Analyse des extraits du rapport Thélot parus dans la presse.

Derrière les bons sentiments, des intentions redoutables, des catastrophes à venir.


Recentrage sur les enseignements fondamentaux

La commission propose de revenir sur une des principales dispositions de la loi de 1989, l'objectif de conduire 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat. "Il vaudrait mieux s'assurer que l'ensemble d'une classe d'âge maîtrise, à l'issue de la scolarité obligatoire, les compétences nécessaires (...) à une vie personnelle et à une intégration réussie." Pour la commission, l'école doit donc se "recentrer sur ce qui demeure sa mission première : faire maîtriser par tous les élèves les savoirs et les compétences jugées indispensables ou fondamentaux et qui ne peuvent s'acquérir que durant la première partie de la vie". Pour la commission, les "règles de comportement" font partie intégrante de ce socle commun.

 Thélot semble revenir sur la loi de 89 ( les 80%) ; mais c’est pour en accentuer les travers : vider l’école de sa fonction d’instruction pour la charger ( quitte à la faire couler) de tâches éducatives qu’elle est incapable d’assurer.

1 - Les "règles de comportement" sont une compétence fondamentale, certes, mais qui relève de l’éducation familiale, et quelles que soient les dérives de la cellule familiale, l’école ne peut s’y substituer.

2 - En plus, toutes les heures consacrées à cet apprentissage seront autant d’heures prises à l’instruction des savoirs véritablement fondamentaux, d’où la continuation des dérives que le ministre lui-même a stigmatisées ( pb de lecture, d’écriture, de calcul)

3 - Résultat : les élèves n’auront acquis
-ni savoirs
- ni " règles de comportement ". S’il suffisait d’enseigner les règles de bonnes conduites pour que tout le monde se tienne bien, il n’y aurait plus de délinquance...
- Cela handicapera les élèves qui - quelle que soit leur origine sociale - ont déjà " 
les règles de comportement ", et attendent davantage de l’école.

4 - Pire : Si on fait porter de plus en plus à l’école, et seulement à elle, la charge de dire l’interdit, la censure du désir, alors que tout dans la société, pousse à son assouvissement et au défoulement, elle focalisera encore plus la haine des enfants et des ados. Seule la structure familiale peut assumer cette tâche difficile, car elle compense toujours la rigueur de l’interdit par l’affection que ne peut donner l’école.

La scolarité obligatoire

Trois grandes catégories d'enseignement sont proposées aux élèves pour maîtriser les enseignements fondamentaux et trouver leur voie de réussite. La plus importante, obligatoire et dénommée le "socle commun de l'indispensable", comprend la langue, les mathématiques, "l'éducation à la vie en commun", l'anglais de communication internationale ainsi que la maîtrise des technologies de l'information.

Disparition de l’histoire, disparition de la littérature : le patrimoine culturel, qui donne à un peuple " une identité commune de passé et de destin " est supprimé. Sans références communes, trans - générationnelles, et trans - communautés, l’école ne joue plus son rôle de ciment culturel et social, et renforcera, à très court terme, la communautarisation de la société. Il ne sert à rien de prendre d’un côté des mesures pour faire appliquer la laïcité républicaine, et d’un autre, de vider les contenus de tous les savoirs qui font comprendre et admettre cette laïcité républicaine.

La seconde, elle aussi obligatoire, correspond aux disciplines jugées moins fondamentales comme les sciences, le travail manuel, l'éducation physique et sportive, une deuxième langue vivante... La troisième porte sur des enseignements optionnels pour permettre la diversification des parcours. Selon son niveau scolaire, un élève pourra être appelé à passer l'essentiel de son temps sur l'apprentissage du socle ou n'y consacrer, par exemple, que la moitié de son temps, le reste étant consacré aux autres disciplines.

Si on compare le fondamental et l’obligatoire, on constate que l’enseignement de l’informatique est plus indispensable que les sciences naturelles et la biologie, qui n’interviennent que dans un 2ème temps. Il serait donc plus important de connaître " Windows " que son propre corps, ou la théorie de l’évolution. Encore une fois, ce n’est pas la meilleure façon de conforter une école formatrice de citoyens laïcs et républicains. Car les intégristes de tout poil sont aussi très forts en informatique...

Par ailleurs, qui sait correctement lire, écrire, compter, observer, peut se rendre maître en très peu de temps de l’outil informatique. Il est donc inutile - et nuisible - de gaspiller des heures à cette dispersion. De plus, les dépenses occasionnées par l’informatisation généralisée du système scolaire seraient mieux utilisées à la création de postes d’enseignants... pour enseigner les véritables fondamentaux.

Pour la commission, il appartiendra toutefois à la nation de définir précisément ces contenus et l'organisation de la scolarité obligatoire. La commission préconise, pour cela, la constitution d'une autorité indépendante - un Haut Conseil de l'éducation composé de personnalités extérieures au système éducatif - et d'y associer le Parlement.

Là aussi, c’est renforcer les erreurs de la loi de 89, au lieu de les corriger. C’est déjà Jospin qui avait créé le Conseil Supérieur des Programmes, pour retirer la maîtrise des contenus des mains de l’Inspection générale, trop attachée à l’enseignement disciplinaire. Figurent en outre, dans le Conseil supérieur de l’Education, un tas de gens qui n’ont rien à voir avec l’école. Il est vrai qu’il n’a qu’un pouvoir consultatif. Thélot veut-il lui donner un pouvoir plus important ?

Des "personnalités extérieures au système éducatif " peuvent définir les finalités de l’école ; elles n’ont aucune compétence pour en définir les contenus, les enseignements, et il serait salutaire de rendre aux professionnels praticiens, cette tâche que leur avait enlevée la loi de 89.

Risques de dérives :
- une école " fourre-tout " à laquelle on demanderait (encore plus que maintenant) de pallier toutes les carences de la société)
- une école qui dériverait au gré des influences, des modes, ou des pressions de tel ou tel groupe.

La commission propose également de renforcer la politique de cycles d'apprentissage mis en place par la loi d'orientation de 1989 mais qui n'ont jamais été réellement appliqués. Elle suggère l'instauration de trois cycles pour la scolarité obligatoire : le cycle d'apprentissage (maternelle, CP, CE1), le cycle d'approfondissement (CE2, CM1, CM2, sixième) et le cycle de diversification (cinquième, quatrième, troisième). Cette disposition vise à atténuer les ruptures entre la maternelle, l'élémentaire et le collège.

Nouveau coup de volant en direction de la loi Jospin : Thélot se lamente du fait que, malgré la politique de cycles il y ait encore trop de redoublements !

La nouvelle répartition de trois cycles pour la scolarité obligatoire : le cycle d'apprentissage (maternelle, CP, CE1), le cycle d'approfondissement (CE2, CM1, CM2, sixième) ouvrirait définitivement les vannes des écluses stratégiques, sur lesquels les enseignants résistent : CP - CE1 ; CM2 - 6è.

Admirons l’euphémisme, il ne s’agit pas de  supprimer les redoublements , mais d’atténuer les ruptures

Rappel des dégâts de la suppression des redoublements :
- pour les profs, hétérogénéité ingérable des classes ;
-pour les élèves, soit l’enseignement s’adapte aux plus faibles et on ennuie, on lasse, on abandonne les autres, soit on s’adapte aux plus fort et on traîne les autres, de classe en classe, dans un sentiment d’échec et de dépréciation personnel peu propre à en faire des citoyens raisonnables.
- pour les familles : l’école les trompe ( surtout les parents des milieux peu instruits) parce qu’elle leur masque les difficultés de leur enfant et leur niveau réel.

Critiquant sévèrement les carences de l'orientation, la commission appelle à une "véritable révolution" dans les "modes de pensée" et les "pratiques".

Ce n’est pas une carence de l'orientation, mais une carence de l’enseignement dispensé aux élèves, et des structures actuelles de l’école.

Comment orienter un élève à qui manque même les apprentissages de base, lire, écrire, compter ? On peut orienter un élève qui possède des savoirs partiels ; pas un élève qui, faute de savoirs fondamentaux, n’est plus susceptible d’être orienté nulle part. La vraie question, cynique, n’est pas alors " comment l’orienter ? ", mais " où s’en débarrasser " ?

Pourquoi pousser systématiquement les élèves vers l’enseignement général - faute de place en enseignement professionnel - alors qu’ils sont déjà en échec au collège, dans les disciplines indispensables à la poursuites d’études en enseignement général ? Ce n’est pas la faute des orienteurs ou de l’orientation, mais des contraintes structurelles qui pèsent sur l’orientation.

Une "éducation aux choix"serait inscrite dans l'emploi du temps des élèves à hauteur de 50 à 70 heures - annuelles au collège.

50 à 70 heures - annuelles, cela représente 2 à trois semaines d’école, soit près du dixième d’une année scolaire, pris sur les enseignements disciplinaires fondamentaux dont a besoin l’élève qui veut pouvoir choisir positivement son orientation. Au lieu de lui donner les moyens intellectuels de son orientation, on va gaspiller ce temps, dont nous manquons, à lui expliquer ce que c’est que l’orientation....

Organisation du lycée

Pour la commission, "la nouvelle organisation de la scolarité obligatoire rend possible une redéfinition de la première année du lycée". Comme les élèves sont censés maîtriser un socle commun de connaissances, la diversification des parcours pourrait ainsi commencer dès la classe de seconde. Le lycée continuerait à s'organiser en trois filières (générale, technologique et professionnelle). A l'issue de la classe de seconde, ces filières seraient toujours subdivisées en séries (S, L, ES, etc.). Afin de contribuer à la revalorisation de l'enseignement professionnel, la commission suggère l'élaboration d'un "statut du lycéen professionnel" avec une rémunération correspondant aux activités en entreprise.

" la diversification des parcours pourrait ainsi commencer dès la classe de seconde.

Annonce positive : tout le monde se plaint du caractère ingérable des secondes actuelles
- par leur hétérogénéité ;
- par le fait que tout élève est censé pouvoir demander n’importe quelle section à la fin de sa seconde. Du coup, les critères d’évaluation des professeurs sont exigeants : le professeur de math est obligé d’exiger un niveau qui permette d’accéder à la première S, le professeur de français un niveau qui prépare à la première L...si bien que cette seconde généralisée qui doit être une transition avec le collège est exactement l’inverse. Il serait donc bon de pouvoir diversifier les parcours dès la seconde.

Mixité sociale

La commission ne remet pas en cause la sectorisation scolaire mais préconise une politique de discrimination positive "beaucoup plus ambitieuse". Une part importante, jusqu'à 25 % des crédits, pourrait ainsi être déterminée en fonction des caractéristiques des élèves. Dans les établissements difficiles, la commission suggère par exemple de permettre aux chefs d'établissement de donner leur avis sur la nomination des personnels. Dans les cas "extrêmes", le rapport envisage de fermer les établissements victimes d'une trop forte ségrégation.

C’est le baratin habituel des sociologues (on frémit quand on pense que ce sont eux qui pourraient définir nos programmes !)

" permettre aux chefs d'établissement de donner leur avis sur la nomination des personnels. " Cette idée montre combien ils sont déconnectés de la réalité : les académies qui ont de nombreux " établissements en difficulté " sont des académies déficitaires (Versailles, Créteil...). Dans ces lycées , un proviseur est heureux quand, à la rentrée, il peut mettre un professeur devant chaque classe. Aller lui demander, en plus de faire la fine bouche, relève de l’inconscience.

Il faut donc inciter les enseignants d’expérience à aller travailler dans ces établissements. Les professeurs ne sont pas des missionnaires, mais des salariés. Il faut donc leur proposer des incitations et des avantages. C’est ce qui se passe pour les enseignants en ZEP. Il faut donc étendre ces mesures, au lieu de les restreindre.

Dans les cas "extrêmes", le rapport envisage de fermer les établissements victimes d'une trop forte ségrégation : cela rappelle le " bussing ", dans les années 50 aux USA. Les sociologues, partent du principe suivant : pour obtenir de la mixité sociale, il faut mélanger les gens. Donc pour obtenir de la mixité sociale à l’école, il faut mélanger les élèves. Mais si on mélange les élèves en difficulté " extrême " avec ceux qui suivent, on est obligé de baisser le niveau des exigences, car sinon, les élèves en difficulté " extrême " se retrouvent vite largués, comme ils l’étaient dans l’établissement qu’on a fermé. L’expérience a montré que l’aspiration va toujours dans le même sens : les établissements dans lesquels on déverse ces cas extrêmes en grand nombre s’effondrent rapidement, car faute d’encadrement, de diversification des parcours, ces élèves en déserrance font régner la loi du plus fort (physiquement et non intellectuellement...) et empêchent les autres de travailler. ( Nous avons connu ça, à Gonesse : je peux te dire qu’une telle politique peut effondrer un lycée en 2 ans ; et ça nous a pris pas loin de 10 ans à le remonter).

Autonomie des établissements

La commission se prononce pour un renforcement de la "marge de manœuvre financière et pédagogique" des collèges et lycées. De 8 % à 10 % des crédits pourraient être utilisables librement par les établissements en fonction de leurs projets. Les principaux et les proviseurs seraient dotés de pouvoirs accrus. Pour le primaire, la commission préconise de donner aux écoles le statut d'établissement. Contrairement à la situation actuelle, où tous les professeurs des écoles y compris les directeurs possèdent un statut équivalent, un chef d'établissement serait "recruté, formé et nommé" par l'autorité académique.

Nous sommes opposés aux " projets d’établissement " : ils sont la porte ouverte à l’école à la carte et à plusieurs vitesse, c’est la fin de l’égalité d’instruction due à tous...

Si le directeur d’école primaire était un chef d'établissement "recruté, formé et nommé" par l'autorité académique,

- Marc Le Bris n’aurait jamais été directeur d’école à Médréac, au grand dam des habitants de Médréac,

- son directeur, nommé par son Inspecteur d’Académie ou par le Recteur luiaurait fait la peau depuis longtemps !

On sent bien derrière cette suggestion, qui n’est d’ailleurs donnée avec aucune justification , la volonté d’avoir tout à l’œil, et sûrement pas dans le sens d’une plus grande liberté pédagogique. " L’autonomie " est tout sauf l’autogestion. Un directeur d’école, actuellement, anime une équipe dont il est l’un des acteurs, ni plus, ni moins. Cela veut dire qu’il est plus coordinateur que "  fonctionnaire d’autorité ". Or, il s’agit de mettre l’école au pas, seuls pourront le faire des personnes animées plus du désir de pouvoir que du désir d’enseigner.

Redéfinition du métier d'enseignant

Le rapport propose une "nouvelle approche" de la profession enseignante afin de mieux prendre en compte "les missions autres que celle de l'enseignement". Première conséquence : la définition du service des enseignants intégrerait les fonctions éducatives (soutien, temps consacrés aux différents conseils, etc.) et non plus seulement les tâches d'enseignement. Seconde conséquence, le temps de présence dans l'établissement serait accru de quatre à huit heures pour les professeurs de collège et de lycée (aujourd'hui 18 heures pour un professeur certifié). "Cette proposition, parce qu'elle bouleverse les habitudes, devrait être la règle pour les professeurs de lycée et collège nouvellement recrutés et simplement proposée au choix des autres." Le recrutement et la formation des enseignants seraient également réformés. Au lieu d'être concentrée sur une seule année, la formation serait étalée sur deux ans après le concours. Après leur titularisation, les jeunes enseignants ne pourraient pas être nommés dans les établissements très difficiles, contrairement à la pratique actuelle.

 

 

 

SLL se battra au côté des syndicats pour s’opposer à ces mesures. Car cette dilution des tâches se fera au détriment de la formation intellectuelle, disciplinaire, qui permet seule de donner accès à l’indépendance que confère l’esprit critique.

Mais cette lutte est prioritairement celle des syndicats, puisqu’elle s’inscrit dans une dégradation générale des conditions de travail et de la qualité du service public.

Robert Wainer
09/2004