Nos enfants gâchés


Nos enfants gâchés Natacha Polony
Nos enfants gâchés. Petit traité sur la fracture générationnelle.
J.C. Lattès , mars 2005, 207 pages.

[Quatrième de couverture]

Nous subissons aujourd’hui une fracture grandissante, encore peu visible mais très profonde : alors que l’époque vénère la jeunesse et ses « valeurs », toute une frange de la population pressent, sans oser le formuler, que les jeunes souffrent de lacunes graves. Nous avons dilapidé l’héritage et refusé de transmettre les œuvres, les récits, les valeurs et les codes qui faisaient la civilisation. Et nous avons inventé la génération culturellement spontanée.

Beaucoup de parents et de professeurs constatent déjà les dégâts sans oser en faire état. Mais l’école, dernier lieu de transmission dans nos sociétés modernes, n’est que la partie émergée de l’iceberg. C’est la France qui disparaît dans les limbes : la langue, la logique, les références culturelles sont atteintes, au nom d’une idéologie qui dépasse largement le clivage gauche-droite et sa déclinaison entre traditionalistes et modernistes.

A l’heure qu’il est, les classes moyennes et les élites proclamées sont touchées par cette déculturation. Cette fracture fragilise d’abord le tissu économique : celui qui ne sait ni qui il est ni d’où il vient ne va nulle part, et ne produit rien. Dans une société qui cultive la haine du passé, qu’advient-il de la « culture commune » ? Par idéologie, par indifférence et par soumission au cours des choses, nous mettons l’avenir en danger.

Natacha Polony a vingt-neuf ans. Agrégée de Lettres modernes, elle est chargée des pages « éducation » au sein de l’hebdomadaire Marianne. Elle enseigne également la culture générale dans un établissement supérieur.


Compte rendu de lecture


Un petit livre fort et clair,
pour ouvrir les yeux de ceux qui préfèrent les garder fermés.

Le Petit traité sur la fracture générationnelle que vient de publier Natacha Polony chez JC Lattès fera plaisir à tous ceux qui, depuis des années luttent contre la bêtise et le totalitarisme pédagogiste, avec l’impression, parfois, de prêcher dans le désert. Sur le ton rapide de la conversation, il constitue un état alarmé et informé de la question, tiré de l’expérience d’enseignante et de journaliste de son auteur, ainsi qu’une remarquable et alerte synthèse des analyses et des réflexions produites par toute la mouvance qui cherche, inlassablement, à témoigner comme elle contre l’obscurantisme grandissant et ses implications, tant sur le plan intellectuel et culturel, que social et politique.

Il est bon que ce que nous martelons, accompagné toujours de démonstrations chiffrées et de citations exhaustives qui emplissent les notes de bas de page - pas toujours attrayantes pour le grand public - rencontre des coups de colère comme celui de Natacha Polony. Elle met les pieds dans le plat, avec le style direct de l’habituée des colonnes de magazine, avec la violence iconoclaste qui est le privilège du Huron et du Persan : remarquablement documentée, elle établit des connexions entre ses inquiétudes devant le déni de la culture, ses constats de journaliste, et ses différentes lectures, de Christopher Lasch à Jean-Claude Michéa, en passant par Finkielkraut, Sallenave, Debray, sans oublier, et on l’en remercie, Sauver les Lettres.

Des livres comme celui-là, qui se réclament de l’héritage des Lumières, s’inscrivent dans la lignée des pamphlets vulgarisateurs sans lesquels les idées qui dérangent ne deviendraient jamais populaires.

C’est donc avec plaisir que nous saluons ce livre à la lecture si agréable. Ce n’est pas en vain que nous nous échinons sur les rapports indigestes d’inspecteurs généraux, sur les déclarations démagogiques des ministres, des hommes politiques, des leaders syndicaux ; que nous auscultons les variations des textes officiels : ce travail souterrain est relayé avec force dans ces pages, qui devraient indigner bon nombre de parents, et dessiller les yeux des lecteurs de Libé ou du Monde, si tant est qu’ils en aient envie...

Robert Wainer


Agrégée de Lettres modernes, Natacha Polony a enseigné pendant plusieurs années dans des lycées dits " sensibles ". Elle a quitté l'Education nationale par " claustrophobie ", convaincue que " les profs [étaient] là pour maintenir l’illusion et la paix sociale, pour empêcher les plus lucides [de leurs élèves] de se révolter ".

Dans son ouvrage, elle évoque en quelques pages ses années de professeur de lycée, son désarroi, son exaspération face à une "montagne de gâchis et d'abandon", mais l'essentiel de son propos dépasse largement le journal de campagne d'un jeune enseignant confronté au " gouffre insondable entre ce que l'on croyait et ce que l’on affronte. " Elle dresse un constat brillamment argumenté de ce qu'elle nomme la fracture générationnelle : « C'est la France qui disparaît dans les limbes : la langue, la logique, les références culturelles sont atteintes au nom d'une idéologie qui dépasse largement le clivage gauche- droite et sa déclinaison en traditionnalistes et modernistes ..." (4ème de couverture.)

De la "décérébration érigée en méthode pédagogique" à la dictature du politiquement correct et du médiatiquement convenu, en passant par les constats effarés de patrons de PME devant le manque de repères et de bon sens d'une partie des jeunes qu' ils essaient d'embaucher, l'analyse de N. Polony évite les écueils qui pourraient lui valoir d' être étiquetée comme une rengaine passéiste, nostalgique, émanant d' une infâme réactionnaire (d'ailleurs, le passage où elle récuse, pages 23 à 27, ces critiques à venir, est un chef d'oeuvre d'humour et de finesse !)

Au contraire, le constat, s'il est sévère, n'en demeure pas moins lucide, rigoureux et ... résolument moderne ! Les "ringards" ne sont pas ceux que l'on croit... Une véritable mine d'arguments, doublée d'une lecture jubilatoire malgré la gravité du propos.

Pascal Genet


04/2005