Les nouveaux programmes de l’enseignement de français au collège : c’est toujours ça.


      Dans le B.O. spécial n° 6 du 28 août 2008, les professeurs ont pu prendre connaissance des programmes du collège qui s’appliqueront dès cette année (2009 / 2010) en classe de Sixième. Leur mise en place se poursuivra à raison d’un niveau par an au cours des années qui viennent ; ils couvriront donc les quatre niveaux du collège lorsque débutera l’année scolaire 2012 / 2013, année de leur application en classe de Troisième. Le commentaire ci-dessous porte sur les seuls programmes de l’enseignement de français [1] ; il souligne en quoi ces nouveaux programmes améliorent les précédents, mais il en montre aussi les graves défauts.
      Ce qui change principalement, c’est la mise en avant de l’étude de la langue : grammaire, orthographe et lexique deviennent enfin des domaines d’apprentissage à part entière, et par " grammaire " on entend bien ici la grammaire de la phrase. Certes, les grammaires du texte et de l’énonciation sont encore imposées, mais à partir de la Quatrième seulement et sous la forme d’une " initiation " ; leur part est très significativement réduite si on la compare à ce qu’elle était dans les programmes de 2002. Quant à la grammaire du discours, il n’en est plus question. Le parti pris est nettement énoncé : " Au collège, le programme privilégie l’apprentissage de la grammaire de la phrase " et " la leçon de grammaire est fondamentale ". Mieux, " les séances consacrées à l’étude de la langue sont conduites selon une progression méthodique et peuvent n’être pas étroitement articulées avec les autres composantes du français ". Exit donc l’interdiction de consacrer une séance entière à la langue, et exit le saupoudrage des notions grammaticales au hasard des séquences. Est-ce à dire que la séquence elle-même est totalement condamnée ? Ce ne sera peut-être pas si simple (même si le mot " séquence " n’apparaît plus), nous y reviendrons. Enfin, concernant les termes grammaticaux, on peut lire : " ils doivent être soigneusement expliqués pour être systématiquement acquis ". Il faut sûrement entendre " ensuite " derrière " pour être ", l’énoncé ne relevant pas tel quel d’une logique à toute épreuve ; il impose néanmoins clairement l’explication, et n’induit-il pas aussi un encouragement à l’exercice répétitif ? Voilà en tout cas une interprétation qui ne peut que convenir aux partisans d’une transmission des savoirs enfin reconnue compatible avec l’activité de l’élève, d’autant que, si " la progression est ainsi soigneusement ménagée " (nous contesterons plus bas l’adverbe " soigneusement "), " certaines notions peuvent être abordées à différents niveaux selon leur degré de complexité ", et " cela n’exclut pas les révisions jugées nécessaires par le professeur ". On lit aussi dans ces nouveaux programmes que " savoir orthographier correctement un texte constitue (…) une compétence essentielle ", que " l’acquisition de la compétence orthographique (…) rend nécessaire un apprentissage raisonné et régulier ", et que " le lexique doit lui-même faire l’objet d’un apprentissage régulier et approfondi ". Le collectif SLL ne peut que se déclarer favorable à un tel esprit. Cependant, une lecture détaillée des progressions imposées révèle incohérences et insuffisances.
      Pour chaque niveau, l’étude de la langue fait l’objet d’une somme de connaissances à transmettre et à exercer en grammaire, orthographe et lexique. Disons d’emblée que les progressions prévues en matière de lexique sont plutôt satisfaisantes, même si l’on regrette que la notion de polysémie ne soit pas abordée avant la classe de Cinquième. Il n’en va pas de même en ce qui concerne l’orthographe. Celle de " leur " n’est étudiée qu’en Troisième ( !), alors que les déterminants et pronoms possessifs d’une part et les pronoms personnels d’autre part sont détaillés en grammaire dès la Sixième. Voilà qui suffit à annuler l’adverbe " soigneusement " accolé à la progression ménagée. Par ailleurs, la morphologie des verbes irréguliers est traitée avec certaine désinvolture : aucun verbe en Sixième, six seulement en Cinquième, quatre en Quatrième et aucun en Troisième. Les pauvres listes programmées sont, il est vrai, suivies de points de suspension ; mais on n’est pas sûr de pouvoir en déduire que les élèves apprendront donc aussi les verbes apercevoir, boire, conduire, courir, croire, écrire, fuir, haïr, lire, mentir, mourir, offrir, prévoir, rire, rompre, sortir, suivre, se taire, tenir, venir (il est particulièrement inadmissible que ces deux derniers, avec leur passé simple si particulier, ne soient même pas listés), vaincre, valoir, vivre, voir, qui ne sont pourtant pas d’une rareté telle qu’on les passe ainsi sous silence. On craint surtout qu’une telle pauvreté n’entraîne un apprentissage très aléatoire des compléments nécessaires, voire ici ou là l’inexistence de cet apprentissage. Toutefois, les programmes ajoutent en Cinquième les verbes en -cer, -ger, -eler, -eter, et en Quatrième les verbes impersonnels (ou pouvant être utilisés comme tels) ainsi que les verbes en -dre et -tre, ce qui augmente quand même officiellement la liste des irréguliers : on pourra faire mémoriser les verbes avoir, connaître, craindre, être, falloir, joindre, mettre, mordre, naître, peindre, pleuvoir, pouvoir, prendre, rendre, résoudre.
      La conjugaison est par ailleurs étrangement exposée. Par exemple, le socle commun à l’acquisition duquel ces programmes sont étroitement liés stipule dans la compétence 1 " le système des temps et des modes " ; or on ne trouve ici aucune mention du mode participe, alors même qu’en orthographe grammaticale tous les accords possibles du participe passé ainsi que la distinction entre participe présent et adjectif verbal sont programmés. On n’a pas cru bon non plus de préciser les temps des modes infinitif et impératif (comme s’ils n’en avaient qu’un), quand par ailleurs le système des temps simples et composés est exposé pour tous les autres modes… à l’exception toutefois du conditionnel, auquel un sort tout à fait spécial est réservé. Probable prolongement de l’esprit d’innovation régnant, le conditionnel est ici englobé… dans l’indicatif. Au paragraphe " la conjugaison du verbe " en Sixième, on trouve : " l’indicatif (temps simples et temps composés ; y compris le conditionnel) ". Certes, dans certains de ses emplois, le conditionnel est un temps, mais l'existence d'emplois modaux justifie tout aussi bien, sinon mieux, de le classer comme mode. Jusqu’ici, nous expliquions à nos élèves que ce mode pouvait avoir une valeur temporelle de futur dans le passé, il faudrait désormais expliquer que ce temps peut aussi avoir une valeur modale ? Certains manuels de grammaire proposant d’ores et déjà le " conditionnel de l’indicatif ", avec tableaux de leçon et exercices, on peut être certain qu’il sera ici et là enseigné comme tel [2]. Le véritable problème n’est donc pas ici le ridicule qui consiste à corriger une imperfection de l’étiquetage par une autre, c’est bien que cette innovation va provoquer une confusion sans précédent dans l’enseignement de la conjugaison : le conditionnel continuera durant quelques années d’être vu par les uns comme un véritable mode, tandis que les autres l’apprendront comme sous-ensemble de l’indicatif. A terme, l’application stricte du programme aura donc entraîné la suppression pure et simple du participe et du conditionnel en tant que modes.
      Quant à la grammaire, elle répartit l’étude en rubriques plus ou moins nourries selon les niveaux. Dans la rubrique " fonctions grammaticales ", on retrouve de la Sixième à la Troisième toutes les notions attendues… sauf le complément de l’adjectif, mentionné en Cinquième dans l’étude des prépositions mais qui a donc perdu, on ne sait pourquoi, son droit à figurer là en tant que fonction à part entière. Dans la rubrique " analyse de la phrase ", on traite la subordonnée interrogative indirecte en Cinquième, alors que le style indirect n’est abordé qu’en Quatrième : non, la progression n’est décidément pas " soigneusement ménagée ". Enfin, on déplore dans cette même rubrique une disparition : celle de la proposition infinitive. Il s’agit là d’une insuffisance grave, non seulement parce qu’elle est inadmissible pour tout professeur enseignant l’analyse logique, mais aussi parce qu’on voit aussitôt quelles erreurs elle entraînera chez l’élève dans l’analyse fonctionnelle même : ou bien l’infinitif n’aura plus à ses yeux de fonction propre (c’est son sujet qui sera COD du verbe introducteur), ou bien son sujet ne sera plus analysable (il aura perdu en tant que mot toute fonction dicible). Voilà où mène, malgré un recentrage sur la langue si prometteur, la contribution des nouveaux programmes de français au " socle commun de connaissances et de compétences " : la maîtrise de la langue repasse au premier plan, mais un pan de savoir s’effondre, et d’autant plus sûrement que les jeunes professeurs ne seront sans doute pas nombreux pour le relever au sortir de l’iufm. Remarquons au passage que cet effondrement, ajouté à la confusion modale installée en conjugaison, restreint le champ possible des questions portant sur la langue au DNB.
      A chaque niveau, l’étude de la langue est donc signalée comme " indispensable en elle-même " et il y a certes à s’en réjouir. Est-ce pour autant la fin de la séquence ? Rien n’est moins sûr : le professeur " organise, par périodes, et autour d’un ou plusieurs objectifs, les activités qu’il va conduire ". Il va sans dire que cet extrait du préambule est saisi au vol par certains inspecteurs, lesquels vont donc claironnant qu’on a juste remplacé le mot " séquence " par le mot " période ", et qu’au fond rien n’a changé. Ils en tiennent pour preuve cet autre extrait du préambule : on vise " à articuler les différents domaines de l’enseignement du français (…) Cette articulation ou décloisonnement permet aux élèves de percevoir clairement ce qui relie la diversité des exercices qu’ils réalisent. " La reprise du mot " décloisonnement " a bien sûr déterminé l’interprétation que font de cette " articulation " les terroristes de la séquence : quand il s’agit de souligner que la grammaire et l’orthographe sont évidemment à mobiliser en expression écrite ou pour éclairer une lecture, ceux-ci induisent que l’étude de la langue ne peut être qu’inféodée à chaque " période ". Il n’en reste pas moins que la brèche ouverte dans la muraille pédagogiste est ici suffisamment large pour que les professeurs soucieux d’organiser une véritable étude progressive et annuelle de la langue soient officiellement inattaquables.
      En ce qui concerne la lecture, nous ne nous étendrons pas sur le bavardage habituel. Une seule citation en donnera le goût général : " Au collège, l’élève doit acquérir une culture que l’environnement social et médiatique quotidien ne suffit pas toujours à construire ". Le " pas toujours " n’est-il pas délicieux ?... Signalons plutôt les œuvres programmées : Le Récit de Gilgamesh, La Bible, L’Iliade, L’Odyssée, L’Enéide, Les Métamorphoses, Les Mille et Une Nuits, divers recueils de contes (Perrault, Grimm, Andersen, Carroll, Senghor…), Le Petit Prince, diverses fables de La Fontaine et pièces de Molière en Sixième ; Le Livre des merveilles, Robinson Crusoé, L’Ile au trésor, Croc-Blanc, L’Appel de la forêt, Le Lion, Vendredi ou la vie sauvage, Mondo et autres histoires, ainsi qu’un roman adapté de Chrétien de Troyes, Tristan et Yseut, Le roman de Renart, un fabliau ou une farce en Cinquième ; une nouvelle réaliste et une nouvelle fantastique ainsi que deux romans du XIXème siècle choisis chez Balzac, Hugo, Dumas, Mérimée, Sand, Gautier, Flaubert, Maupassant, Zola, Hoffmann, Poe, Charlotte ou Emily Brontë, Pouchkine, Gogol et Tourgueniev, Le Cid, Cyrano de Bergerac, une pièce de Musset, une pièce du Théâtre en liberté, une pièce " rose " ou une pièce " grinçante " d’Anouilh, des pages de Madame de Sévigné, Voltaire et Diderot en Quatrième ; un récit d’enfance et d’adolescence (Le Grand Meaulnes, Sido, La Promesse de l’aube, Le Baron perché, Vipère au poing, etc…), un roman ou recueil de nouvelles du XXème ou du XXIème siècle laissé à l’appréciation du professeur, ainsi qu’une pièce tragique choisie chez Sophocle, Euripide, Shakespeare, Corneille, Racine, Giraudoux, Cocteau, Ionesco, Anouilh ou Camus en Troisième. Pour chaque niveau on étudie trois œuvres intégrales ainsi que trois groupements de textes en classe, et l’élève lit par ailleurs " en dehors du temps scolaire " trois œuvres en lecture cursive. De ce point de vue, les nouveaux programmes ne changent pas des précédents : neuf œuvres annuelles étaient déjà préconisées. Partant, on sait qu’en réalité six œuvres seront abordables par tous (sauf par les absentéistes évidemment), la programmation des trois dernières relevant de l’utopie si l’on songe un instant à la place de la lecture " en dehors du temps scolaire " pour la plupart des collégiens actuels. Cela tombe bien, car c’est la littérature dite " de jeunesse " qui est préconisée pour ces lectures cursives. On peut donc raisonnablement espérer que des œuvrettes de troisième ordre n’occuperont plus les élèves en classe durant la majeure partie du temps. Si l’on ajoute à cela que de la Sixième à la Troisième apparaissent en classe une quarantaine de poètes parmi les plus reconnus de notre histoire littéraire, on aura compris que cette contribution au socle commun, qui laissait craindre le pire, accouche donc d’un programme de lecture fort heureusement très éloigné du " smic culturel " ambitionné par le sieur Dubet : le corpus à étudier est fort riche. Et surtout, la littérature ici presque totalement débarrassée des grammaires du discours et du texte peut reprendre toute sa place en tant que porteuse de sens : elle n’est plus la cible muette d’un bombardement techniciste. Par contre, la chronologie adoptée de la Sixième à la Troisième est très contestable : la descente du XIXème siècle en Quatrième, chargeant la Cinquième du Moyen Age, de la Renaissance et du XVIIème, est d’autant plus regrettable qu’elle laisse en Troisième le seul XXème siècle (le XXIème étant bien trop jeune pour un choix d’œuvres suffisamment large et sûr). Précisons toutefois que " le respect de ce cadre (…) n’est pas exclusif ", comme le montrent les programmes eux-mêmes avec la présence d’un Sophocle en classe de Troisième ou avec celle, à tous les niveaux, de poètes n’appartenant pas aux siècles imposés. Il n’est certes pas inacceptable qu’à la marge d’un cadre chronologique solide papillonnent des auteurs de tous temps, notamment pour éclairer certaines influences. Néanmoins, la progression ainsi établie en lecture pêche elle aussi par son incohérence si on la relie à celle établie en lexique : la classe de Quatrième sera en effet celle qui lira quelques extraits de Voltaire et l’on a pris soin de lui programmer " les procédés de l’ironie ", mais alors pourquoi la " notion d’implicite " n’arrive-t-elle qu’en Troisième ?
      En matière d’expression écrite, les nouveaux programmes affichent d’emblée une couleur différente de celle des précédents. La valorisation de l’écriture au kilomètre, sans orthographe ni ponctuation, a vécu. On peut lire en effet que " l’écriture s’apprend : elle nécessite dès la Sixième un enseignement rigoureux et un entraînement régulier ". On peut lire également, dès le préambule : " Les exigences attendues sont la correction de l’expression, la cohérence de la composition, le respect des consignes, la richesse et la sensibilité de l’invention. " Prenons d’ailleurs tout de suite note de la place occupée par la correction syntaxique, et il sera intéressant de voir si cette exigence aura conservé son premier rang dans les consignes de correction du DNB 2013. Un seul reproche : la ponctuation du dialogue, même réduite aux alinéas et aux tirets, n’est toujours pas imposée en Sixième alors que les exercices de rédaction, majoritairement narratifs, appellent quasi nécessairement les personnages inventés par des élèves de cet âge à échanger des répliques (il y avait le même défaut dans les programmes de 2002).
      Il n’y a rien à signaler en ce qui concerne l’expression orale : les pistes imposées ne sont ni meilleures ni pires que dans les programmes précédents. Reste donc la toute nouvelle venue : l’histoire des arts. Le professeur de français, on nous le dit aussitôt, y collabore " avec sa compétence propre. Il n’a pas besoin pour cela de formation spécifique ". Nous voilà fixés. L’histoire des arts est aussi liée à l’idée de travail interdisciplinaire mais relève largement de la liberté pédagogique : " C’est en effet cette liberté qui facilitera le travail en équipe au sein de l’établissement et la réalisation d’un projet commun qui fasse sens pour l’élève ". Voilà donc un programme pour lequel on est comme d’habitude parfaitement libre pourvu qu’on travaille en équipe et qu’on participe à un projet commun. Mais attention : il doit s’agir d’un projet " qui fasse sens pour l’élève " ; il s’agit donc de rendre les élèves perméables au sens des figures mythiques, de l’architecture des châteaux, de l’art de Cour, des Arts du visuel, des Arts du son, des Arts du spectacle vivant, des Arts de l’espace, de la mise en scène et du jeu théâtral, autant de domaines imposés par ces nouveaux programmes et qui, comme chacun sait, ne nécessitent aucune formation spécifique.
      On trouve enfin, en dernier paragraphe du préambule, les " technologies de l’information et de la communication " dans lesquelles l’enseignement du français " prend sa part ". Les nouveaux programmes ne disent rien d’autre que les précédents à cet égard : ils imposent l’utilisation du traitement de texte et affichent pour visée un recours critique de l’élève à internet.
      De façon générale, on sent que ces programmes cherchent une sorte de compromis impossible entre d’un côté l’ambition de transmettre des savoirs, et de l’autre le courant pédagogiste qui a régné sans concession sur le terrain durant ces vingt dernières années. On met en avant la maîtrise de la langue, mais on défenestre ici un mode de conjugaison et là un type de subordonnée. On insiste sur la nécessité d’un enseignement explicite, progressif et régulier, mais on maintient suffisamment d’ambiguïté pour que tel inspecteur pédagogiste puisse continuer à exiger des séquences rebaptisées " périodes ". Bref, pour signaler un détail révélateur, le mot " apprenant " n’apparaît nulle part, mais on ne trouve non plus aucune occurrence du mot " cours " (ce dernier, pour nos programmateurs, reste probablement porteur d’une connotation magistrale encore à bannir, comme si les exercices et devoirs traditionnels avaient jamais été autre chose qu’une mise en activité de l’élève). Enfin, on se place du côté de la culture de l’esprit en stipulant que " l’enseignement du français donne à chacun les éléments maîtrisés d’une culture nécessaire à la compréhension des œuvres littéraires, cinématographiques, musicales et plastiques ", mais on le fait tout en poursuivant contradictoirement l’établissement de la " culture commune " si chère aux Meirieu et autres Dubet. On rappelle en effet dans le préambule que le socle commun préexistant aux programmes les assujettit à son cadre, où il convient que " tout au long de la scolarité au collège, les élèves soient préparés à une culture européenne ", autrement dit au grand décervelage que l’on sait : tant que l’OCDE et les formateurs pédagogistes assigneront conjointement pour but au collège massifié la seule socialisation des individus, il est clair que cette " culture européenne ", tout en se targuant de " fonder une culture humaniste ", continuera de se confondre avec la " culture commune " ; or celle-ci ne règnera sans partage sur la masse que le jour où la transmission des savoirs disciplinaires, systématiquement considérée comme contraire à la pacification des liens sociaux, aura été totalement évincée de l’école publique (un scénario probable est que la porte sera alors largement ouverte à un enseignement privé totalement hors contrat, qui formera seul les nouvelles élites de la société future). Ces nouveaux programmes semblent donc bien chercher quelque réconciliation au sein de la grande maison en maintenant le cap sur une orientation générale qui la rend impossible : on aura beau le parer de tous les slogans de la morale citoyenne et du développement durable, jamais nous n’adhèrerons au vaste processus de globalisation des esprits en marche.
      Peu importe d’ailleurs, dans l’immédiat, que cette volonté de ménager la chèvre et le chou relève de l’impossible ou ne soit qu’apparente. L’essentiel est encore une fois que le transmetteur de connaissances gagne ici un appui officiel suffisant pour défendre sa conception du métier. Or le praticien confronté à ces programmes ne se retrouvera pas tout à fait dans la même situation que lorsqu’il l’était aux programmes de 2002. Certes, en classe de Cinquième par exemple, il n’aura que quatre heures hebdomadaires pour enseigner un programme de langue et de littérature déjà fort riche, auquel s’ajoutera donc l’histoire des arts. Il est certain que nos programmateurs n’ont pas plus lorgné du côté de l’horaire que leurs prédécesseurs : sachant qu’ils n’avaient aucune prise sur le problème, ils l’ont visiblement ignoré. On ne peut d’ailleurs pas dire que celui-ci soit en voie de résolution, Luc Chatel confirmant 13500 suppressions de postes pour cette année, et en annonçant encore 16000 pour l’an prochain… Ils n’ont pas non plus regardé du côté des matériels et doivent s’imaginer que chaque élève a dans son collège un ordinateur à sa disposition, ou tout au moins une salle suffisamment pourvue et disponible. Tout cela revêt d’ailleurs sur le terrain un caractère souvent illusoire : avant de traiter un texte, ne vaut-il pas mieux d’abord pouvoir l’écrire ? Ils ne savent rien non plus, à l’évidence, de ces enfants qui auraient dû intégrer une SEGPA et qui, sans jamais redoubler puisque leur déficience pousse à les faire sortir au plus vite vers le haut d’un collège où ils ne s’intègrent jamais, passent leur temps à errer de séance en séance, leurs grands yeux explorant dans un étonnement perpétuellement sans réponse le désastre lunaire où on les abandonne sans aucun programme spécifique. Il est clair enfin qu’ils ne connaissent pas davantage le collégien moyen : on peut toujours programmer " les mots exprimant les degrés de l’adjectif " (et on a raison de le faire), le professeur, lui, sait fort bien qu’il devra d’abord s’attacher à la simple reconnaissance dudit adjectif. Cependant, la porte des révisions et des exercices systématiques étant désormais ouverte, il pourra entreprendre dans la classe une restructuration des connaissances et, conformément aux programmes cette fois, travailler au grand jour " selon les besoins identifiés chez ses élèves ". Eh bien comme on dit, c’est toujours ça.

Luc Richer, professeur en collège, co-auteur des Programmes scolaires au piquet.

Notes :
1. B.O. spécial n° 6 du 28 août 2008 : http://media.education.gouv.fr/file/special_6/21/8/programme_francais_general_33218.pdf. Voir aussi notre proposition de programmes de français au collège élaborée en avril 2008 avec l'association Dictame.
2. Par exemple, le manuel Nouvelle Grammaire du collège paru en 2007 chez Magnard propose, chapitre 8, " Le futur simple et le conditionnel simple de l’indicatif ", et chapitre 11 " Le conditionnel composé de l’indicatif ".

09/2009