Socle commun : observations supplémentaires


    Je voudrais, à propos du socle commun, faire quelques observations qui me semblent pouvoir compléter ce qu'en a déjà dit Estelle Manceau dans son article intitulé Quelques réflexions sur le socle commun.

    De quoi s’agit-il ? " Le socle commun de connaissances et de compétences fixe les repères culturels et civiques qui constituent le contenu de l'enseignement obligatoire. Il définit les sept compétences que les élèves doivent maîtriser à l'issue de la scolarité obligatoire. Le socle est la disposition majeure de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'École du 23 avril 2005. " (http://www.education.gouv.fr/cid2770/le-socle-commun-connaissances-competences.html).

    Il convient de dénoncer la confusion dans laquelle on traite ici le mot " compétence ". Le Robert et le Larousse définissent en effet conjointement la compétence comme " capacité reconnue en telle ou telle matière, et qui donne le droit d'en juger ". Pour l'adjectif " compétent ", on trouve encore " qui a des connaissances approfondies dans une matière, qui est capable d'en juger ". Pourtant, le socle commun inclut dans chacune de ses sept compétences un certain nombre d’" Attitudes " pour le moins contestables : la " volonté ", " l'intérêt " ou le " goût " seront ainsi évalués dans " compétence 1 : maîtrise de la langue française " au même titre que des connaissances ou capacités. L’intérêt, même pour la lecture, serait-il donc passé incognito du statut d’ " état de l’esprit " (Robert) à celui de compétence ? Il semble bien que le socle commun se moque là du mot sain, et que ses concepteurs qui visent chez l'élève un " vocabulaire juste et précis pour désigner (...) des opérations de l'esprit, des abstractions ", n'aient pas daigné revoir le leur.

    Autre confusion, toujours à propos de la langue : le socle commun évaluera la maîtrise des " structures syntaxiques fondamentales " au titre des connaissances, et au titre des capacités celle d' " analyser les éléments grammaticaux d'une phrase afin d'en éclairer le sens ". Or ce dégagement du sens nécessite une analyse quelquefois très fine. Quelles sont alors ces " structures syntaxiques fondamentales " que mentionne le socle ? Est-ce que les propositions subordonnées des phrases complexes, si souvent décisives " afin d'en éclairer le sens ", en font par exemple partie ? Probablement non, car le mot " proposition " (au sens grammatical) est absent du descriptif. Les " structures syntaxiques fondamentales " se limiteraient donc aux seules phrases simples ? Mais comment dès lors " analyser les éléments grammaticaux " qui font qu'une phrase est complexe ? Et si la phrase échappe à ces mystérieuses " structures syntaxiques fondamentales ", faut-il donc renoncer à en comprendre le sens ?... On remarque d’ailleurs, concernant la grammaire, que si l’étude des propositions est absente du socle le mot " subordination " y figure, ce qui forme à l’évidence une nouvelle contradiction.

    Le socle exige encore que l'élève lise " des oeuvres littéraires, notamment classiques ", et l'on ne peut que s'en réjouir. Pour l'heure cependant, les programmes n'imposent au collège que quelques fables de La Fontaine en 6ème et une pièce de Molière en 4ème. Sauf à endurer que Monsieur l'Inspecteur ne se fâche tout rose, il nous faudra donc attendre qu'il y ait davantage de classiques dans de prochains programmes...

    Il convient aussi de rejeter sans discussion l'horrible " Livret de compétences " qui accompagne et complète tout cela. D'abord parce qu'il présente lui aussi des contradictions ; ainsi, la comparaison doit être maîtrisée en tant que figure de style, mais le complément de comparaison a disparu des fonctions grammaticales à identifier. Ensuite parce qu'à propos des circonstanciels on ne s'explique pas non plus l'absence de l'accompagnement et du but, également éliminés sans autre forme de procès. Enfin parce que le Livret, malgré la présence du " système des temps et des modes " dans le descriptif des " connaissances ", prend une direction opposée à celui-ci et supprime de l’étude l'impératif passé, trois temps du subjonctif (il ne reste que le présent), tout le mode infinitif et tout le mode participe (alors même que la notion de participe passé réapparaît pour l'orthographe) ! De plus, ce méchant Livret s'accompagne de colonnes d’évaluation à renseigner par le professeur principal et portant pour chaque critère les mentions " Acquis ", " En cours d'acquisition " ou " Non acquis ", auxquelles il faut ajouter une colonne " Je m'aide de... ", afin sans doute de ne pas gaspiller un temps précieux. La bêtise réside surtout ici dans la colonne " En cours d'acquisition ", car de nombreux professeurs travaillent en " séquences ", c’est-à-dire selon une succession de petits groupes de séances sans rapport entre eux (ils doivent découper ainsi dix à douze séquences par an, mais ce sont les adeptes de l’exercice répétitif et progressif qui pratiquent paraît-il un enseignement cloisonné…) ; ils font donc par exemple une séquence sur la description et n’y reviennent plus de l'année, si bien que l'élève qui obtiendra la mention " En cours d'acquisition " au contrôle de fin de séquence ne sera jamais réévalué sur la description par la suite, et que cette mention déjà bien imprécise se révèlera pour le coup parfaitement inutile.

    Je voudrais dire enfin moi aussi un mot de la " culture humaniste " présentée ici. Par ses choix, le catalogue imposé montre en plusieurs endroits une idéologie bien éloignée de la neutralité attendue à l'école : incitation à " rechercher un consensus " en lieu et place de toute forme de lutte, mise en avant d'un " engagement " favorable aux valeurs dominantes (choix officiel du " développement durable " au détriment de la décroissance ou d'autres orientations par exemple), l'humanisme est ici soluble dans une " éducation sociale et civique " reflétant la bien-pensance du moment, autant dire un catéchisme.

    Voilà. Je laisse à d'autres, si cela les tente, le soin de plaider en faveur de ce socle. Je veux pour ma part rappeler en conclusion l'absence de l'analyse logique, la conjugaison odieusement massacrée, et aussi ce silence total quant à une quelconque psychologie des personnages littéraires, le tout encore et toujours au bénéfice d’une narratologie techniciste, c'est-à-dire de l’analyse, sans cesse plus exaltante, des schémas narratif et actanciel…


    Luc Richer

07/2007