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Le colloque des " anti "


Le Monde de l'éducation, juin 2000

Privés de leur diable, Claude Allègre, les adversaires des réformes et du " pédagogisme " n'entendent pas se priver de la diablerie. Démonstration lors d'un récent colloque à la Sorbonne.

NON, L'ANTIRÉFORME ne recrute pas que des barbons. Il y a aussi Fanny Capel, jeune professeur de lettres au lycée Jules Ferry de Coulommiers (Seine-et-Marne). Ce samedi 6 mai, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, elle pourfend " l'hédonisme " qui serait la nouvelle doctrine en vigueur dans les établissements scolaires. Des établissements " récréatifs " où, aux rigueurs de la transmission des savoirs, auraient succédé le règne de la démagogie et le " culte du plaisir immédiat ". Son discours fait courir un frisson approbateur dans la salle, où trois cents personnes sont réunies pour un colloque consacré à " l'avenir des disciplines littéraires dans l'enseignement secondaire et supérieur ". Organisé par plusieurs réseaux d'enseignants, il se situe dans le prolongement de la pétition publiée le 4 mars dans Le Monde et assurant que " C'est la littérature qu'on assassine Rue de Grenelle ". Entre-temps, le ministre a changé, les lettres ont gagné au passage une augmentation d'horaire, mais les pétitionnaires poursuivent ce qu'ils appellent leur " insurrection de l'esprit " contre un crime sans cesse renaissant.

" Trop d'école à l'école ! "

Se désolant de voir des étudiants " incapables de sortir des recettes de l'étude de texte ", issues de précédentes réformes, Antoine Compagnon, professeur de littérature française à la Sorbonne, n'en déplore pas moins, lui aussi, " l'hymne au plaisir " qu'il serait désormais " convenu d'intégrer dans les programmes ". Alain Finkielkraut, professeur à l'Ecole polytechnique, élargit la cible, brocardant la " sagesse des journaux ", dont le message - " on a toujours raison de réformer "- s'accompagne du " pilonnage " de tout objecteur. La " révolution cuculturelle " qu'il dénonce a, selon lui, ses " gardes rouges ", au nombre desquels il cite Philippe Meirieu. Pour ces réformateurs en proie à une " obsession de l'égalité ", il y aurait encore, s'exclame-t-il, " trop d'école à l'école ! ". D'où leur volonté, en s'attaquant à la formation initiale des professeurs, de poursuivre la " transformation d'un vieux métier humaniste " en " nouveau métier humanitaire ".

Citant également Marie-Danielle Pierrelée, favorable à une répartition des horaires de collège entre des cours obligatoires et des activités optionnelles, Alain Finkielkraut rapporte, sur le ton de l'anecdote croustillante, que le " soutien aux personnes âgées " figurerait dans les activités ainsi suggérées. La salle s'esclaffe. Il évoque une autre suggestion tirée d'un ouvrage " pédagogiste ", ainsi formulée : " Imaginez en prose le discours d'un "sdf " à l'Assemblée nationale. " Le public est plié de rire.

Alain Viala se lance dans un plaidoyer sur la littérature. La salle cherche le moment pour s'indigner et ne le trouve pas. Elle se rattrape par une huée massive à la fin du propos.

Dans la même veine, Danièle Sallenave écrivain et maître de conférences à Paris-X s'en prend à la " tyrannie des didacticiens " Après une brève autocritique sur la responsabilité des universitaires quant à " l'emploi inconsidéré d'un vocabulaire savant et technique " dans l'enseignement des lettres Michel Zinc, professeur au Collège de France, aborde aussi le thème de la " réforme des Capes, qu'il ne faut pas laisser passer " Une réforme que Jack Lang a pourtant écartée sans l'enterrer officiellement. Prévue à l'origine contre ce projet, la réunion de la Sorbonne a alors été recentrée sur le thème des études littéraires. Mais l'esprit demeure, et les participants veulent montrer qu'il faut compter avec eux. Jacques Le Rider, directeur d'études germaniques à l'Ecole pratique des hautes études, dénonce à son tour " le sectarisme des didacticiens d'IUFM ".

Bemard Sergent, helléniste et directeur de recherches au CNRS, déclenche les applaudissements lorsqu'il se lance dans une diatribe contre Le Monde, qu'il qualifie de " journal populiste ", puis Le Monde de l'éducation, coupable d'avoir " honteusement mis en cause " Michel Zinc dans un article non signé " (1), ce qui, croyait-il, n'existait plus depuis les années 30 ". Après deux interventions plutôt mesurées (et moins populistes) de l'historien Jean-François Sirinelli et de Denis Kambouchner, professeur de philosophie à Paris-X, c'est au tour de Régis Debray, très attendu, qui commence par une concession à l'ambiance : Le Monde, qu'il " ne lit plus ", procéderait plutôt, affirme-t-il, du " techno-populisme ". Suit à sa manière, brillante et attristée, presque sur le ton de la confidence, un procès de l'" inconsistance " généralisée.

" Nullité intellectuelle "

Mais voici l'autre clou du spectacle : Alain Viala, professeur de littérature française à la Sorbonne nouvelle et à Oxford, doit prendre la parole devant une assistance hostile. Président du groupe technique disciplinaire de français (GTD), qui conçoit les nouveaux programmes, il est, à ce titre, le principal accusé de tous les discours précédents. Alain Viala se lance dans un plaidoyer sur la littérature, " lieu de formation du jugement, espace commun de sensibilité ", et la nécessité de renforcer " le plus possible " l'étude de la langue. La salle cherche le moment pour s'indigner et ne le trouve pas. Elle se rattrape par une huée massive à la fin du propos. Place au " débat ", dont un enseignant donne le ton en gesticulant et vociférant contre la " nullité intellectuelle " d'Alain Viala. Les autres interventions seront moins violentes, mais guère plus glorieuses. Alain Finkielkraut et Régis Debray se sont éclipsés depuis longtemps.

Luc Cédelle, Le Monde de l'éducation, juin 2000

(1) Il s'agit d'une brève (non démentie par l'intéressé) de la rubrique " Indiscrets " d'avril 2000.


Lire notre compte rendu du colloque.

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