Brevet 2005, sujets

Regroupement 1 : académies d'Amiens, Créteil, Lille, Paris, Rouen, Versailles
Regroupement 2 : académies de Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Limoges, Nantes, Orléans-Tours, Poitiers, Rennes
Regroupement 3 : académies de Besançon, Dijon, Grenoble, Lyon, Nancy-Metz, Reims, Strasbourg
Regroupement 4 : académies d'Aix-Marseille, Corse, Montpellier, Nice, Toulouse

 

Académies d'Amiens, Créteil, Lille, Paris, Rouen, Versailles


Eva est une enfant de dix ans. Elle vient de déménager et fréquente depuis peu son école. Il est seize heures trente en ce jour pluvieux de novembre : c'est l'heure où les parents et les enfants ont la joie de se retrouver devant les grilles. La mère d'Eva, elle, arrive souvent en retard...

.

          Ce jour-là, Eva se sent de plus en plus mal entre les imperméables humides, les parapluies
      dégoulinants. Son coeur cogne douloureusement et elle plisse les yeux afin de découvrir, à
      l'autre bout de la rue, la seule présence qui lui importe. Non ! Rien que des silhouettes qui
      s'éloignent. Aucune dame qui pourrait être maman ne vient par ici. Le silence comme une
5    brume qui s'épaissit. La porte de l'école est close, et comme Eva n'a rien osé demander à la
      dame en blouse bleue, elle ne peut que s'abriter sous le porche. Nerveusement, elle se hausse
      sur la pointe des pieds et commence à remuer comme une bête affolée. Elle s'accroupit,
      grenouille triste, résignée, grenouille écarlate(1). Elle soupire, se redresse, se gratte la cheville.
      Elle sait qu'elle connaît très mal l'itinéraire entre l'école et l'appartement qui n'est pas très
10  proche. Un appartement où sa mère et elle n'habitent que depuis deux mois.
          Les yeux noirs d'Eva scrutent de plus en plus vite toutes les directions.
          Cette fois, elle a entendu sa propre voix prononcer "maman". Toute personne qui
      approche se révèle insupportablement étrangère. C'est elle là-bas ! Non ce n'est pas elle !
          Détresse sur ce trottoir hostile, avec cette fissure pleine d'eau dans l'asphalte et ce journal
15  trempé, froissé, au bord du caniveau. Sensation confuse de n'être plus rien, d'être invisible.
          Brutalement, la petite s'arrache au mur auquel elle était adossée et part en courant. Eva, si
      maigre, si peu résistante, court à travers la ville avec ce cartable bourré de livres qui lui frappe
      les reins. Les trottoirs sont glissants. Les feux des voitures font de grandes étoiles rouges dans
      ses yeux inondés de larmes. Tout est brouillé. Sans le vacarme de la ville, on pourrait entendre
20  la plainte qui coule de sa gorge tandis qu'elle traverse, sans ralentir, sans regarder à droite ni
      à gauche, une rue puis deux, puis trois ou quatre, au hasard.
          Eva court au-delà de ses forces, le souffle lui manque. Gorge brûlante, jambes
      douloureuses, et ce cartable si lourd qui la ralentit, qu'elle voudrait jeter par terre mais dont la
      perte l'affolerait davantage encore.
25      L'accident n'est toujours pas arrivé. Il s'en faudrait d'un rien pour qu'il ne se produise
      pas. Eva pourrait suivre miraculeusement le bon itinéraire, s'effondrer de fatigue sur le seuil
      d'une boutique jusqu'à ce qu'un passant lui demande : "Tu t'es perdue ?" Mais rien de tout
      cela n'arrive et la pluie froide achève de dissoudre les chances.
          Eva file sur sa petite trajectoire d'abandon, ignorant qu'au même instant sa mère, qui s'est
30  administré une forte dose d'oubli solitaire, une grande rasade(2) d'indifférence pure, fonce
      pourtant vers elle. Mais elle est encore bien trop loin pour arriver à temps à la sortie de
      l'école.

Pierre Peju, La petite Chartreuse, Gallimard, 2002

(1) : La fillette porte un anorak rouge.
(2) : rasade : quantité de boisson contenue dans un verre plein jusqu'au bord.


QUESTIONS SUR LE TEXTE : 15 POINTS

I - Un monde hostile (4 points)

1.
a. Qui les expressions "imperméables humides", "parapluies dégoulinants" (l. 1 et 2) et "silhouettes" (l. 3) désignent-elles ? (0,5 point)
b. Quelle impression produisent ces désignations ? (0,5 point)

2. "Sans le vacarme de la ville, on pourrait entendre la plainte qui coule de sa gorge" (l. 19-20).
a. Remplacez le groupe nominal prépositionnel par une subordonnée de même sens. (0,5 point)
b. Donnez la classe et la fonction grammaticales de cette subordonnée. (1 point)

3. l. 1-21.
a. Relevez les mots ou expressions qui caractérisent la porte de l'école, l'appartement, le trottoir et les trottoirs. (1 point)
b. Quel est l'effet produit ? (0,5 point)

II - Un être en danger (6 points)

1. "Le silence comme une brume qui s'épaissit" (l. 4 et 5)
a. Quelle est la figure de style ici utilisée ? (0,5 point)
b. Quels sont, parmi les cinq sens, ceux qui sont évoqués ici ? (0,5 point)
c. Expliquez le lien établi entre eux dans la figure que vous venez de nommer. (0,5 point)

2. l.11 à 15. Relevez deux adjectifs qui montrent qu' Eva est ignorée des gens qui l'entourent. (0,5 point)

3. "Aucune dame qui pourrait être maman ne vient par ici." (l. 4).
a. De qui cette phrase retranscrit-elle les pensées ? (0,5 point)
b. Relevez un autre emploi du discours indirect libre plus loin dans le texte. (0,5 point)

4.
a. "grenouille triste", "grenouille écarlate" (l. 8), donnez la classe et la fonction grammaticales de ces groupes de mots. (1 point)
b. Vous expliquerez le sens de ces deux groupes de mots. (1 point)

5. "Gorge brûlante, jambes douloureuses, et ce cartable si lourd qui la ralentit, qu'elle voudrait jeter par terre mais dont la perte l'affolerait davantage encore." (l. 22 à 24).
a. Nommez la particularité grammaticale de cette phrase. (0,5 point)
b. Quel est l'effet produit ? (0,5 point)

III - Vers une fin annoncée ? (5 points)

1. Eva ressent physiquement la montée de l'angoisse. Citez trois expressions qui l'expriment de la l.18 à la l.24. (0,5 point)

2.
a. Dans l'avant-dernier paragraphe, l. 25 à 28, justifiez l'emploi des conditionnels simples. (1 point)
b. Quel adverbe souligne la valeur de ces conditionnels ? (0,5 point)
c. Expliquez la formation de cet adverbe. (0,5 point)

3. En tenant compte des deux questions précédentes, d'après vous, l'accident va-t-il se produire ? Justifiez votre réponse. (1 point)

4. Qui le dernier pronom "elle" du texte représente-t-il ? (0,5 point)

5. Comment comprenez-vous l'expression "trajectoire d'abandon" ? (1 point)


RÉÉCRITURE ET DICTÉE : 10 POINTS

Réécriture : 3 points

"L'accident n'est toujours pas arrivé. Il s'en faudrait d'un rien pour qu'il ne se produise pas. Eva pourrait suivre miraculeusement le bon itinéraire, s'effondrer de fatigue sur le seuil d'une boutique jusqu'à ce qu'un passant lui demande : "Tu t'es perdue ?" Mais rien de tout cela n'arrive et la pluie froide achève de dissoudre les chances".

Vous réécrirez tout ce passage au passé en respectant la concordance des temps, et en remplaçant "se produire" par "avoir lieu" et "demander" par "dire".

Dictée : 6 points

Elle préfère marcher au hasard, sans itinéraire, mais avec le plan dans sa poche pour le cas où elle se perdrait. Tout de suite elle est dans les bois. Les rues de son quartier se transforment en chemins de terre où elle croise des cavaliers. Elle franchit des ponts, longe des petits cours d'eau couverts de feuilles mortes, qui lui rappellent son enfance, lorsqu'elle jouait au Robinson avec son frère. Tout la déconcerte. Elle se croit parfois en pleine campagne, découvre même des poules dans un champ et se trouve soudain devant un carrefour à huit voies.

Jacques Tournier, La maison déserte, éd. Calmann-Lévy.


RÉDACTION : 15 POINTS

Relisez le texte de Pierre Péju jusqu'à la ligne 24. Imaginez une évolution possible de cette situation qui aboutirait à un dénouement heureux dissipant les angoisses de l'enfant.

Tenez compte du récit qui précède de façon à assurer la cohérence de votre suite par rapport au début de la narration.

Votre récit comportera des descriptions, le dialogue argumentatif de l'enfant avec elle-même (ses pensées).

Vous pouvez, s'il y a lieu, introduire un dialogue avec un autre personnage.




Académies de Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Limoges, Nantes, Orléans-Tours, Poitiers, Rennes


George Sand (1804-1876), née Aurore Dupin, a grandi au château familial de Nohant, près de la petite ville de La Châtre, au bord de la Loire. En 1830, elle se sépare de son mari et s'installe seule à Pans, où elle décide de s'habiller désormais en homme.

           Moi, j'avais l'idéal(1) logé dans un coin de ma cervelle, et il ne me fallait que
      quelques jours d'entière liberté pour le faire éclore. Je le portais dans la rue, les pieds
      sur le verglas, les épaules couvertes de neige, les mains dans mes poches, l'estomac
      un peu creux quelquefois, mais la tête d'autant plus remplie de songes, de mélodies, de
5    couleurs, de formes, de rayons et de fantômes. Je n'étais plus une dame, je n'étais pas
      non plus un monsieur. On me poussait sur le trottoir comme une chose qui pouvait
      gêner les passants affairés. Cela m'était bien égal, à moi qui n'avais aucune affaire. On
      ne me connaissait pas, on ne me regardait pas, on ne me reprenait pas : j'étais un
      atome perdu dans cette immense foule. Personne ne disait comme à la Châtre : "Voilà
10  madame Aurore qui passe ; elle a toujours le même chapeau et la même robe" ; ni
      comme à Nohant : "Voilà not'dame qui poste(2) sur son grand chevau ; faut qu'elle soit
      dérangée d'esprit pour poster comme ça." A Paris, on ne pensait rien de moi, on ne
      me voyait pas. Je n'avais aucun besoin de me presser pour éviter des paroles banales ;
      je pouvais faire tout un roman d'une barrière(3) à l'autre, sans rencontrer personne qui
15  me dît : "A quoi diable pensez-vous ?" Cela valait mieux qu'une cellule(4), et j'aurais pu
      dire avec René, mais avec autant de satisfaction qu'il l'avait dit avec tristesse, que je
      me promenais dans le désert des hommes(5).

George Sand, Histoire de ma vie, Quatrième partie, chapitre XIV, 1854 (Le Livre de Poche, 2004, p. 599 - 600)

(1) : idéal : ici, ce dont elle rêve, ce qu'elle rêve de faire
(2) : poster : aller rapidement à cheval
(3) : barrières : portes aux différentes entrées de la ville de Paris
(4) : cellule : chambre très simple d'un moine dans un monastère
(5) : désert des hommes : expression extraite de René, roman de Chateaubriand (1802)


QUESTIONS SUR LE TEXTE : 15 POINTS

I - Le portrait d'une femme originale (6 points)

1.
a. Lignes 2 à 5 : Quelle figure de style George Sand utilise-t-elle pour se décrire ?
b. Dans ces mêmes lignes, quelles expressions montrent que George Sand vit dans l'inconfort ? (1 point)


2."Je n'étais plus une vieille dame, je n'étais pas non plus un monsieur"
a. Liez ces deux propositions en utilisant une conjonction de coordination.
b. Quel lien logique avez-vous mis en valeur ?
c. Expliquez la différence entre "femme" et "dame". (1,5 points)

3. Relisez les deux premiers passages au discours direct.
a. Quel est le niveau de langue de chacun d'eux ?
b. Proposez deux qualificatifs qui résument les commentaires faits sur George Sand. (2 points)

4. En conclusion, indiquez en quelques lignes les traits essentiels du portrait que George Sand fait d'elle-même (1,5 points)

II - "Le désert des hommes" (4 points)

5. Lignes 7 à 13 : "On ne me connaissait pas, on ne me regardait pas, on ne me reprenait pas [...] on ne pensait rien de moi, on ne me voyait pas"
a. Quelle figure de style est utilisée ici ? Justifiez avec précision.
b. Qui est "on" ?
c. Par quel pronom indéfini "on" est-il repris deux fois dans le texte ?
d. Relevez les deux groupes nominaux qui désignent les Parisiens entre les lignes 6 à 10. (2 points)

6.
a. Relevez une comparaison entre les lignes 6 et 10.
b. Relevez une métaphore dans ces mêmes lignes.
c. Quel effet produisent-elles ? (1 point)

7. En conclusion :
a. Que signifie l'expression "désert des hommes" ?
b. Quel sentiment George Sand éprouve-t-elle dans ce "désert des hommes" ? Justifiez votre réponse en citant le texte (1 point)

III - De la liberté à l'inspiration de l'écrivain (5 points)

8.
a. Quel mot du texte est repris par les deux pronoms "le" à la ligne 2 ? (0,5 point)
b. "le faire éclore" : Expliquer précisément cette image. (1 point)
c. Quelle énumération montre que George Sand parle ici de son inspiration d'écrivain ? (0,5 point)
d. Quel mot, dans les lignes 14 à 17, confirme cette explication ? (0,5 point)

9.
a. Relevez dans l'ensemble du texte trois compléments de lieu qui précisent où se trouve George Sand pendant que lui vient cette inspiration.
b. Lignes 14 à 19 : Quel verbe résume ce que fait George Sand de son "entière liberté" dans Paris ? (0,5 point)

10. En conclusion, dites en quelques lignes pourquoi George Sand a trouvé à Paris les conditions nécessaires pour devenir écrivain. (1,5 points)


RÉÉCRITURE ET DICTÉE : 10 POINTS

Réécriture : 4 points

"Cela m'était bien égal, à moi qui n'avais aucune affaire. On ne me connaissait pas, on ne me regardait pas, on ne me reprenait pas."

Réécrire ce passage au conditionnel passé (temps employé dans la forme : "j'aurais pu..." ligne 15), en employant la première personne du pluriel à la place de la première personne du singulier.

Dictée : 6 points

Paris avait glacé en moi cette fièvre de mouvement que j'avais subie à Nohant. Tout cela ne m'empêchait pas de courir sur les toits au mois de décembre et de passer des soirées entières nu-tête dans le jardin en plein hiver ; car dans le jardin aussi, nous cherchions le grand secret et nous y descendions par les fenêtres quand les portes étaient fermées. C'est qu'à ces heures-là nous vivions par le cerveau, et je ne m'apercevais plus que j'eusse un corps malade à porter.

Avec tout cela, avec ma figure pâle et mon air transi, dont Isabelle faisait les plus plaisantes caricatures, j'étais gaie intérieurement. Je riais fort peu, mais le rire des autres me réjouissait les oreilles et le cœur.

George Sand, Histoire de ma vie, Troisième partie, chapitre XI.

RÉDACTION : 15 POINTS

George Sand, en s'habillant et en vivant comme un homme, a choqué la société de son temps.

Imaginez une situation où un adolescent ou une adolescente, élève de troisième, ne se sent attiré(e) que par une activité ou un domaine professionnel majoritairement représenté par le sexe opposé (par exemple, rugby, électrotechnique ou plomberie pour une fille ; danse classique, puériculture ou métier de sage-femme pour un garçon). Face aux arguments sexistes de son entourage, l'adolescent(e) décide d'écrire une lettre ouverte dans le journal du collège pour protester contre ces préjugés.

CONSIGNES
- Vous respecterez la situation d'énonciation.
- Votre texte devra respecter les caractéristiques de rédaction et de présentation d'une lettre, en préservant votre anonymat dans la signature.
- L'auteur de la lettre racontera d'abord dans quelles circonstances est née cette attirance puis il exposera dans une partie argumentative structurée les raisons qui le poussent à écrire.
- Il sera tenu compte, dans l'évaluation, de la correction de la langue et de l'orthographe.




Académies de Besançon, Dijon, Grenoble, Lyon, Nancy-Metz, Reims, Strasbourg


Le docteur Jean-Louis Etienne est parti de Ward Hunt Island (extrême nord du Canada) le 7 mars 1986 et a atteint le pôle Nord te 11 mai 1986, II a ainsi parcouru environ 1200 km à pied, en solitaire, avec un simple traîneau de survie. Lors de son départ, la température était de moins 47°c.

           Jeudi 17 avril, c'est le printemps... arctique ! Il fait moins vingt degrés aujourd'hui, j'ai
     chaud. Pour la première fois je peux enfiler un simple pantalon coupe-vent, assez léger, facilitant
     l'effort.
           Je marche de sept heures du matin à quatre heures de l'après-midi.[...]
5          Vendredi 18 avril. 86°29' ! ENFIN ! Je suis presque à mi-chemin du Pôle. A l'assaut ! Je
     pousse sur mes bâtons comme un diable, avec un moral d'acier. J'ai découvert une brèche dans le
     labyrinthe, je la surnomme " l'Avenue du pôle Nord ". C'est une cassure orientée nord-sud qui
     n'en finit pas. C'est parti, je vais battre tous mes records.
           Je ne battrai rien du tout. Trois heures plus tard la neige et le brouillard arrivent. Très vite
10 le soleil se mue en aura(1) abstraite derrière moi (pas de soleil, pas de nord). J'avance malgré tout
     Je me fie à l'angle de chute des flocons de neige croisant mes skis, mais soudain tout
     tourbillonne, je ne sais plus où j'en suis.
           Je me retourne pour vérifier mon cap d'après le halo fragile du soleil. Tout va bien, il luit
     faiblement dans mon dos. D'un coup d'œil, je balaie ce qui reste d'horizon tout autour. Nom de
15  nom, ce point lumineux, à droite, là-bas, c'est peut-être lui, aussi... ! mais non, il est à gauche,
     c'est cette lumière irisée(2), tremblotante ! Bon sang, il est partout à la fois, même devant moi la
     brume s'est maintenant éclaircie, et... beaucoup plus qu'ailleurs ! Nom de nom, ce n'est pas
     possible, s'il est vraiment là, j'ai dû rebrousser chemin sans m'en apercevoir. Cela fait combien de
     temps que tu marches plein sud, espèce d'idiot ? Une heure, peut-être plus même !
20       J'arrête. Spasmodiquement(3), des détonations et grincements lugubres retentissent derrière
     l'écran feutré du brouillard et des neiges. Quelle ambiance ! Cela me rappelle le bruitage des
     trains fantômes dans les fêtes foraines. A chaque instant je m'attends à ce que le squelette de
     l'ingénieur Andrée(4) surgisse de la banquise. J'explore les environs en tapant du bâton, comme un
     aveugle. Je cherche une glace plus rassurante, celle de l'avenue du pôle Nord est trop fraîche à
25 mon goût. Je monte sur une assez haute marche et tombe enfin sur une plaque plus épaisse, bien
     durcie. Zut ! elle l'est tellement que mes piquets de tente ne peuvent la pénétrer. Jusqu'à présent,
     j'avais pu enfoncer ces sardines(5) de vingt-cinq centimètres de long dans la neige de surface,
     même très tassée. Ce soir, je dois monter ma tente à l'aide des skis. Il y a deux anneaux prévus à
     cet effet, à chaque bout, et qui la tendent. Des blocs de glace, découpés à la pelle -non sans
30 difficultés- les immobilisent bien droits, ils servent de poteaux. Ça a l'air de tenir...
     Heureusement que le blizzard n'est pas de la partie ! [...]
           Toute la journée la banquise gronde mais j'arrive quand même à dormir.

Jean-Louis Etienne, Le marcheur du pôle, 1986

(1) : aura : auréole lumineuse ; halo.
(2) : irisée : qui présente les couleurs de I'arc-en-ciel.
(3) : spasmodiquement : par à coups ("spasme" : contraction musculaire involontaire).
(4) : l'ingénieur Andrée : Suédois qui a péri dans sa tentative de gagner le pôle Nord en 1897.
(5) : sardines : tiges métalliques qu'on enfonce dans le sol pour maintenir une tente.


QUESTIONS SUR LE TEXTE : 15 POINTS

I - Ecrire l'aventure (4,5 points)

1. En relevant des indices dans le texte et le paratexte, indiquez à quel genre d'écrit appartient cet extrait. (1 point)

2. Le présent de l'indicatif est le temps dominant. Quelle est la valeur de ce présent ? Quel effet produit-il ? (1 point)

3."[...] j'ai dû rebrousser chemin sans m'en apercevoir. Cela fait combien de temps que tu marches plein sud, espèce d'idiot ?" (lignes 18-19)
a. Relevez les pronoms personnels. Qui désignent-ils ? (1 point)
b. Que remarquez-vous d'étonnant ? Comment l'expliquez-vous ? (0,5 point)

4. Malgré les conditions extrêmes qu'affronte le personnage, montrez en vous appuyant sur le texte que le narrateur garde un certain sens de l'humour. (1 point)

II - Des hauts et des bas (6,5 points)

1.
a. Que ressent le narrateur dans le troisième paragraphe (lignes 5-9)? Pour quelles raisons ? (1 point)
b. Quel changement représente le paragraphe suivant ? (0,5 point)
c. "C'est parti, je vais battre tous mes records. / Je ne battrai rien du tout." (lignes 8-9) Dans ces deux phrases, comment l'auteur insiste-t-il sur la brutalité du changement ? (1 point)
Deux éléments de réponse au moins sont attendus.

2.
a. Par quel verbe synonyme pourrait-on remplacer "se mue" (ligne 10) ? (0,5 point)
b. Trouvez un mot de la même famille que le verbe se muer. (0,5 point)

3. Lignes 13 à 19, c'est la confusion qui règne dans l'esprit du personnage. Montrez que l'expression renforce cette idée en vous appuyant successivement sur le lexique, la ponctuation, le rythme du texte et les types de phrases. (1,5 points)

4. Quelle nouvelle "ambiance" apparaît aux lignes 20 à 23 jusqu'à "...banquise" ? Relevez trois mots significatifs pour justifier cela. (1,5 points)

III - Camping de l'extrême (4 points)

1. Expliquez la phrase : "J'explore (...) un aveugle." (lignes 23-24). Quelle figure de style est ici employée ? (0,5 point)

2.
a. Quelles difficultés rencontre le narrateur pour monter sa tente ? (1 point)
b. En vous appuyant sur la fin du texte, vous direz comment on s'aperçoit qu'il est cependant bien endurci par toutes ces épreuves ? (0,5 point)

3. Comparez les nuances dans l'expression des sentiments qu'apportent les points d'exclamation des lignes 1, 5, 26 et 31. (1 point)

4.
a. Ligne 32, quelle est la valeur de la conjonction de coordination ? (0,5 point)
b. Transformez la phrase sans en modifier le sens mais en introduisant une proposition subordonnée conjonctive. (0,5 point)



RÉÉCRITURE ET DICTÉE : 10 POINTS

Réécriture : 4 points

Réécrivez le passage ligne 20 à 23 ("J'arrête... banquise.") à la troisième personne du singulier et dans le système du passé, avec comme temps de base le passé simple et l'imparfait.

Dictée : 6 points

(Le 10 Mai 1986, Jean-Louis Etienne touche au but.)

Ça y est, je suis passé ! Enfin... il serait exact, et surtout plus noble, de dire que la banquise vient de m'ouvrir sa porte blanche, pour accéder jusqu'à son centre, le pôle Nord, que les enfants canadiens appellent le pays du père Noël, car ils savent bien qu'il y habite.

Et moi, en contemplant la blancheur insensée de cet univers fabuleux, je suis prêt à croire qu'ils ont raison, que je vais croiser son traîneau au détour d'une crête enneigée, et que nous nous saluerons au passage !

Jean-Louis Etienne, Le marcheur du pôle.

RÉDACTION : 15 POINTS

Le jour de son départ pour le pôle Nord, Jean-Louis Etienne laisse à ses proches une lettre. Rédigez ce texte, qui devra comporter :
- Un aspect narratif : le narrateur raconte comment est née sa passion pour le grand Nord. Cette partie inclura quelques éléments décrivant des paysages polaires.
- Un aspect argumentatif où le narrateur exprime les raisons qui l'ont poussé à tenter cette aventure malgré les risques.

Vous respecterez bien les contraintes d'écriture d'une lettre et veillerez à faire plusieurs paragraphes.



Dans cette œuvre autobiographique, l'auteur relate un voyage familial réunissant sa grand-mère, qu'il appelle bonne-maman, sa sœur aînée Françoise et ses autres frères et sœurs.

           Françoise, qui venait d'obtenir son permis de conduire, nous proposa d'effectuer
      le trajet en deux étapes. Nous nous pliâmes aux désirs du chauffeur et embarquâmes
      dans la vieille onze(1) familiale. Bonne-maman installa à portée de main sa provision de
      morceaux de sucre et sa bouteille d'alcool de menthe(2) puis donna le feu vert.
5          -Et surtout, sois prudente ! recommanda-t-elle à Françoise.
      Pauvre Françoise, la route fut pour elle un long calvaire, car bonne-maman, non
      contente de tout ignorer de la conduite, se piquait en plus de donner des conseils.
           -Attention au tournant... Prends garde à la voiture qui vient... Regarde ta
      route... Ne va pas si vite... Ne te laisse pas distraire par tes sœurs et vous, ne lui parlez
10  pas... Laisse-le nous dépasser, va, nous avons le temps... Ralentis.
           De temps à autre et pour se défouler, Françoise proposait hargneusement de céder
      sa place, mais bonne-maman étant sourde, cette redoutable proposition n'avait, Dieu
      soit loué, aucune chance d'aboutir.
           En dépit de ce double pilotage, nous arrivâmes sans encombre jusqu'à Arles où
15  nous nous arrêtâmes pour passer la nuit. Peu habitués à fréquenter les hôtels, mis à part
      le "Claridge", nous choisîmes naïvement un boui-boui(3) de dernière classe. Bonne-maman
      s'en aperçut trop tard et bouda le dîner en guise de représailles. Elle était très polie et ne
      fit aucune réflexion désobligeante à haute voix mais nous en chuchota quelques-unes
      comme chuchotent les sourds, c'est-à-dire que toutes les personnes présentes dans la
20  salle à manger se tournèrent vers nous lorsque notre grand-mère nous dit en confidence :
           -Ces haricots verts de conserve sont pleins de fils et toute cette huile d'olive me
      restera sur l'estomac !
           Cet aveu, des plus discrets, fut sans doute entendu jusqu'aux cuisines car, sans
      doute pour faire bonne mesure, la salade qu'on nous servit par la suite flottait sur un
25  bain d'huile.
           Bonne-maman pinça les lèvres et garda le silence jusqu'à la fin du repas. Elle se
      rattrapa et donna libre cours à son indignation lorsque nous prîmes possession de nos
      chambres. Elle ouvrit tous les lits, scruta les draps d'un œil soupçonneux et déclara
      enfin d'une voix non dépourvue d'une légère satisfaction :
30       -J'en étais sûre, "ils" ont déjà servi !
           Partant de là, il va de soi que les matelas se révélèrent avachis, les sommiers
      défoncés, l'éclairage pisseux, le lavabo bouché et le petit coin douteux. En résumé,
      notre grand-mère nous affirma qu'elle ne pourrait fermer l'œil de la nuit. Malgré tout,
      comme il était grand temps de dormir, elle déposa une de ses serviettes de toilette sur
35  son oreiller, nous expliqua qu'elle s'isolait ainsi de la crasse, paraît-il visible sur la taie,
      puis se coucha. Elle le fit avec une répugnance manifeste(4), ce qui ne l'empêcha pas de
      dormir d'une seule traite.

Claude Michelet, Une fois sept, Éditions Robert Laffont, 1983.

(1) : vieille onze : II s'agit d'une "Traction", une automobile Citroën des années quarante et cinquante.
(2) : alcool de menthe : Alcool qui aide à lutter contre le mal des transports. On le prend à
raison de quelques gouttes versées sur un morceau de sucre.
(3) : boui-boui : établissement de qualité inférieure.
(4) : répugnance manifeste : dégoût évident.


QUESTIONS SUR LE TEXTE : 15 POINTS

I - Le voyage (5 points)

1. "Françoise, qui venait d'obtenir son permis de conduire, nous proposa d'effectuer le trajet en deux étapes." (l. 1-2).
Relevez la proposition subordonnée présente dans cette phrase et précisez sa nature. En quoi l'information donnée par cette subordonnée annonce-t-elle la suite du texte ? (1,5 point)

2. "Attention [...] Ralentis." (l. 8 à 10).
Etudiez la construction de ce paragraphe, en précisant le mode verbal dominant, la longueur des phrases et la ponctuation. Quel est l'effet produit sur l'entourage de bonne-maman ? (1,5 point)

3. Comment l'adverbe hargneusement (l. 11) est-il formé ? A partir de votre réponse, précisez quel est l'état d'esprit de Françoise au cours de ce voyage. (1 point)

4. "[...] la salade qu'on nous servit par la suite flottait sur un bain d'huile." (l. 24-25). Quelle est la figure de style employée ici ? En quoi souligne-t-elle la première impression laissée par l'hôtel ? (1 point)

II - Bonne-maman (5 points)

1. Quelle est l'infirmité de bonne-maman ? En quoi cette infirmité joue-t-elle un rôle dans la progression du récit ? (1 point)

2. "Ces haricots verts de conserve sont pleins de fils et toute cette huile d'olive me restera sur l'estomac !" (l. 21-22).
Mettez cette phrase au style indirect en commençant par : "Notre grand-mère nous déclara que..."
Dites laquelle des deux formulations vous préférez. Votre réponse sera argumentée.(1,5 point)

3. "Partant de là, il va de soi que les matelas se révélèrent avachis, les sommiers défoncés, l'éclairage pisseux, le lavabo bouché et le petit coin douteux." (l. 31-32). Quels sont les termes qui qualifient les éléments du décor ? Quel type de jugement traduisent-ils de la part de bonne-maman ? (1 point)

4. En prenant appui sur le texte et sur vos réponses aux questions précédentes, dites quels sont les traits de caractère de bonne-maman. (1,5 point)

III - Un regard amusé (5 points)

1. "J'en étais sûre, "ils" ont déjà servi !" (l. 30).
Que représente "ils" ? Quelle est la classe grammaticale de ce mot ? Pourquoi est-il mis entre guillemets ? Sur quel ton bonne-maman a-t-elle prononcé cette phrase ? (2 points)

2. A quel genre de portrait appartient la description de la grand-mère, si l'on considère la critique que Claude Michelet fait de l'attitude et du caractère du personnage ? (1 point)

3. Relevez dans le texte quelques marques de l'intervention du narrateur-adulte. Celui-ci ne semble pas ressentir l'agacement qui devait être le sien quand il était enfant. Pourquoi ? (2 points)


RÉÉCRITURE ET DICTÉE : 10 POINTS

Réécriture : 4 points

Ce matin du 8 octobre 1959, depuis deux jours, j'avais trente ans et j'étais résolu à me battre et à m'affirmer. En arrivant dans les coulisses du théâtre, j'ai rencontré un Ivernel aussi combatif que moi. Nous nous sommes embrassés, bien décidés à "mettre le paquet". (l.1-4).
Réécrivez ce texte en remplaçant "je" par "elle" et en effectuant les modifications nécessaires.
Attention : les fautes de copie seront sanctionnées.

Dictée : 6 points

Bonne-maman ouvrit son parapluie et, très droite sur son banc, fixa la mer d'un œil sévère. Elle n'était pas belle la mer, oh non, pas belle du tout ! La Méditerranée s'était mise en frais en notre honneur et roulait d'impressionnantes vagues. Tout alla à peu près bien tant que nous fûmes dans le bassin du port ; nous avions déjà les pieds dans l'eau, mais ce n'était pas encore angoissant.

La danse commença dès que nous eûmes franchi la passe. Nous mesurâmes soudain à quel point notre embarcation était petite, délabrée, surchargée. Le patron se cramponna à la barre et augmenta le régime du moteur, l'oncle Marc s'épongea fébrilement le front, mes sœurs et moi nous nous regardâmes avec une certaine inquiétude et c'est alors que bonne-maman sortit son chapelet.

Claude Michelet, Une fois sept.


RÉDACTION : 15 POINTS

Quelques jours après être arrivés sur leur lieu de vacances, bonne-maman et ses petits-enfants visitent un village touristique. Fidèle à elle-même, la vieille dame se montre critique et exaspérante. Imaginez ce nouvel épisode dans lequel Françoise essaie de prouver à sa grand-mère sa mauvaise foi en lui reprochant son attitude.
Cet échange se fera sous le regard amusé du narrateur.

CONSIGNES :
- Votre devoir présentera brièvement les circonstances et les lieux dans lesquels se déroule l'épisode.
- Il insistera sur le portrait en situation du personnage, au cours d'une vive discussion entre Françoise et bonne-maman.
- Il devra respecter le mode d'énonciation et le niveau de langue du texte de Claude Michelet.

Attention : Il sera tenu compte, dans l'évaluation :
- de la présentation,
- de l'orthographe,
- et de la correction de la langue (vous éviterez les expressions trop familières).