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Analyses générales

RECONSTRUIRE L'ECOLE

Le risque actuel que court l'Education Nationale est le statu quo, l'immobilisme. C'est pourquoi il faut d'urgence réformer et reconstruire l'école, si nous ne voulons pas que le système scolaire français soit aussi délabré et injuste que ses homologues américain et anglais.

Trois choix s'offrent au gouvernement. Premièrement hisser 80% d'une classe d'âge au baccalauréat, sans dévalorisation du diplôme ni des contenus d'enseignement. Or cela exige des moyens colossaux, des classes à effectif réduit, une plus grande aide individualisée pour rattraper des élèves que l'on laisse passer en seconde avec 2 de moyenne en mathématiques… autant d'objectifs que le dogme du gel de l'emploi public rend inaccessibles. Deuxièmement hisser 80% d'une classe d'âge au baccalauréat en trompant chacun (élèves, parents, media, mais pas les professeurs) sur la valeur de ce diplôme, en en faisant un droit acquis de l'élève. Pour cela, le gouvernement a besoin non pas d'alléger les programmes, mais de les dénaturer, d'abaisser les exigences et de transformer les professeurs en gentils animateurs de "shows éducatifs" et en dociles exécutants des méthodes pédagogistes. C'est l'orientation actuellement défendue. Troisièmement, remettre en cause - mais c'est un tabou - les slogans, certes généreux lorsqu'ils furent lancés, du collège et du lycée uniques, et de 80% d'une classe d'âge au baccalauréat. S'interroger en somme sur les bienfaits d'une éducation qui contraint tous les jeunes de la nation à suivre le même enseignement au même rythme, indépendamment du bien-être de chacun. Un recteur a même déconseillé les redoublements en classe de seconde sous prétexte qu'ils seraient néfastes aux élèves, puisqu'ils seraient responsables d'une orientation vers les filières technologiques. Quelle est cette perversion de l'esprit qui consiste systématiquement à confondre cause et conséquence ? Pourquoi un tel mépris, en France, pour les orientations technologiques et professionnelles ? Ne s'agit-il pas plutôt, pour ce recteur, de gérer les "flux lycéens", de la manière la plus rentable ? Une telle éducation forcée n'incite-t-elle pas par ailleurs certains élèves à rejeter l'institution scolaire ?

Comment et pourquoi le noble objectif d'élever 80% d'une classe d'âge au baccalauréat a-t-il été dévoyé ? D'une part une logique ultra-libérale pousse les Etats à démanteler leurs Educations Nationales et à transformer le savoir, voire les cours professés par les enseignants, en marchandises. Le rôle des pouvoirs publics, affirme l'OCDE en 1996, se limitera désormais à "assurer l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que d'autres vont continuer de progresser […] Les établissements sont incités à se comporter en entreprises. Les étudiants doivent payer tout ou partie du prix de leurs cours. Tous les services d'intérêt collectif, notamment l'enseignement, la santé, les diverses formes de protection sociale, ainsi que les transports et les communications, sont transférés à la sphère marchande du secteur privé". Il est donc économiquement plus intéressant, pour affronter la concurrence européenne sur ce nouveau marché, d'avoir une très large clientèle. De plus, un enseignement unique et standard, insoucieux de la diversité des élèves, coûte beaucoup moins cher. D'autre part, Hannah Arendt a parfaitement montré que la société de masse, condition nécessaire à tout projet totalitaire, a paradoxalement besoin du développement de l'instruction générale, "avec l'inévitable abaissement du niveau et la vulgarisation du contenu qu'il implique". Un pouvoir qui aurait pour but de "rétrécir et disloquer l'esprit des peuples pour se faire obéir" (Gilles Châtelet) commencerait par s'en prendre aux forces vives de l'intelligence de la nation : il dévaloriserait le baccalauréat et les concours de recrutement des enseignants, et distribuerait sa propagande, sous forme de tract comme c'est le cas depuis quelques jours, aux élèves et professeurs.

Or les enseignants ont montré ces derniers jours qu'ils ne veulent pas d'une éducation qui fasse de leurs élèves, non plus des maîtres de la parole, de la pensée, du raisonnement, mais des valets hébétés d'une éducation au rabais. Le but de l'instruction, voire de toute société démocratique, n'est-il pas de former des citoyens capables de gouverner et d'être gouvernés ? Or les réformes en cours dépossèdent les élèves de leur droit inaliénable d'exercer une réflexion autonome, en les calibrant en fonction de la demande des entreprises et des bassins d'emplois, en les assujettissant aux nouvelles technologies (correcteurs automatiques d'orthographe, calculatrices, CD-Rom, Internet…). La fascination actuelle pour l'intelligence artificielle s'exerce au détriment de l'intelligence naturelle. Ainsi, à titre d'exemple, les modifications des programmes de français au lycée ne permettront plus à l'élève de s'extirper du préjugé pour naître progressivement à l'autonomie. D'aucuns disent que la dissertation, à laquelle concourent moins de 10% des candidats au baccalauréat, est moribonde. Mais à qui a faute ? Ni aux professeurs ni aux élèves. Mais à ceux qui définissent les épreuves de l'examen, lesquels ont délibérément décidé de mettre la dissertation en concurrence avec une épreuve (l'actuel sujet 1) bien plus facile et qui permet à tout élève moyen d'obtenir, sans trop de risques, la moyenne…

Les enseignants réclament une éducation qui exalte chez leurs élèves une puissance d'être et une puissance d'agir, au lieu de les atrophier comme c'est le cas aujourd'hui. Pour cela un meilleur respect de l'élève s'impose : le placer au centre du système éducatif ne signifie pas, par une écoute aussi démagogique que fallacieuse de ses attentes, favoriser un penchant naturel au divertissement et au zapping, mais estimer qu'il est digne de partager les valeurs d'effort et d'exigence, absolument absentes des réformes actuelles, qui sont le fruit d'une alliance libérale (l'OCDE et l'Europe) et libertaire (les pédagogistes).

Une réforme est donc indispensable car l'école n'a jamais été aussi injuste. La massification ne s'est pas accompagnée d'une démocratisation. Au contraire, les filières d'élite de l'enseignement n'ont jamais compté aussi peu d'étudiants issus des couches populaires de la société. Mais les réformes actuelles ne feront qu'accentuer cette injustice. Les enfants des familles modestes devront se contenter d'un enseignement toujours plus simplifié, offrant un choix d'options toujours plus restreint. Les enfants des familles aisées compenseront, compensent déjà, par des activités extra-scolaires coûteuses.

C'est pourquoi doivent très vite naître des états généraux de l'Education Nationale, qui ne devront plus s'appuyer sur des consultations qui ne servirent que d'alibi pseudo-démocratique pour des réformes exigées par des instances supra-nationales.

Christophe Billon, professeur de Lettres au lycée français de Lisbonne

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