Projet de programme de français au collège : des raisons d’espérer, des espoirs déçus.


Les nouveaux programmes de français au collège étaient attendus avec une certaine impatience. Succédant à des textes empêtrés de théories linguistiques mal intégrées, inféodés au primat de la " citoyenneté " sur la culture, subordonnés au ronflant constructivisme, les nouveaux programmes devaient enfin permettre aux élèves d’accéder à une langue claire et maîtrisée, à une culture littéraire solide et humaniste.

Ces nouveaux programmes, les enseignants de collège les concevaient clairs, débarrassés des scories du décloisonnement, du diktat des " discours " et du dogme de la séquence.

Si une première lecture satisfait de prime abord aux exigences d’un programme raisonnable et raisonné, une analyse plus critique relève rapidement les ambiguïtés et les compromis du projet du Ministère.

En effet, comme s’il s’agissait constamment de ménager la chèvre et le chou, ce projet s’articule rhétoriquement autour d’une alternance presque schizophrénique entre transmission libre et responsable des connaissances et concessions faites aux tenants des précédents programmes. A des principes sensés, rationnels et motivants, succèdent d’appuyés clins d’œil aux thuriféraires de la séquence, du décloisonnement et de l’Observation Réfléchie de la Langue: " La liberté pédagogique du professeur, définie dans la loi d’orientation de 2005, s’exerce dans le respect des principes énoncés ci-dessus ; le professeur organise librement, sur l’année, la progression de son enseignement en unités d’enseignement ou séquences ".

Faut-il entendre ici qu’il existe grosso modo deux manières d’organiser sa progression ou que " les unités d’enseignement " ne sont qu’une nouvelle appellation de la " séquence ", modèle pédagogique qui a fait la preuve de sa vacuité ? La seconde interprétation, qui serait vraisemblablement retenue par la majorité des inspecteurs et des formateurs, n’accorderait donc qu’une très relative " liberté pédagogique " au professeur. Celui-ci serait libre d’enseigner… en séquences décloisonnées : " Cette articulation ou décloisonnement permet aux élèves de percevoir clairement ce qui relie la diversité des exercices qu’ils réalisent ".

De manière exemplaire le terme leçon est placé entre guillemets . Ces guillemets n’ont rien d’anecdotique : ils encadrent d’une étonnante suspicion les méthodes de transmission explicite des connaissances. Tout se passe comme si on refusait d’affirmer nettement qu’un cours structuré, clairement dispensé et organisé ne suffisait pas.

Une solution existe, elle consiste simplement à dresser une liste aussi précise qu’exhaustive des notions à acquérir pour chaque élève en fonction du cycle auquel il appartient, tout en ménageant des répétitions partielles, nécessaires et mesurées.

C’est seulement ainsi que la liberté pédagogique prend son sens. Les méthodes d’acquisition des notions doivent être le seul apanage du professeur guidé par un corps d’inspection impartial : une démarche pédagogique ne saurait en aucun cas s’ériger en modèle. Libre à chaque professeur d’adopter ensuite, en fonction de ce programme, le processus qui lui semble le plus approprié.

Rappelons cependant que le parangon didactique des précédents programmes, la " séquence décloisonnée ", a vu le jour parallèlement à la diminution des horaires consacré au français au collège, diminution dont les conséquences sont désastreuses. Une véritable réforme ne peut donc faire l’économie du rétablissement d’horaires décents, comme cela est signalé dans le programme des associations Sauver les Lettres et Dictame : " un horaire hebdomadaire de 6 heures, dont 3 consacrées à l’apprentissage systématique de la langue, est indispensable (comme en Suisse Romande) pendant les quatre années du collège. " La suppression des gadgets interdisciplinaires comme les IDD permettrait par exemple de réaffecter un peu du temps nécessaire à l’apprentissage de la langue et de la littérature. Par ailleurs il semble difficile de concilier les exigences de la discipline français quand le professeur est invité par le projet du Ministère à intégrer les TICE, les arts plastiques ou le langage de la publicité à un enseignement déjà très dense. Il faut donc rappeler, une fois de plus, que la pratique des supports informatiques ou l’acquisition des langages de l’art ou de l’image ne sont possibles et productives que si la maîtrise de la langue est suffisamment assurée pour manipuler les notions ou exercer l’esprit critique. L’expérience montre constamment que sans les savoirs de base rebaptisés " fondamentaux ", les autres apprentissages restent superficiels et fautifs. L’horaire de français doit donc être modulé en conséquence pour donner une plus grande place à des exercices et manipulations de la langue : une partie des 6 heures devrait être dispensée en demi-groupe, à raison de 3 heures en 6e, deux heures en 5e et une heure en 4e et 3e.

Le programme de langue, s’il se recentre de manière bénéfique sur la grammaire de phrase semble avoir été rédigé à la va-vite : beaucoup de notions sont oubliées (notamment pour le lexique ou l’orthographe lexicale), la cohérence de l’ensemble est mal assurée, de nombreux intitulés apparaissent flous. Or, il nous semble essentiel de faire preuve d’une exhaustive rigueur. Par exemple, que recoupe exactement un intitulé comme " le verbe, noyau de la phrase en 6e ? Il est impératif de délimiter clairement l’étendue des notions à acquérir. Le programme SLL Dictame propose ainsi, pour le verbe en 6e :

Identification. Personne, temps, mode. Verbes personnels et impersonnels. Formes active, passive. Transitifs et intransitifs. Auxiliaires de temps, du passif, auxiliaires d’aspect (aller, venir)

L’avant-projet de programme se caractérise également par d’importantes omissions. Il ne s’agit pas seulement d’un manque d’ambition : cette vision très incomplète des bases à maîtriser est particulièrement pénalisante pour les élèves qui ne seront pas capables d’appréhender la langue en tant que système. À titre d’exemple et de comparaison, nous reproduisons ci-dessous les différentes propositions pour la conjugaison en 6e :

 

Proposition de programme du Ministère

Proposition de programme SLL Dictame

- l'infinitif et les trois groupes verbaux ;

- l'indicatif : étude systématique des temps simples, dont le conditionnel, et du passé composé.

- Le subjonctif présent.

Définition d’un temps, d’un mode.

Les trois groupes.

Conjugaison des 20 verbes irréguliers les plus fréquents.

Infinitif temps simple et composé.

Indicatif, temps simples et composés, voix passive complète

Conditionnel présent et passé

Subjonctif présent et passé (voire complet).

Impératif présent.

Participe présent et passé voix active et passive.


Par ailleurs, certains attelages constituent de véritables écueils pédagogiques. Il est assez surprenant de retrouver dans le projet du Ministère des expressions comme " pronom sujet " : l’association systématique de la catégorie et de la fonction grammaticales constitue en effet pour les élèves une source fréquente d’erreur.

D’autres notions figurant dans l’avant-projet de programme du MEN regroupent des réalités que la grammaire sait différentes : par exemple le terme " connecteur " s’il paraît " commode " et " novateur " place sur le même plan l’analyse de la phrase et l’analyse du texte. Il conviendrait au moins de distinguer les mots de liaison, à l’intérieur de la phrase, des mots organisateurs, à l’intérieur du texte.

Plus gênant, le projet cède, une fois de plus, à la tentation des listes " ouvertes ", notamment pour l’orthographe. Pour les homonymes et les homophones, les points de suspension laissent songeurs : " Quelques homonymes ou homophones :

- distingués par l’accent : à/a ; la/l’a/l’as/là ; mur/mûr…

- autres homonymes ou homophones : et/est ; mais/mes ; on/ont ; ce/se ; ces/ses ; son/sont …"

Les difficultés de l’orthographe lexicale ne sont, quant à elles, abordées que de manière très superficielle, agencées de manière aléatoire d’une année à l’autre : il est assez surprenant, par exemple, de n’aborder le " doublement de consonne " qu’en 3e !

L’approche thématique du lexique, en liaison avec les textes du programme est une démarche que l’on retrouve dans le programme SLL-Dictame. Cependant, là encore, le projet du ministère se caractérise par un manque flagrant de précision : " vocabulaire concret et figuratif " en 6e , " vocabulaire abstrait " en 3e. Tout cela est bien flou.

Pourquoi ne pas simplement dresser des listes de domaines lexicaux comme celles qui figurent dans le projet SLL- Dictame ? (Par exemple pour le cycle central : " Formes, couleurs, sons. Vocabulaire du temps, de l’Histoire. Les mouvements. Les quantités, les valeurs. Les cinq sens (approfondissement).Vocabulaire des beaux-arts (musique, peinture, sculpture).Vocabulaire de l’image, du cinéma. Les spectacles. La nature et l’environnement. La communication. La presse. La mode. Les métiers. La guerre et la paix. Les qualités et les défauts. Les sentiments (reprise et approfondissement). Les autres, la société. "

Les choix effectués pour la lecture reposent sur d’excellents principes, semblables à ceux du projet SLL-Dictame : progression chronologique, analyse en classe d’œuvres littéraires, étude des œuvres pour elles-mêmes.

Cependant, une nouvelle concession apparaît : si " l’accent est mis en classe sur les oeuvres patrimoniales " cela " n’exclut pas le choix d’oeuvres étrangères, de lectures d’aujourd’hui et même de textes appartenant à la littérature de jeunesse " Une fois de plus, cet ajout sur la littérature de jeunesse rend légitime l’étude en classe d’œuvres médiocres ou banales au détriment des œuvres du patrimoine littéraire.

On remettra également en cause la répartition proposée, d’autant plus que le préambule indique quele respect de ce cadre (…) n’est pas exclusif ". Il est en effet préférable de choisir une autre répartition, plus adaptée aux possibilités des élèves notamment de 5e, qui pourraient avoir du mal à aborder le XVIIe siècle, et plus conforme à l’ensemble XVIIe-XVIIIe qu’il est difficile de dissocier.

Le "déroulement chronologique" sera donc conçu ainsi :

Les tableaux du programme SLL-Dictame en donnent une idée plus détaillée.

D’autre part, les choix de lecture proposés sont souvent trop restrictifs. Il semble vain et arbitraire de dresser des listes d’œuvres ou de formuler des problématiques prédéfinies héritées des programmes précédents ou inspirées des programmes de lycée ( par exemple : " Nouveaux regards sur le monde dans la poésie contemporaine " en 3e ). En effet, en délimitant précisément une période ou un genre, il est tout à fait possible d’opérer des choix qui permettront au professeur de transmettre une culture humaniste aux élèves et un solide patrimoine culturel, en fonction de leur niveau et de leurs enthousiasmes. Les propositions du programme SLL Dictame ménagent une plus grande liberté à l’enseignant tout en assurant cohérence chronologique et exigence littéraire.

Les propositions concernant l’expression écrite sont acceptables dans leurs objectifs, l’ampleur et la fréquence des travaux à produire. Cependant, les modalités de mise en œuvre restent bien évasives, et ne prennent pas en compte la progression nécessaire dans l’apprentissage et l’amélioration de la rédaction. On rappellera donc les propositions SLL-Dictame, par niveaux (pour les travaux d’écriture, une douzaine de pistes sont suggérées pour chaque cycle, il convient d’en suivre au moins 8) :

6e

5e-4e

3e

Techniques d’écriture :

technique de recherche des idées ; apprentissage du premier geste correcteur : l’addition.

Techniques d’écriture :

classement des idées, début de plan (narratif, descriptif) ;

apprentissage des gestes correcteurs : déplacement, suppression.

Techniques d’écriture :

technique d’élaboration des plans ;

apprentissage du dernier principal geste correcteur : la réécriture (subordination, nominalisations, etc.).

Travaux d’écriture :

Écrire une définition.

Relater une anecdote.

Ecrire la légende d'une image.

Faire un résumé .

Écrire un récit en suivant l’ordre chronologique.

Exposer une opinion.

Écrire une lettre informative.

Faire parler les personnages d’un récit.

Insérer une description dans un récit.

Écrire une conte.

Écrire un poème en vers libre.

Travaux d’écriture :

Relater un fait divers.

Écrire une suite de texte.

Décrire un paysage, faire un portrait.

Faire une caricature.

Écrire une parodie.

Décrire et expliquer une image.

Écrire un récit complexe.

Écrire une scène de comédie.

Composer un poème régulier.

Imaginer une utopie.

Rédiger un article encyclopédique.

Rédiger un article critique.

Travaux d’écriture :

Écrire une nouvelle.

Écrire un pastiche.

Rédiger une fable.

Rédiger une lettre ouverte.

Écrire un plaidoyer/un réquisitoire.

Commenter un tableau.

Rédiger un texte satirique.

Écrire un poème lyrique.

Écrire des textes de réflexion.

Rédiger un texte biographique.

Rédiger un autoportrait.

Relater un événement et lanalyser.

Rédiger un commentaire de texte.


En conclusion, le programme montre certes des avancées dans la transmission raisonnée des connaissances et de la culture nécessaire, mais pèche également par une insuffisance théorique et des présupposés idéologiques qui continueront, si les choses restent en l’état, à pénaliser les élèves qui n’ont que l’école pour les armer et les faire réussir.

La protestation croissante de la société alarmée par les carences patentes de l’école, et des professeurs préoccupés par l’incapacité grandissante des élèves à s’exprimer, exige du ministère qu’il mette définitivement un coup d’arrêt aux théories et aux dogmes de la scolastique didactique ou pédagogique, qui ont montré pendant vingt ans toute leur nocivité.

Les programmes définitifs devront donc avoir à cœur une prescription claire et scientifiquement sûre des notions à acquérir, le respect de la liberté pédagogique, et les exigences littéraires nécessaires à la formation du collégien. Il ne faut pas que tout espoir de renouveau réel dans l’enseignement fondamental du français et des Lettres soit encore, et dramatiquement, différé.


Associations Dictame et Sauver les lettres, travail en cours.

Proposition de programmes de français au collège

05/2008