Lecture, le tête-à-queue des nouveaux programmes

Par Colette Ouzilou.

Orthomagazine, n°41, août 2002.
Avec l'aimable autorisation de l'auteur et de la revue.


En matière de lecture, rappelons que, depuis. 1970, la méthode dite mixte est officiellement reconnue et fortement conseillée aux enseignants. Nous savons qu'elle s'amorce par une phase logographique, dite aussi d'adressage, qui donne à mémoriser des mots d'usage courant, "mots-outils", avant l'étude de leurs graphèmes.

Destinée à organiser un mode de lecture "directe", visuelle, cette première étape élimine volontairement le décodage syllabique. Elle laisse l'oreille du débutant en sommeil, et lui-même entièrement dépendant de ses aptitudes instrumentales. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que le symptôme reconnu, repéré avant tout autre chez le "dyslexique" actuel, soit de sérieuses lacunes dans sa conscience phonologique. Rien d'étonnant non plus à ce que, ignoré, le son des lettres qui se ressemblent soit confondu. Quant à leur inversion à l'intérieur des mots, il va de soi que, sans la syllabation qui les organise dans l'espace/temps, elle est à peu près inévitable. Durant tout le reste de l'apprentissage, il s'agira de reconnaître les mots connus, de les "prévoir", ou, à défaut, de les deviner. Il n'est jamais question de syllaber pour découvrir des mots nouveaux, faute de quoi l'usage du code alphabétique, appris parallèlement, ne peut correctement s'automatiser. Nous constatons que, rééduqués assez tôt (en CE1 au plus tard), par une méthode rigoureusement phonétique et syllabique, ces troubles pseudo-dyslexiques sont réversibles. S'ils persistent après quelques semaines, nous savons qu'ils peuvent évoquer une dyslexie.

Une prise de conscience des défaillances pédagogiques de la méthode mixte apparaît clans les nouveaux programmes de l'Éducation nationale annoncés par le ministre Jack Lang en février 2002. Il faut s'en féliciter. Cependant, la voie directe, qui vise la lecture "courante", est désormais décrite ainsi : "Ce type d'identification (globale) est possible si le lecteur dispose déjà, dans sa mémoire, d'une image orthographique du mot. Dans ce cas, le mot est quasi instantanément reconnu, à la fois visuellement, auditivement et sémantiquement. On sait aujourd'hui que le lecteur ne s'appuie pas sur la silhouette du mot pour l'identifier, mais sur la perception très rapide des lettres qui la composent."

Cette discrète introduction d'une image orthographique des mots laisse perplexe… Comment obtenir du débutant une reconnaissance visuelle et sonore, nécessairement précise pour mener au sens, sans passer par le phono-graphème ? Comment mémoriser leur déroulement exact sans syllabation ?

Cette voie directe améliorée nous renvoie directement à l'indirecte. Entre la silhouette du mot, exploitée par les théoriciens depuis trente ans et qui se révèle notoirement insuffisante, et son image orthographique préalable maintenant indispensable, se glisse la structuration du "schème", décrit dans mon livre au chapitre "Lecture et fonction symbolique". Défini par Le Robert comme étant "une forme de mouvement intérieur et non la représentation d'une forme" et "la structure d'une conduite opératoire", il impose l'utilisation systématique et spontanée du code dans tout acte de lecture.

Ainsi, depuis peu, l'échec massif aidant, des chercheurs pédagogiques retournent au "phono-centrisme", décrié par ces mêmes théoriciens, qui rend à la lettre sa valeur d'unité de traitement de la lecture. Mais dans les nouveaux programmes de maternelle, nous pouvons lire : "La première conquête est certainement celle qui permet de comprendre que le mot écrit renvoie au mot oral" ; la seconde sera "de prendre conscience que l'écrit est composé de mots séparés" ; et, placée en troisième position, la "construction du système alphabétique" - formule ambiguë dont on aimerait connaître l'objectif exact - laisse l'attention et l'intérêt de l'enfant porter sur le mot, ce qui l'oriente vers sa mémorisation.

L'acte de lecture est encore éludé. L'enfant, sachant depuis qu'il sait parler pourquoi on lit, n'attend pourtant que d'apprendre comment on lit.

Entre le "tête-à-queue" du CP et son image orthographique (dont le mode d'acquisition n'est pas précisé) et la découverte, en maternelle, du mot avant celle du principe alphabétique, les nouvelles directives de l'Éducation nationale concernant la lecture tournent en rond.

 

RÉFÉRENCES

• Qu'apprend-on à l'école maternelle?, CNDP, 2002, 159 p., 4,90 €

• Qu'apprend-on à l'école élémentaire?, CNDP, 2002, 287 p., 9,90 €

• Colette Ouzilou, orthophoniste depuis trente ans, a publié l'année dernière Dyslexie, une vraie-fausse épidémie aux Presses de la Renaissance.