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Le groupe d’experts amende les nouveaux programmes du lycée

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Les nouveaux programmes du lycée sont à nouveau amendés (le 18 avril pour ceux de Première et le 20 avril 2001 pour ceux de Seconde). A cette date ils n’ont toujours pas reçu de signature officielle pour parution au BO. Il s’agit donc d’une deuxième réécriture (cf. l’analyse de leur première réécriture au BO Hors-Série nº6 du 31 août 2000), qui dans le prolongement de la première renforce l’enseignement de la littérature et garantit l’exercice de la pensée critique.

Saluons donc :

1. le retour de la dissertation dans le préambule des programmes de français, alors que la polémique du printemps 2000 avait permis sa réapparition dans la seule partie consacrée à ceux de Première. Citons : dans ce préambule, dans la partie "  progression d’ensemble ", on peut lire que " la classe de seconde met surtout en lumière les façons de convaincre et persuader ; la classe de première, les formes et pratiques liées à la délibération ; [la formation à la dissertation concourt à cette fin] ". (Les derniers amendements seront entre crochets.) Plus bas, dans la partie " Mise en œuvre ", on peut lire : " Des exercices brefs et fréquents développent l’écriture d’invention [en même temps qu’ils forment à l’écriture de commentaire et à la dissertation] " au lieu de " en même temps que l’écriture d’analyse et de commentaire ". A la fin des objectifs de la classe de Première, on peut lire : " [Les lycéens doivent être capables, à partir de leurs lectures, de formuler un jugement personnel argumenté, notamment dans un commentaire ou dans une dissertation.] " Il n’est cependant pas question de commentaire composé. On peut donc craindre une remise en cause de cet exercice particulièrement formateur.

2. le retour de l’histoire littéraire, spécifié dans le premier objet d’étude du programme de Seconde, "un mouvement littéraire " - mention ayant valeur d’objectif à atteindre pour l’élève : " les élèves sont amenés à construire la notion, nouvelle pour eux, de mouvement littéraire et culturel (auteurs, œuvres, contextes) [pour apprendre à mieux contextualiser les œuvres qu’ils lisent]. " Il est ajouté : " [En classe de seconde, l’étude porte sur un des mouvements majeurs qui structurent l’histoire littéraire et culturelle française. La démarche de contextualisation particulièrement mise en œuvre ici est sollicitée en tant que de besoin dans les autres objets d’étude. L’élève se construit de la sorte un savoir sur les mouvements majeurs au fil de ses lectures.]" On croit rêver : le mot " savoir " est réintroduit. Pour les programmes de première, on lit la variante suivante : " [L’élève enrichit ainsi son savoir d’histoire littéraire et culturelle au fil de ses lectures.] "

Si dans les universités françaises, dans les années 60 et 70, la contestation de l’histoire littéraire en tant que construction idéologique fut historiquement nécessaire pour atteindre le texte littéraire sous quelques couches de poussières académiques, encore faut-il rappeler que d’une part nous ne sommes plus dans ces années-là, que l’histoire littéraire a progressé depuis, et que d’autre part les nouveaux programmes s’adressent à des lycéens, et non à des étudiants de lettres. Ces derniers, qui avaient reçu une sérieuse culture historique, pouvaient se permettre de la bousculer et de la contester. Le texte littéraire y gagna sans doute beaucoup. Mais les lycéens d’aujourd’hui ? Faut-il les priver de la possibilité de s’inscrire dans notre monde comme les héritiers de phénomènes littéraires et culturels passés ? Alain Viala et le groupe d’experts ont finalement compris notre souci. L’histoire littéraire doit être enseignée au lycée, à tous les élèves, de crainte qu’elle ne fonctionne que comme un signe distinctif de classe, à l’usage de ceux qui parlent de littérature à table, chez eux. Une culture, surtout bourgeoise, (mais rappelons-le, accuser l’histoire littéraire d’être une construction idéologique est aujourd’hui daté, et une telle accusation, actuellement, devient une nouvelle idéologie, encore plus discriminante), de même qu’une langue, surtout majoritaire, ne peuvent se contester que de l’intérieur. Que peut-on faire lorsque le pouvoir vous a seulement permis de croupir dans un présent perpétuel informe ou de zapper sur des textes absolument décontextualisés, et qu’il a prétendu vous libérer d'une norme linguistique nationale devenue insupportable en vous faisant apprendre, à l’école, la langue dominée de vos grands-parents ?

3. le renforcement de la littérature dans les nouveaux programmes avec, en première, l’introduction d’on objet d’étude portant sur le théâtre en tant que texte et spectacle, en lieu et place de l’objet d’étude " Ecrire, publier, lire au passé ", qui relève d’une approche socio-critique chère à A. Viala, nécessaire à la formation universitaire de tout étudiant de lettres, mais moins immédiatement pertinente pour un lycéen ; avec en seconde, la mention discrète de la poésie, grande absente de ces programmes, dans les objets d’étude relatifs au mouvement littéraire et à " l’éloge et blâme " : le corpus étudié pourra être constitué d’un " groupement de textes [poésie ou prose] ." Dans le préambule, on peut lire que " l’enseignement du français contribue à la constitution d’une culture par la lecture de textes de toutes sortes, [principalement] (et non plus " en particulier ") d’œuvres littéraires significatives." Plus bas, il est indiqué que " l’histoire littéraire et culturelle aide les élèves à comprendre le présent à la lumière de l’histoire des mentalités, des idéologies et des goûts, [saisie dans la lecture des textes]. " Enfin, encore un peu plus bas, on constate que " l’enseignement du français au lycée porte donc avant tout sur les textes, [essentiellement] (et non plus " en particulier ") littéraires. "

4. l’assouplissement, dans les termes, de la séquence, puisqu’elle est rebaptisée " séance " dans les nouveaux programmes de seconde, et " ensemble unifié " dans ceux de première. Espérons qu’il ne s’agisse pas là d’un simple maquillage sémantique, gageons que littérature, professeurs et élèves respirent à nouveau dans un corset desserré, et que la " séquence " cesse d’être un bric-à-brac didactique pour redevenir ce que le bon sens exige qu’elle soit, un ensemble cohérent de cours, articulé autour d’une ligne directrice.

5. la relative émancipation de la littérature d’un enseignement " citoyen ", dans le nouvel ordre des finalités de l’enseignement du français au lycée. Au nombre de 4, il s’agit de " l’acquisition de savoirs, la constitution d’une culture, la formation du citoyen et la formation personnelle ". Dans le dernier amendement la formation du citoyen passe en dernière position ! Sur ce sujet des rapports entre la littérature et la citoyenneté, lire " Un enseignement citoyen des Lettres ? " sur www.sauv.net/citoyen.htm et " Capes de Lettres ou capes de Morale ? " sur www.sauv.net/capesmorale.htm .

 

En somme, peu à peu, le groupe d’experts révise le texte en consolidant l’approche de la littérature, qui ne peut être sacrifiée à l’" air du temps " et abandonnée à la seule élite, et en gravant dans les programmes la nécessité d’exercer les élèves à formuler un jugement argumenté par la pratique du commentaire et de la dissertation. Puisque les nouveaux programmes du lycée doivent commander la conception de l’EAF, comme le répètent de nombreux Inspecteurs depuis plus d’un an, alors qu’à cela ne tienne. Qu’ils poursuivent leurs efforts dans la définition des épreuves certificatives. A partir de ces nouveaux programmes, on peut construire 3 sujets :

  • une dissertation littéraire, portant sur un des objets d’étude. Il faut dans ce cas définir un programme national, pour ne pas surcharger la tâche de travail des élèves,
  • un commentaire littéraire composé, éventuellement rattaché aux objets d’étude du programme,
  • et un travail d’écriture argumentatif, qui se travaillerait dans le cadre du 4ème objet d’étude, " Convaincre, persuader et délibérer : les formes et les fonctions de l’essai, du dialogue et de l’apologue ". Ce travail d’écriture pourrait donc se présenter sous la forme d’un essai (discussion), ou d’un dialogue, voire d’un apologue (mais cette dernière possibilité n’est-elle pas trop difficile ?). Il serait formulé à partir d’un texte argumentatif, à propos duquel on demanderait aux élèves de vérifier, dans une première partie assez brève, qu’ils en ont compris le sens et le cheminement argumentatif. Laissons de côté les questions trop techniques.

Enfin, les écrits d’invention et les écrits fonctionnels, pratiqués dans le cadre des objets d’étude, seront réalisés et évalués (ou non) en cours d’année, en particulier dans les modules, car c’est là qu’ils trouvent tout naturellement leur place. Il faut à ce sujet regretter leur réduction en seconde et leur disparition en première. Ces exercices ne peuvent en aucun cas constituer des épreuves certificatives de l’épreuve anticipée de français.

 

" Sauver les lettres ", mai 2001.

 


Sauver les lettres
www.sauv.net
 

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