"L’école, un scandale étouffé par la hiérarchie"

Le Télégramme, 26/11/2004

Entretien avec Marc Le Bris (1)
Propos recueillis par Yvon Corre

Votre constat est extrêmement sévère. N'est-il pas caricatural ?

Non, les parents et les grands-parents constatent comme moi que l'école s'est dégradée. Quand je parle de " faillite obstinée ", ce sont des propos bien mesurés et pesés. Tout le monde le sait : ça ne va pas. Même les statistiques de l'Education nationale le disent : en sortant du primaire, un quart des élèves ne disposent pas des connaissances attendues. Et si les parents et les grands-parents ne faisaient pas le travail des instituteurs en cachette, ce serait encore bien pire. C'est un scandale et il est étouffé par la hiérarchie.

De quand datez-vous le début de cette faillite que vous dénoncez ?

C'est en 1970 avec l'installation de ce que j'appelle les " pédagogistes ", qui ont imposé la grammaire fonctionnelle, la lecture " naturelle " et les maths modernes. Une pédagogie prétendument moderne où ce sont les enfants qui doivent construire eux-mêmes leur savoir. Il y a une inversion du système d'apprentissage. Du simple au complexe, on est passé du complexe au simple. Je suis pour des méthodes actives mais on ne lâche pas des enfants dans la nature pour qu'ils découvrent la loi de la gravitation. La deuxième date clé est la loi Jospin de 1989 qui cristallise une sorte d'obligation à une seule pédagogie. C'est la loi d'un parti, celui des " pédagogistes ", avec des gens de gauche et de droite. Ils ne regardent plus les résultats : leur seul souci, c'est la méthode, la préservation du dogme. Cette loi ne mérite qu'un seul sort : être abrogée.

Pourtant certains affirment que le niveau des élèves monte...

Ça fait rire tout le monde ! Au départ, les enseignants y ont cru à ces méthodes, mais au fil du temps on s'est rendu compte que ce que nos enfants savaient faire, ceux d'aujourd'hui ne savent plus le faire. La division complète n'est plus au programme ni la description de la langue par sa grammaire. Alors que dans les années 56-60 les enfants de CP faisaient des divisions, aujourd'hui il faut attendre le CM2, résultat on a des élèves qui en 6 e ne maîtrisent pas la division.

Vous êtes donc pour le retour aux méthodes traditionnelles...

Je suis avant tout pour la liberté pédagogique. Qu'on laisse au moins les instituteurs qui le veulent utiliser par exemple la méthode syllabique en lecture. Notre langue est une langue alphabétique; il faut, selon moi, pour apprendre à lire, commencer par déchiffrer les lettres. Ce que l'on demande actuellement aux enfants, c'est de faire ce qu'a fait Champollion avec les hiéroglyphes, c'est-à-dire découvrir un système de décodage. C'est idiot de demander aux enfants d'être Champollion.

La question du redoublement est très controversée. Quelle est votre position ?

Ils n'ont jamais réussi à le supprimer totalement tellement c'est nécessaire. Affirmer que le redoublement est inefficace à partir du constat que sur 100 élèves qui ont redoublé, seulement 30 obtiennent le brevet du collège est une escroquerie. Ce n'est pas parce que la chimiothérapie ne soigne que 30 % des malades du cancer qu'on va la supprimer. Si on fait passer un élève qui n'a pas les bases, il sera toujours en échec. Je ne vous dis pas " vive le redoublement " mais en tout cas une chose est sûre : les élèves que l'on a empêchés de redoubler le CP, c'est pour eux une véritable catastrophe. On apprend à lire au CP et pas au CE1.

Vous êtes très sévère avec les IUFM. Leur rattachement à l'université comme le propose Fillon, est-ce une bonne chose ?

Ce sont des endroits d'un incroyable verbiage vide, perclus de théorisation. Les IUFM sont extrêmement néfastes pour les jeunes enseignants. En les rattachant aux universités, peut-être vont-ils se rattacher aux disciplines que l'on enseigne à l'université.

Que pensez-vous de la réforme Fillon et notamment de ce socle commun de connaissances que veut donner le ministre à tous les élèves ?

C'est le minimum, cela manque d'ambition. C'est comme si on ne s'occupait, dans un club de football, que de l'équipe de troisième division. La conséquence c'est que le minimum baisse. Est-ce que c'est une loi qui va sauver l'école ? Je n'en suis pas sûr. Le principal objet sur lequel il faut peser, ce sont les programmes. Actuellement dans les programmes, il y a tout et son contraire. Il faut des programmes décents et la liberté pédagogique avec un contrôle sur les résultats obtenus.

Actuellement il flotte comme un parfum de nostalgie. Ne vous inscrivez-vous pas dans ce courant qui milite pour le retour à l'école du bon vieux temps ?

Moi, je ne suis pas pour donner des coups de règle sur les doigts. Au contraire. Mais à l'école, on doit faire de l'école. Il y a beaucoup d'enseignants qui pensent comme moi. Le problème fondamental vient des corps hiérarchiques de l'Education nationale qui bloquent tout progrès. On m'a viré du corps des professeurs des écoles, mais mes élèves savent faire une règle de trois. Certains essaient de me faire passer pour un facho et un réactionnaire. J'ai voté toute ma vie à gauche. Je suis un républicain laïque.

(1) " Et vos enfants ne sauront pas lire... ni compter ". Editions Stock.