Réponse à la dame qui voulait " brevet de citoyenneté " et " gestion d’entreprise "


" 40000 jeunes tentent de mettre fin à leur vie, 2ème cause de mortalité des 15-24 ans après les accidents de la route; la prévention a été mise en place au collège avec l’instauration d’un brevet de sécurité routière.
Sur ce modèle je souhaite que soit instauré un brevet d’éducation à la citoyenneté afin que tous les enfants et adolescents puissent apprendre les notions de base de la vie en société : civisme, respect de l’environnement et de la collectivité ; que soient instaurés durant le temps scolaire des cours pour préparer l’adolescent à devenir un adulte sur le plan juridique, social et pénal avant toute forme de répression, éduquer.
(…)
Si l’école était gérée comme une entreprise, (…) tout le monde se mettrait à la tâche.
(…)
 L’école ne passionne pas les adolescents, les élèves s’ennuient (François Dubet, professeur de sociologie à l’université de Bordeaux). "


    Madame,

    Vous n'avez pas idée, semble-t-il, du nombre de séances déjà consacrées annuellement dans les collèges à la sécurité routière, à la citoyenneté, au développement durable, à la prévention anti-alcoolisme, anti-cannabis, anti-"rapports sexuels non protégés", et j'en passe... Autant de séances où, en espérant se substituer à l'éducation défaillante des familles, on ne se consacre donc plus à l'orthographe, à la conjugaison, à la qualité de l'expression écrite et à l'enrichissement du vocabulaire, sans parler des autres disciplines affectées.

    Or notre collectif se bat pour que ce " tout éducatif " n'en vienne un jour à purement et simplement remplacer l'ambition d'instruire. Votre message nous paraît donc quelque peu contradictoire : on ne peut à la fois appeler de ses voeux l'instruction publique, avec les horaires disciplinaires que cela suppose, et prôner l'éducatif toutes directions à l'école. Le temps scolaire doit selon nous rester le temps scolaire, celui qui par sa qualité va favoriser chez l'élève la maîtrise de sa langue ainsi que le développement d'une pensée autonome et critique, non le temps d'une prévention de tous les dangers d'ailleurs illusoire sans cette maîtrise et ce développement.

    Il est vrai que vous citez M. Dubet, sociologue très en vue naguère encore, et qui prône qu'on n'instruise plus à l'école qu'en se référant au niveau de l'élève le plus faible (ce qu'il appelle d'ailleurs lui-même le " smic culturel ", belle ambition !) ; si ce sont là les penseurs qui vous inspirent, vous comprendrez que nous ne pouvons partager votre souhait.

    Nous sommes d'ailleurs frappés par une autre contradiction de votre message : vous souhaitez, dites-vous, que l'école soit " gérée comme une entreprise ", et vous en attendez on ne sait quel miracle. Sachez alors que c'est justement parce que l'école a été de plus en plus gérée comme une entreprise que nous en sommes aujourd'hui à interdire les redoublements en raison de leur coût, à abolir la liberté pédagogique des professeurs qui empêche l'uniformité des personnes et des méthodes, à orienter les élèves en fin de 3ème avec un logiciel permettant de régler machinalement les critères de cette orientation, à truquer les statistiques de réussite aux examens en contraignant les correcteurs à évaluer les copies nettement au dessus de leur valeur, à parler non plus d'effectifs d'élèves dans les établissements mais de " gestion des flux ", et à mettre maintenant ces établissements en concurrence pour l'obtention de moyens, sur la base de " projets " locaux se substituant de plus en plus aux programmes nationaux.

    Cette déshumanisation, qui va d'ailleurs dans le même sens que le renoncement à instruire et que la volonté de transformer les bâtiments scolaires en " lieux de vie " sans autre spécificité que d'animer des groupes d'enfants ou d’adolescents, a pour seul but de les préparer à une docilité non pensante garantissant la paix sociale ; c'est on ne peut plus éloigné de ce que nous voulons quant à nous pour la jeunesse au sein de l'école.

    Avec nos regrets,

    Luc Richer, professeur de lettres modernes en collège ZEP.

11/2007