L’apprentissage de la lecture à l’école primaire


À lire sur le site du ministère (rapports de l'IGEN http://www.education.gouv.fr/syst/igen/rapports.htm) le rapport ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/onl_2005.pdf (novembre 2005, 157 ko) dont vous trouverez ci-dessous quelques extraits.


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Attention au jargon


Rien de plus utile que d’apprendre à observer le fonctionnement de la langue.

Mais pourquoi obscurcir, alourdir l’exercice par l’emploi de pédanteries indigestes telles que « focalisation omnisciente », « progression thématique à thème éclaté », « narrateur homodiégétique », « déictique » ?

Ces expressions techniques peuvent servir aux linguistes. Employées dans le secondaire, elles sont autant de remèdes à l’amour et apportent de la complexité sans accroître la connaissance nécessaire à ce niveau d’étude.

On s’obligera donc, à la clarté dans les manuels, comme dans les cours.

Comment faire aimer une langue si l’on s’est acharné à ne rendre pas aimable le discours qui appelle à l’amour ?


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Propositions

Pour la formation initiale

Élaborer un programme national de formation initiale consacré à l’apprentissage de la lecture de 50 heures minimum. Pour ce faire fournir un cahier des charges pour les IUFM accordant la place nécessaire aux nouvelles orientations des programmes et mettant en évidence le rôle de l'école maternelle dans le développement du langage oral, de la conscience phonique, dans la construction du principe alphabétique et le graphisme.

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Dans les années quatre-vingt, les progrès de la recherche sur les processus en jeu dans la lecture ont amené à réévaluer les différentes méthodes d'apprentissage. Ils ont mis en évidence la nécessité de conjuguer identification des mots par leur décodage et travail de compréhension. Ces conclusions sous-tendent les instructions officielles pour l'école primaire arrêtées en 2002.

[pp. 9-10]

L’apprentissage du français écrit soulève deux problèmes. Le premier, commun à tous les systèmes alphabétiques, tient à la nature abstraite des phonèmes, particulièrement des consonnes. Beaucoup de consonnes ne peuvent être prononcées isolément, elles doivent être prononcées en coarticulation avec une voyelle ; elles ne sont donc pas des sons mais des phonèmes encodés de manière complexe dans un son. C’est pour cela que la représentation des phonèmes par des lettres n’est pas immédiatement comprise par l’enfant pré-lecteur.

Sans aide - généralement donnée lorsqu’on essaie de leur faire comprendre les “ valeurs ” des lettres -, les enfants sont incapables de se représenter mentalement le /p/ et le /a/ du son [pa] comme deux entités distinctes. C'est pour cela que les méthodes de lecture syllabiques traditionnelles qui partent de l'idée que p + a = pa est le point de départ de l'apprentissage de la lecture ne peuvent être retenues en l'état. Elles omettent en effet tout le processus qui conduit l'enfant à pouvoir analyser la parole en unités élémentaires. Or, pour comprendre comment fonctionnent les associations graphèmes-phonèmes, les élèves doivent préalablement avoir pris conscience que la parole peut être segmentée en unités (mots, syllabes, phonèmes) et que les plus petites de ces unités (phonèmes) ont pour contrepartie des lettres ou des groupes de lettres (les graphèmes).

[p. 12]

On comprend alors l’importance décisive de la quantité et de la qualité du vocabulaire qu’un enfant possède avant qu’il apprenne à lire. Si, comme c’est le cas pour des enfants qui n’ont pas eu la chance de bénéficier d’un médiation à la fois bienveillante et exigeante, l’enfant ne possède qu’un nombre très restreint de mots souvent peu précis alors son dictionnaire mental lui répondra le plus souvent : "il n’y a pas d’abonné au numéro que vous avez demandé". Et à force de ne pas recevoir de réponse à sa question l’enfant risque d’en déduire "qu’il n’y a jamais d’abonné", c’est à dire qu’il n’y a aucun sens derrière le bruit qu’il a construit. Ce n’est donc pas le fait de déchiffrer qui est responsable d’une lecture dépourvue d'accès au sens, mais c’est le déficit du vocabulaire oral qui empêche l’enfant d’y accéder. La responsabilité de l’école, dès la maternelle, est ainsi essentielle ; dès la petite section elle doit avec patience et obstination s’attacher à nourrir le stock lexical des enfants, à travailler sur le sens des mots en contexte et hors contexte. C’est là que se gagne la bataille du sens de la lecture et non pas dans une approche anticipée de la lecture qui risque de conduire certains enfants à une impasse. Il est clair que le déchiffrement, que nous avons qualifié de "nécessaire", n’est pas une fin en soi; il doit, par une progressive automatisation conduire un enfant à une identification "orthographique" des mots qui le libérera du passage coûteux mais indispensable par l’oralisation.

[p. 15]

L'élève qui apprend à lire doit prendre conscience que l'acte de lire n'est pas la simple juxtaposition du sens de chaque mot, mais qu'il exige de dépasser la successivité des mots pour construire une représentation globale, cohérente et homogène de la phrase et du texte. Un tel comportement sémiologique nous paraît devoir être assuré par un accompagnement pédagogique soucieux de faire comprendre les enjeux de la syntaxe et d'apprendre à identifier les instruments qu'elle met à la disposition du lecteur. La découverte de la structure syntaxique nous paraît ainsi faire partie intégrante de l'apprentissage de la lecture au cycle 2 ; construire la maîtrise de cette structure syntaxique devrait constituer un des objectifs de l'enseignement de la lecture.

[...]

Il ne s'agit pas de faire de l'analyse grammaticale avec des élèves du cycle II. Il ne s'agit nullement de leur apprendre à nommer natures et fonctions des mots et groupes de mots. Classifications et nomenclatures peuvent attendre le cycle des approfondissements. Mais il est impératif d'apprendre aux élèves que l'agencement des morts et des groupes de mots détermine le sens d'une phrase, faute de quoi, il n'y aura pas de compréhension mais un égrènement monotone de mots successivement reconnus. Il s'agit de guider l'apprentilecteur dans ses observations syntaxiques, de lui permettre de découvrir comment "ça marche" et ainsi de l'aider à surmonter les principaux obstacles formels auxquels il se heurte dans l'accès au sens d'une phrase ou d'un texte. Il doit comprendre, tout au long de l'apprentissage de la lecture, que la compréhension est organisée par des indicateurs (marques du pluriel, substituts du nom, marqueurs du temps...) dont on ne doit jamais négliger l'importance.

[p. 17]

Le choix d'une méthode de lecture par les maîtres doit donc privilégier les acquisitions suivantes, dont les deux dernières sont en interaction permanente :
- La saisie du principe alphabétique (elle devrait pouvoir se réaliser dans les premières semaines de CP).
- La connaissance des correspondances graphème-phonème, commençant par les plus simples (ce qui devrait pouvoir s’obtenir en quelques mois) et s’étendant progressivement à des plus complexes.
- L’identification rapide et automatique de la presque totalité des mots écrits. Les supports doivent être adaptés à l'apprentissage : la systématisation du décodage passe par un travail sur les mots, par exemple sur les frontières syllabiques lorsque la construction syllabique est délicate (ananas : a/na/nas, ou an/an/as). L'accès à la lecture prend appui sur des textes dont la plupart des mots sont réguliers ou fréquents. Les textes choisis comme supports de lecture peuvent être composés ou aménagés à cet effet, mais ils doivent présenter un enjeu pour que les élèves aient envie de lire et surtout fassent le lien entre décodage et construction du sens.

[p. 18]

L'identification automatisée des mots.
C’est une démarche phonologique (et non plus syllabique) qui est suggérée : elle vise à favoriser l'appréhension des unités minimales qui constituent la chaîne orale parlée (les sons, les phonèmes constitués en syllabes orales) pour les transcrire en unités écrites correspondantes (les graphèmes, les syllabes écrites). On part de ce que l’enfant connaît, l’oral, pour lui faire découvrir ce qu’il ne connaît pas, l’écrit. On se fonde pour ce faire sur les régularités entre l’oral et l’écrit dans la transcription de la langue française. Par des activités d’observation et de production tâtonnée, chaque enfant est conduit à manipuler les combinaisons de la langue. Pour ce faire, on considère que l’apprentissage passe par le développement, dès la maternelle, de la conscience phonémique (l’enfant apprend à analyser la structure interne des sons qu'il prononce ou entend), puis de la compréhension du principe alphabétique (l’enfant comprend qu’il y a des relations de correspondance fréquentes et régulières entre l’oral et l’écrit), l’automatisation de l’identification des mots (décodage graphophonologique entraînant la constitution d’un dictionnaire mental écrit - la lecture des mots qui composent la phrase et le texte devient de plus en plus rapide, automatique, irrépressible).

[p. 20]

Les enfants apprennent dès l'école maternelle à reconnaître des mots écrits. L’identification des mots se construit au CP et au CE1 par la mise en place du « décodage » qui, s'il est entraîné avec détermination, permet d’accéder à l’identification automatique (et non globale) des mots (identification par voie directe).

[p. 21]

Certes, pour beaucoup de maîtres formés dans les années 1970-80 et, plus encore, pour l’encadrement (maîtres formateurs, conseillers pédagogiques, IEN) ces orientations ne vont pas de soi. Pour autant, les évolutions nécessaires sont engagées. L'observation des classes conduites ces deux dernières années, en particulier lors de l'évaluation des classes de cours préparatoire aménagées a permis de prendre la mesure des avancées et des résistances.

Les pratiques d'enseignement de la lecture dans les deux premiers cycles de l’école primaire

Les pratiques des maîtres de l’école maternelle
Sur l’appropriation du langage oral d’évocation, l’école maternelle a encore du chemin à faire.
[...]
Les nouvelles orientations de l’enseignement de la lecture supposent aussi le renforcement du travail sur le graphisme et l’écriture manuscrite, trop souvent négligé dans les années passées et sans lequel l’entrée dans le principe alphabétique ne saurait être assurée. Là encore, il reste du chemin à faire.

Les pratiques des maîtres du cours préparatoire et du CE1
La didactique de la lecture : un équilibre inégalement assuré selon les classes
Les enquêtes conduites dans les classes confirment que les enseignants restent souvent encore prisonniers des modèles didactiques élaborés dans les années soixante-dix visant d’une part à réduire ou éliminer la phase d’apprentissage systématique du code et de la combinatoire et de l’identification des mots par décodage, d’autre part à ramener l’apprentissage de la compréhension aux seuls textes susceptibles d’être lus (donc à des textes plus simples que ceux travaillés à l’école maternelle).
[...]
L’écriture
L'apprentissage de l'écriture est apparu très généralement insuffisant et trop souvent indépendant de la lecture. Lorsque l’écriture fait l’objet d’une activité, c’est dans la plupart des cas somme apprentissage grapho-moteur visant à assurer le tracé de la lettre. Certes, cet enseignement est nécessaire et doit être commencé dès l’école maternelle. Il doit de plus évoluer vers une fluidité de l’écriture (rapidité du geste et lisibilité du résultat). Toutefois, ainsi conçu, il ne suffit pas à renforcer l’apprentissage de l’écrit (lecture et écriture). On considère aujourd’hui que l'écriture contribue autant que la lecture à la découverte du principe alphabétique (c’est en se demandant comment coder les syllabes qu’il a appris à découper dans un mot que l’élève comprend le principe de notre code alphabétique).
[...]
Le problème du CE1
Le passage du déchiffrage à la lecture courante, qui implique l'entraînement de la fluidité (automatisation de l’identification des mots, intégration de la phrase et du texte), a longtemps été l’apanage du CE1. Il empruntait deux voies : le décodage des mots irréguliers, la répétition des lectures à haute voix avec contrôle de l’intonation.
Le CE1 est devenu aujourd’hui une classe d’ajustement de la différenciation qui permet de prendre en charge les élèves qui n’ont pas appris à lire au CP (du fait souvent d’un insuffisant entraînement à ce niveau) et qui entraîne les autres dans des activités de type cycle 3. On trouve dans le même groupe-classe des enfants qui savent lire couramment, d’autres qui sont en cours d’apprentissage, parfois d'autres qui ne sont pas encore véritablement entrés dans le principe alphabétique. Les disparités de compréhension, à ce niveau, sont devenues gigantesques. Le devenir des élèves en difficulté moyenne se joue certainement dans cette classe.
Cette classe essentielle semble avoir perdu son identité. Il faut certainement revoir la programmation des activités du cycle 2 de manière à mieux assurer à la fois la progressivité des apprentissages et leur nécessaire différenciation. Il faut aussi mettre en place des procédés d’entraînement de l’automatisation qui manquent aujourd’hui dans la panoplie des instruments didactiques disponibles.

La lecture au cycle III

[p. 27]
Traitement des difficultés syntaxiques de la phrase
[...]
L’observation réfléchie de la langue française aide les élèves à prendre conscience des subtilités de la construction syntaxique des énoncés (des exercices quotidiens de repérage de la construction de phrases complexes traités comme de petits problèmes à résoudre peuvent y contribuer), mais cela ne suffit pas à rendre cette activité automatique, donc quasi inconsciente. Là encore, seul l’entraînement systématique permet de dépasser des blocages. C’est, avec l’accroissement de l’automatisation de l’identification des mots, le rôle des ateliers de lecture prévus par les programmes en vigueur. Rien d’équivalent n’était proposé aux élèves jusqu’en 2002.


01/2006