Qui se soucie des enseignants ?


Les Allègre et les Ségolène Royal sévissent un peu partout. Dernièrement, à l’appui de sa politique de " rationalisation " (le terme qui désigne au Portugal comme en Allemagne les " dégraissages " dans l’industrie…), la ministre de l’Education a déclaré que les professeurs devaient faire huit heures de cours par jour.
Ci-dessous une version française d’un texte paru dans l’hebdomadaire portugais
Visão, et repris dans plusieurs blogs de collègues, celui-ci par exemple :
http://joaotilly.weblog.com.pt/ .


Par José Gil – Visão, 9 novembre 2006 : " Quem se importa com os professores ? "

Ce qui est impressionnant dans les interventions médiatiques des responsables du Ministère de l'Éducation (ME), est l'absence totale d'une parole d'estime et d'encouragement envers les professeurs. Quand elle vient, elle semble forcée, trop générale, et démontre une incompréhension profonde des conditions d’exercice de ce métier. Les dernières rumeurs (véridiques) sur les éventuelles huit heures de cours obligatoires, plus la réduction des congés de Noël, de Carnaval et de Pâques, prouvent que les autorités chargées de concevoir la politique éducative de notre pays ne savent pas – ou ne veulent pas savoir - ce qu’implique d'être enseignant.

On a la sensation que le Ministère de l’Education voit l'enseignant comme quelqu’un qui jouit de privilèges immérités, qui descend dans la rue quand ça lui prend, qui est absent en classe toutes les fois qu’il le peut, que en fait le minimum pour l'élève, qui se dérobe autant qu’il le peut au travail et à l’effort.

Le comble de cet intolérable état de choses est qu’il bénéficierait - comme on le fait croire aux Portugais - des meilleurs salaires en comparaison avec ses équivalents européens.

L'impératif de la politique scolaire se formulerait donc ainsi : "On va mettre de l’ordre dans tout ça." On va balayer le gaspillage, le gâchis, l'opportunisme, le laxisme, la facilité, l'incompétence - tous ces vices de la majorité des enseignants qui auraient transformé l'école en un lieu où l’on touche un bon revenu, en travaillant peu, mal, et en jouissant d’innombrables avantages et du plus grand temps de loisir.

Image si prégnante que les exceptions - "ce professeur qui nous a marqué pour toute la vie...", phrase usée qui, du moins, dit la partie minime qui compose la minorité – ne seraient pas en mesure de la faire reculer et de la supprimer.

Voici ce qui expliquerait les excès verbaux (et pas seulement verbaux) des responsables du ME. On a la nette impression qu’ils n'aiment pas les enseignants – pour autant qu’ils veuillent les distinguer des syndicats.

Or, ce qui est en jeu dans l'actuel débat sur l'éducation, est la transformation d'une situation depuis longtemps désastreuse, pour créer les conditions d’un enseignement de qualité, à la hauteur des ambitions de la "modernisation" globale du pays, proclamées par le Gouvernement. Dans ce cadre, l’Education constitue un pilier essentiel du programme de gouvernement du Premier ministre : s'il échoue, c’est tout le programme qui échouera. En ce moment on constate que le climat dans les établissements scolaires (enseignants fatigués, abattus, déprimés – ceux qui font partie des "exceptions") ne contribue pas à la bonne application des nouveaux statuts qui arrivent.

Qui se soucie des enseignants ? Question qui pourrait déraper, dangereusement, vers cette autre : qui se soucie de l'enseignement ? Qui, dans cette réforme, pense au type de travail, matériel et immatériel, que fournit l'enseignant, pour que la relation maître-élève produise les effets attendus ? Relation extrêmement délicate, qui ne se réduit pas à transmission de connaissances, mais qui exige de l'enseignant un investissement multiple, émotionnel et intellectuel, qui provoque une usure psychique et existentielle extrême. Qu’on me permette de citer quelques lignes que j'ai écrites ailleurs : "L'investissement dans l'activité d’enseignement convoque des forces de tous ordres, les dons, la capacité de contrôler et de s’autocontrôler, la plasticité pour s’adapter et s’occuper de chaque élève en particulier, l'équilibre incessant entre le rôle d’enseignant et celui d'éducateur, la constante énergie que l’on exige de soi-même (le terrible surmoi du professeur qui le contraint à avoir la meilleure image de soi pour être en paix avec soi-même), la responsabilité que l’on assume de faire progresser les élèves, etc. Il n'investit pas une ou deux "compétences", dans son cours il investit son existence entière".

Mais ce ne sont pas seulement l'esprit et les méthodes pédagogiques qui doivent être considérés dans un contexte élargi. C'est la notion elle-même de "rationalisation" de l'enseignement qui doit être repensée. La politique éducative actuelle semble souffrir de toute une série de dysfonctionnements et de déphasages : on change le statut des carrières enseignantes, avec de nouvelles tâches, plus de travail, sans changer les contenus et en négligeant la formation nécessaire des mauvais enseignants ; on instaure des règles d'évaluation, mais on n’élimine pas les copinages et les connivences ; on exige des bonnes volontés pour certaines tâches, et on brise les volontés en n'offrant pas de contreparties ; on tourne les parents contre les professeurs, ceux-ci contre l'instance de tutelle, le personnel administratif contre les enseignants, et on voit même se former des alliances élèves - parents contre le Ministère.

Tout cela est mauvais pour l'enseignement et pour l'éducation. Comme si la "rationalisation" de l'enseignement primaire et secondaire, en ne prenant en compte que certains de leurs aspects, et sans vision globale, induisait nécessairement d’autres formes d'irrationnalité et d’anarchie."


José Gil – Visão, 9 novembre 2006.
Courtoisie de José Ruas

Traduction de Jean-José Mesguen