables d’apporter leur pierre à l’édification de l’espace public. La condition en est alors la laïcité - au sens strict - de l’enseignement. Sinon l’espace public restera vide.

Collectif Sauver les lettres

12/2005