Une interview de Fanny Capel


La Provence du dimanche 4 avril 2004.

Une interview de Fanny Capel par Philippe WALLEZ

- La Provence : Pensez-vous que la droite a l'intention de réformer en profondeur la doctrine quantitative du bac lancée dans les années 80 ?

- Fanny Capel : Dans mon livre, je cite une phrase que M. Alain Boissinot, alors membre du Conseil national des programmes, puis ensuite directeur de cabinet de M. Luc Ferry, a prononcée en mai 2001, devant les membres du collectif Sauver les lettres dont je fais partie. Il nous disait en off, parlant du bac : " Un bon examen est un examen auquel tous les candidats sont reçus". Je me reconnaissais dans les écrits de M. Ferry, dans son diagnostic sur l'état de l'éducation nationale. Je n'ai pas retrouvé cette philosophie dans son action. Il n'est pas le seul politicien dans ce cas. Je pense à M. Bayrou, dont les mesures, une fois en poste, n'ont pas été à la hauteur des réformes courageuses qu'il proposait. Contrairement aux vœux exprimés par M. Chevènement dans les années 80, nous n'en sommes pas encore à 80 % de reçus dans la classe d' âge, plutôt aux alentours de 60 %. Mais le bac n'est plus un gage de niveau, réel en tout cas, même si officiellement il reste le passeport pour l'université. Il y a à peu près la moitié des bacheliers qui échouent avant d'obtenir leur Deug. Je l'ai écrit dans une formule un peu provocatrice : le bac ? Un examen dans un paquet Bonux.

- Même si vous n'employez pas le terme de "manipulation", vous dites et vous l'écrivez : "tout est fait pour faire du chiffre"…

- J'ai fait plusieurs fois partie des jurys de baccalauréat, j'ai vu de l'intérieur comment on pouvait nous imposer ce type d'artifices statistiques. En tant que jury, on attribue une note à la copie ou à la prestation orale, mais elle est réexaminée par un autre jury qui n'a pas vu le candidat et à qui l'on demande de réviser le jugement initial en fonction de la moyenne académique. Cela s'est toujours fait, mais auparavant c'était sur livret scolaire, ce qui était bien pour parer à certains accidents vécus par certains bons élèves. Mais, dans le système actuel, le deuxième jury n'a plus accès aux carnets. C'est un pur artifice pour tirer les notes vers le haut et faire du chiffre. Le Deug est devenu la première barrière véritable de sélection. On propose de plus en plus des formatons à Bac + 1 ou +2 mais sans diplôme à des jeunes à qui on a menti pendant toute leur scolarité.

Et la droite n'a rien changé ?

- M. Ferry s'est inscrit dans la continuité des réformes qui ont été menées depuis 30 ans et même avant. Le baccalauréat, c'est un symptôme d'une crise qui n'est que le reflet des dysfonctionnements du système. Je ne suis, bien entendu, pas hostile à l'accès d'un maximum de jeunes à un haut niveau, ce qui a été raté, c'est que l'on a décidé de faire cela au forceps sur toute une génération du CP à la terminale.

- Celle qui a bénéficié des mesures limitant au maximum les redoublements (réforme Jospin 1989) et qui aujourd'hui, atteint le bac, voire plus…

- Oui, la boucle étant bouclée, certains de cette génération sont parvenus à devenir professeurs. A 29 ans, je fais moi-même partie de cette génération qui a reçu une instruction, je le pense, un peu moins bonne que celle de nos aînés. J'estime que cela s'aggrave, la formation dispensée dans les IUFM, ne permet pas de combler les lacunes des candidats professeurs.

- Toutes les filières de bac sont dévaluées à vos yeux…

- Je pense que les bacs technologiques, qui sont une nouveauté, et même certains bacs pros, pas tous pourtant, constituent une compromis un peu bâtard entre un bac général, mais au rabais, avec de petits coefficients sur les matières générales, et un bac vraiment professionnalisant. Il ne faut pas se leurrer, ces bacs sont vraiment faciles à obtenir. Certaines épreuves sont jugées sur dossier, et le coefficient affecté à ces épreuves est supérieur à celui de l'épreuve de français par exemple.

- Au nom de quoi critiquez-vous, dans votre ouvrage, les tendances pédagogiques modernes, en particulier les Itinéraires de découverte au collège (1)?

- Est-ce que les IDD peuvent être inclus dans une démarche que l'on peut qualifier de méthodologie ? On n'apprend pas à apprendre sur rien. Les IDD, comme ces autres méthodes, c'est l'enseignement du vide, sur les horaires et au détriment des savoirs fondamentaux et encyclopédiques.

- Vous n'aimez pas les "pédagogos", comme vous les nommez ?

- Je n'aime pas les "pédagogistes", entendez par là ceux qui réfléchissent sur les contenus et les examens.

 

Fanny Capel, agrégée de Lettres modernes, fait partie du collectif Sauver les lettres, créé en 2000, et travaillant pour la défense de la qualité des contenus de l'enseignement.

(1) Depuis septembre 2002, les professeurs, travaillant souvent à deux ou trois, proposent aux élèves des sujets d'enquête de terrain dans divers domaines (environnement, etc.), c'est ce qu'on appelle les IDD.