" Grammaire vs linguistique " : les préjugés et la raison.

Communication d'Éric Pellet. Université d'été 2007.


Cette journée de réflexion sur l’enseignement de la grammaire s’inscrit dans le contexte du rétablissement officiel, préconisé par le rapport Bentolila, du cours de grammaire spécifique à l’école et au collège, ce dont nous devons nous féliciter, dix ans après sa suppression (les instructions de 96-97 recommandaient un traitement ponctuel des questions de grammaire à l’occasion de l’étude des textes, en excluant un cours spécifiquement grammatical). Pour beaucoup, ce retour du cours de grammaire sera donc l’occasion de restaurer la grammaire d’autrefois, une " vraie " grammaire enfin débarrassée de toutes les innovations " linguistiques " introduites durant les trente dernières années… Faut-il se réjouir de cette atmosphère de restauration ?… Il y a dix ans un membre de l’Inspection générale pouvait déclarer en privé que la grammaire était une discipline académique obsolète appelée à disparaître, comme en son temps la rhétorique, pour laisser la place à la " communication ". Il y a deux ans, un autre membre non moins éminent de l’IG décidait de réduire le nombre de grammairiens au jury d’agrégation et de confier l’interrogation en grammaire à des non-spécialistes ; aux membres du jury qui avaient protesté contre cette décision (et dont j’étais), il déclarait qu’un agrégé avait juste besoin de savoir expliquer ce qu’est un sujet ou un complément d’objet, et qu’il n’était pas nécessaire d’être spécialiste pour évaluer ce savoir. La grammaire semble ainsi condamnée depuis une trentaine d’années à subir le feu croisé des modernistes et des anti-modernistes, sans cesse sommée de choisir entre la disparition et la fossilisation.

Je voudrais défendre ici l’idée qu'il y a place dans l’enseignement scolaire pour une grammaire moderne, capable d’évoluer, et que défendre la grammaire comme discipline d’enseignement n’implique pas nécessairement de promouvoir la restauration de la grammaire d’autrefois.

La " grammaire scolaire " rassemble un corpus de notions fixé dans les années 1880, au moment de la mise en place de l’école de la République, et enseigné sans modification jusqu’en 1970. Cette stabilité de 80 ans a été mise à mal dans les années 1970 par l’introduction de notions et surtout de méthodes d’analyse empruntées aux écoles linguistiques du XXe siècle, notamment distributionnelle et générativiste. Les programmes de 96 ont à leur tour été marqués par l’entrée de la linguistique de l’énonciation et de la grammaire de texte. Ces introductions de notions nouvelles, pas toujours maîtrisées, ni cohérentes, ont abouti à ce que la linguistique soit par certains considérée comme responsable de la crise que connaît, entre autres, l’enseignement de la grammaire. Pourtant la relation entre grammaire et linguistique ne peut se réduire à une alternative, comme pourrait le suggérer le titre de cette table ronde : "quel enseignement possible de la langue entre grammaire et linguistique ?"

Certes les différences sont connues : la grammaire a une perspective normative, sa finalité est pédagogique, donc prescriptive, tandis que la linguistique a une finalité scientifique, elle vise par la description à améliorer et approfondir la connaissance du langage. Mais " différence " ne signifie pas " opposition ". Comme le soulignait déjà Jean-Claude Milner dans Introduction à une science du langage (1984) : " La linguistique désire être une science. En dehors de ce désir, elle n’a aucun statut et n’a plus qu’à se confondre avec les pratiques fort anciennes et fort estimables qu’on regroupe sous le nom de grammaire ". L’alternative entre linguistique et grammaire, qui semble faire un retour du côté des opposants à la linguistique, est en réalité une survivance des conflits d'école des années 1960-1970. Survivance plutôt anachronique car, depuis déjà une bonne vingtaine d’années, la grammaire à l’Université est de toute évidence engagée dans une phase syncrétique et les antagonismes théoriques s’y sont largement apaisés : l'enseignement de la langue à la Sorbonne ne diffère pas fondamentalement de celui qui est dispensé à Nanterre. Les commissions de grammairiens des jurys de concours (Capes, Agrégation) ont d’ailleurs dans ce domaine assumé une fonction d’intégration.

L’opposition entre les deux disciplines est d’autant plus artificielle qu’à toutes les époques, la grammaire a emprunté ses concepts et ses méthodes aux sciences du langage. Ce que l’on appelle la " grammaire scolaire " n’est qu’une formation elle-même syncrétique mêlant des notions de toutes origines ; au substrat issu de la grammaire latine, se sont greffés les apports les plus divers : la notion de " mode " par exemple est un héritage des grammairiens anti-aristotéliciens du Moyen-âge, les notions de " sujet " et de " proposition " nous viennent de la Grammaire de Port Royal qui les avait empruntées à la logique, celle de " complément " n’apparaît qu’avec les encyclopédistes au XVIIIe siècle, quant à la notion de " complément d’objet direct ", considérée comme un pilier inébranlable de la grammaire " traditionnelle ", elle a été forgée à la fin du XIXe siècle et n’a été introduite à l’école qu’au début du XXe siècle.

Le problème n’est donc pas de savoir si la grammaire doit ou non intégrer de nouvelles notions issues des sciences du langage - elle l’a toujours fait - mais plutôt quelles notions intégrer ? comment ? à quel rythme ? à quel niveau ? sous quels termes ?…

Se pose ainsi la question de la terminologie, cible privilégiée de la critique des apports des sciences du langage à la grammaire. L’argument avancé est toujours celui du " jargon ", souvent accompagné de son corollaire, que l’on pourrait appeler l’argument de la grand-mère, généralement mis au service de la restauration de l’ancien ordre grammatical... La parution du rapport Bentolila-Orsenna a été l’occasion dans les médias (c’est le cheval de bataille d’E. Orsenna) de dénoncer le " jargon " grammatical, qui déroute les familles, le rapport préconisant une terminologie qui " permette aux parents et aux grands parents d’accompagner sans difficulté l’apprentissage de leurs enfants et petits-enfants " (cf : les conclusions du rapport Bentolila)… Il ne faudrait donc enseigner en grammaire que ce que les générations antérieures connaissaient déjà… D’une façon étonnante, l’argument de la grand-mère semble réservé à cette discipline : personne n’exige du professeur de physique qu’il enseigne exclusivement, et dans les mêmes termes, les notions de physique qui avaient cours entre 1920 et 1960... Et pourtant l’objet de la physique (les lois de la matière) est bien plus immuable que l’objet de la grammaire (le langage). Par ailleurs, la notion de jargon est tout à fait subjective : pour un enfant qui n’a pas encore acquis de vocabulaire grammatical, article ou conjonction ne sont pas moins (ni plus) jargonnants que déictique ou déterminant. Lorsqu’au début du XXe siècle F. Brunot a introduit le terme de " complément d’objet " dans les programmes, il s’en est trouvé beaucoup pour dénoncer cette nouveauté scandaleuse, et pour estimer bien suffisant le terme accusatif  que l’on avait " toujours employé ", ou même celui de régime, utilisé à l’époque par les grammairiens moins conservateurs… Les auteurs des programmes se sont-ils alors demandés si les grands-mères des enfants de 1900 avaient appris le complément d’objet ? Cette nouveauté terminologique était certes liée à la linguistique mentaliste dont F. Brunot était un représentant; mais elle constituait surtout une nouvelle étape dans l’effort, très ancien et toujours inachevé, que la grammaire du français, langue sans déclinaison, a dû faire pour s’affranchir de la terminologie de la grammaire latine. Finalement ce que l’on dénonce comme " jargon ", c’est toujours le vocabulaire technique récent, celui qui n’a pas encore été estampillé par deux générations d’élèves.

Tout cela ne signifie pas inversement qu’un concept soit bon dès lors qu’il est nouveau : on peut à juste titre s’interroger sur l’intérêt qu’il y avait d’introduire dès la 6e la notion de progression thématique, et l’on n’est pas obligé d’admirer la périphrase " mot qui renvoie à la situation d’énonciation ", inventée par les programmes de 96 pour éviter l’emploi du mot déictique

Ce qui doit guider la réflexion terminologique, ce n’est pas l’attachement irrationnel aux signifiants de son enfance, c’est le souci de la cohérence : est-ce un profit pour l’enseignement ? la grammaire scolaire gagne-t-elle ou non en rationalité ? A titre d’exemple, la terminologie de 1997 a officialisé le remplacement des anciennes appellations adjectif démonstratif, adjectif possessif, etc., par déterminant démonstratif, déterminant possessif, terminologie employée à l’université depuis déjà plusieurs décennies. Cette " nouveauté " (la notion de déterminant a été forgée il y a deux siècles et demi par les grammairiens de l’Encyclopédie !…) a mis fin à une contradiction pédagogique, que tout professeur de collège rencontrait lorsqu’il expliquait d’un côté que les adjectifs sont des mots qui " s’ajoutent " au groupe nominal et qu’on peut donc les supprimer contrairement aux déterminants, et d’un autre côté que les " adjectifs démonstratifs " ne peuvent pas être supprimés, que ce sont donc des déterminants, bien qu’on les appelle " adjectifs " !... Même si elle perturbe les habitudes des générations antérieures, cette modification terminologique, que d’ailleurs le rapport Bentolila entérine, rend assurément un peu plus rationnel l’enseignement de ces classes de mots.

Le savoir grammatical est fort heureusement susceptible d’évoluer, et il n’y a pas lieu de s’étonner que les mots pour le dire puissent changer, ni que de nouveaux objets de savoir apparaissent. Le problème est en fait celui du rythme de ces modifications et de leur cohérence, questions d’ordre plus institutionnel que théorique. Les processus de décision dans l'institution scolaire reposent sur un jeu complexe d’influences et de corrections, dans lequel interviennent des comités d’experts, l’inspection générale, la commission des programmes, les conseillers du ministre, parfois le ministre lui-même... Ce jeu d'influences conduit parfois à des monstres théoriques, et presque toujours à des compromis dans lesquels la cohérence peut se perdre. Les programmes de 96 par exemple se sont constitués autour de la notion de discours. Or l’article " Discours " de la Grammaire d’aujourd’hui, publiée en 1986, soit dix ans plus tôt, s’ouvrait déjà sur cette remarque : "  Sauf peut-être le terme voisin d’énoncé, il semble qu’il n’y ait  pas de mot plus polysémique dans le champ linguistique " ; et les auteurs de recenser cinq, voire six acceptions différentes. Outre qu’on peut s’interroger sur la nécessité qu’il y avait de constituer en clé de voûte des programmes une notion aussi peu stabilisée, l’examen des " documents d’accompagnement " montre que les programmes oscillent en permanence entre deux sens du mot : l’acte de production d’un énoncé (c’est-à-dire l’énonciation), et le résultat de l’acte de production (c’est-à-dire l’énoncé ou une suite d’énoncés). Or dans les premiers états de la rédaction de ces programmes, à la place du mot " discours ", on trouve les mots " énoncé " et " énonciation ". On peut en conclure que la peur du jargon et la nécessité de trouver un compromis ont conduit à la promotion du mot " le plus polysémique ", et donc le plus confus à enseigner. Ajoutons qu’au moment où étaient rédigés ces programmes (95-97), les principaux théoriciens universitaires avaient abandonné l’expression " forme de discours " (narratif, descriptif, etc.) au profit de " type de texte " (ou de " prototype ", ou encore de " séquence ", selon J. M. Adam), qui se prête mieux au relevé des marques formelles. Du coup, les nouveaux programmes de collège se sont trouvés dans la situation de promouvoir une terminologie qu’aucun chercheur n’employait plus…

La recherche du compromis - qui n’est pas en soi scandaleuse si l’on ne perd pas de vue la cohérence - est peut-être aussi à l’origine d’une tendance générale des réformes, qui procèdent par accumulation, par ajout plutôt que par choix. Les programmes de collège de 1995-96, par exemple, sans doute désireux d’éviter le traumatisme de 1975, n’ont proposé aucun changement dans l’enseignement de la syntaxe, ni dans la définition des classes et des fonctions (il y aurait pourtant encore beaucoup à faire), ils ont choisi d’ouvrir l'enseignement de la langue aux apports de la linguistique des années 70-80 : grammaire de l’énonciation, grammaire de texte, analyse de discours. Sans véritablement modifier la progression des acquisitions, ils ont ainsi ajouté de nouveaux contenus à l’enseignement de la grammaire ; la place de la grammaire de phrase en collège s’est trouvée réduite par le simple fait de l’augmentation des notions à enseigner, et ce au moment même où l’on supprimait le cours de grammaire et où l’on réduisait les horaires de français.

La perception du changement dans l’institution scolaire est également tributaire de la diffusion des programmes et de la formation des enseignants. Ceux-ci ont connu dans leurs études des apprentissages différents de l’analyse de la langue, leur niveau de formation en linguistique est loin d’être homogène, et c’est souvent la pratique des manuels scolaires qui unifie le savoir grammatical des enseignants. Pour être admis, un changement de méthode et/ou de terminologie devrait être expliqué aux principaux intéressés, mais aucun argumentaire n’a jamais été fourni aux enseignants pour justifier les innovations et aucun programme de formation à grande échelle n’a jamais été mis en place pour accompagner ces changements. La terminologie de 97, qui manifeste un certain souci de rationaliser l’enseignement de la syntaxe, est de ce point de vue passée totalement inaperçue : les " documents d’accompagnement ", exclusivement consacrés à la pratique de la " séquence ", n’en parlent d’ailleurs pas, et l’on a parfois le sentiment qu’elle obéit à une logique sensiblement différente de celle des programmes qui lui sont contemporains. Quant aux manuels, certains d’entre eux semblent ne s’apercevoir des évolutions qu’après plusieurs années, et/ou pérennisent des erreurs d’analyse dénoncées depuis longtemps par les spécialistes. Les enseignants de français peu versés dans les questions de théories grammaticales sont alors confrontés à des discours contradictoires d’un manuel à l’autre, entre lesquels ils n’ont pas toujours les moyens de trancher, ce qui entretient un sentiment d’insécurité théorique (cf par exemple, le traitement comparé des notions d’apposition, d’épithète ou de " complément essentiel "…).

La grammaire doit rester un exercice de la raison, et c’est la fonction de la linguistique, au prix bien sûr d’une adaptation de ses concepts au public scolaire, de fournir les moyens de la rationaliser, de remédier à ses imprécisions, ses approximations, ses contradictions. Ce qui devrait guider les auteurs présents et futurs des programmes, ce n’est ni la fidélité aveugle à la tradition, ni la soumission aux théories en vogue, mais le souci de la rigueur, de la cohérence, et au bout du compte de l’efficacité du concept pour les élèves. Il est à souhaiter que les prochaines révisions des contenus ne se réduisent pas à l'alternative entre l'ancien et le nouveau, et qu’elles évitent les constructions théoriques ad hoc, dont l’institution scolaire, du fait de sa force d’inertie, a ensuite tant de mal à se défaire. À cet égard, les deux " innovations " terminologiques proposées par le rapport Bentolila ne semblent pas vraiment rompre avec les pratiques précédentes. La première consiste à réintroduire l’appellation " complément d'attribution " à la place de " complément d’objet second ", au motif qu’elle facilitera l'apprentissage du datif en allemand. Outre qu’elle marque un retour de l’analyse du français à partir d’une langue à déclinaison (l’allemand venant étrangement se substituer au latin), ce retour à la case départ va conduire les enseignants à renouer avec les incohérences qui, il y a trente ans, avaient conduit à l’élimination de l’ancienne appellation (Je ne sais plus qui a écrit : Faudra-t-il appeler complément d’attribution le groupe " de M. Bentolila " dans la phrase Le ministre a reçu de M. Bentolila un joli rapport  ?…). La seconde modification consiste à faire de la notion de connecteur le terme générique regroupant pour l’école primaire prépositions, adverbes et conjonctions. Véritable innovation qui, comme d’autres avant elle, se soucie peu de la cohérence de l’ensemble, car non seulement aucun théoricien des connecteurs n’utilise le mot dans ce sens, mais le terme de connecteur est déjà une notion ambiguë dans les programmes de 1996, lesquels confondent en une seule appellation deux fonctionnements différents : celui de lien sémantique entre deux phrases ou deux propositions, et celui d’organisateur textuel (d’où les " connecteurs spatiaux ", autre création ad hoc, également monstrueuse). Enfin poser que les " connecteurs " forment une " classe grammaticale ", c’est risquer d’introduire la confusion parmi les adverbes, dont certains figurent parmi les " connecteurs ", alors que la classe des adverbes dans son ensemble est rangée par les auteurs du rapport parmi les " unités lexicales " : dès lors les professeurs devront-ils expliquer que les " connecteurs adverbes" ne sont pas des adverbes ?…L’exigence de rationalité devrait conduire dans ce cas soit à ne pas prendre un terme déjà en usage dans un autre sens (pourquoi pas simplement " mots de liaison " ?), soit à pousser la logique jusqu’à faire disparaître la classe des adverbes, elle-même très hétéroclite…

Pour les mêmes raisons, il est à craindre que le retour aux catégories " sémantiques " revendiqué par le rapport Bentolila contre les " dérives formalistes ", à l’image de la réhabilitation du complément d’attribution ou du retour de la question comment ?, fasse peu progresser l’exigence de rigueur. Là encore, la question paraît mal engagée : l’usage des critères formels (déplacement, substitution, possibilités de transformation, construction directe ou indirecte, etc.) n’a pas pour but de supprimer les catégories sémantiques (les notions d’agent, de cause, de temps, de lieu, etc. sont des catégories nécessaires), il vise à éviter de mêler indistinctement dans l’analyse grammaticale les critères de classement formels aux critères sémantiques. Un exemple simple : les élèves étudient la conséquence, catégorie sémantique, comme un type de complément circonstanciel (ou de subordonnée), opposable alors aux compléments d’objet. Or dans une phrase comme Cette théorie a provoqué des catastrophes, le " complément d’objet " constitue sémantiquement la conséquence, et le " sujet " y est la cause… Il serait bien plus cohérent de distinguer clairement dans l’analyse le niveau syntaxique (sujet, complément d’objet, complément essentiel, facultatif, direct/indirect…), qui définit les fonctions en termes formels, du niveau sémantique qui est compatible avec divers types de fonctions : la cause peut être exprimée certes par un complément circonstanciel mais aussi par le sujet, ou même le complément d’objet (ex. : La catastrophe résulte de cette théorie)… Un enseignement grammatical qui apprendrait aux élèves à distinguer rigoureusement les différents niveaux de la réflexion sur la langue (syntaxique/sémantique/énonciatif…), au lieu de les confondre dans la pratique et dans la terminologie (voir à ce propos les ouvrages de Claude Hagège), ferait un grand pas vers cette exigence de rationalité, nécessaire à la survie de l’enseignement grammatical, et qui demeure la seule alternative à l’argument d’autorité (" C’est ainsi qu’il faut dire parce que c’est ainsi que mes maîtres me l’ont appris. "). Comme on le voit, il reste encore un long chemin à parcourir.

Ajoutons pour finir que la grammaire doit être défendue, moins pour sa " petite musique " - chère à E. Orsenna mais trop souvent synonyme de nostalgie -, que parce qu’elle est, avec les mathématiques, la discipline scolaire qui donne le plus tôt accès à l'abstraction ; ce qui fait d’elle la discipline la plus directement préparatoire à la philosophie. Par elle, l’élève apprend à classer des objets de pensée, il découvre des catégories aussi abstraites que celles de sujet , de complément, ou de cause, qui lui donnent, au même titre que les mathématiques, des moyens pour concevoir les relations, des outils pour ensuite penser d’autres systèmes – outils que seule une réflexion systématique suivie d’exercices répétés permettront de maîtriser, comme le rappelle à juste titre le rapport Bentolila. En lui apprenant à exercer ses capacités d’abstraction sur ses propres mots, la grammaire permet à l’élève de prendre à l’égard de cet objet à la fois si familier et si impalpable, le langage, la distance nécessaire à l’exercice de la pensée critique et au développement de la conscience de soi.


Éric Pellet, Université Paris XII.
8 septembre 2007

Éric Pellet a co-écrit avec Dominique Maingueneau Les notions grammaticales au collège et au lycée, éd. Belin, 2005.