Marc Le Bris : "J'ai ressorti les vieux livres."

Ouest-France, 26 avril 2004

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L'instituteur dénonce les méthodes d'apprentissage " qui ne marchent pas "

Marc Le Bris : 'J'ai ressorti les vieux livres'

Marc Le Bris, directeur de l'école de Médréac en Ille-et-Vilaine : " Je prétends que la méthode " B-A ba " a du bon. "

 

Marc Le Bris, 50 ans, met les pieds dans le plat. Instituteur depuis 1977, directeur de l'école publique de Médréac, en Ille-et-Vilaine, il publie son premier livre : Et vos enfants ne sauront pas lire ni compter. Un pamphlet sans concession pour alerter les parents et dénoncer " la faillite programmée de l'école française ".

Pourquoi soudain un livre sur l'école après vingt-sept ans d'enseignement ?

C'est un cri de colère. Je suis furieux, furieux contre moi-même qui ai accepté de perdre mon temps par simple confiance. Il m'a fallu un temps fou pour me rendre compte de l'ineptie de ce que l'on faisait. Quand un inspecteur me disait : " Ce n'est pas comme ça ", je le croyais. Mais j'ai connu l'école d'avant 1970. Je me rappelle comment ça se passait dans la classe où j'étais élève. J'avais l'ambition à l'époque de devenir enseignant et que mes élèves sachent écrire une rédaction d'une demi-page, avec presque pas de fautes, et qu'ils comprennent ce qu'ils écrivaient. Aujourd'hui, deux gamins sur dix qui entrent en 6e ne lisent pas. Ce n'était pas le cas avant 1970. Il faut en tirer un bilan, regarder les conséquences de ses actes.

Vous pointez du doigt les méthodes modernes, l'apprentissage de la lecture par la phonétique, par hypothèse... Que leur reprochez-vous ?

Elles sont fausses, destructurantes, inadaptées. Je veux que ça s'arrête. C'est une catastrophe culturelle. Je dénonce l'idéologie dominante qui impose une pédagogie qui ne fonctionne pas. Entre 1882 et 1970, les programmes n'avaient quasiment pas changé. Ils ont juste été modernisés. Depuis 1970, on en est à la 8e ou 9e mouture. Ce changement permanent est une folie. J'ai analysé les méthodes utilisées : naturelle, par devinette, par hypothèse... J'y ai cru. J'ai même créé un logiciel à partir de la méthode naturelle. Maintenant je sais que ça ne marche pas. J'ai corrigé le tir.

Comment ?

J'ai ressorti les vieux livres, bien qu'à l'école normale on m'ait dit que tout ce qui était d'avant était mauvais, que le certificat d'études était stupide, que les enfants lisaient sans comprendre. J'ai commencé à réintroduire dans ma classe des dictées, la lecture à voix haute, les notes..., ce qui était interdit. Je prétends que la méthode " B-A ba " a du bon. Ce n'est pas pour autant que je gifle mes élèves. Cela ne nous empêche pas, non plus, de faire du théâtre, de la peinture. J'ai été l'un des premiers à avoir des ordinateurs dans ma classe. Aujourd'hui, la méthode Boscher, méthode syllabique par excellence, se vend au rayon parascolaire à 100 000 exemplaires par an. Dans quelle tour d'ivoire sommes-nous ? On me dit passéiste. Je crois que le moderne, c'est moi.

Les méthodes modernes exigent que l'enfant découvre par lui-même. Elles ont été conçues pour aider l'élève à devenir autonome. Est-ce que ça n'a pas aussi du bon ?

L'enfant n'est pas libre, pas autonome, c'est ce qui le caractérise. Dans la pédagogie moderne, on place l'enfant en situation compliquée. Avec son analyse, il doit en tirer son raisonnement, se débrouiller comme un autodidacte de la lecture et c'est la même chose pour les mathématiques. Pour être libre avec une voiture, il faut apprendre à la conduire. L'enfant a besoin de nous, de notre autorité. Il cherche la certification de la vérité, de ce qu'il a parfois découvert, mais qu'on lui apprend aussi par transmission de savoir.

N'êtes-vous pas trop alarmiste ?

Je ne crois pas. Je me suis modéré dans l'écriture de ce livre. La réalité est profondément plus grave. Il ne faudra pas 10 ans, mais 20 ou 30 pour récupérer le déficit. Les instituteurs sont très sérieux, font un métier difficile, mais sont fourvoyés. On leur impose des méthodes qui ne marchent pas. Ce livre, c'est un coup de pied dans la fourmilière.

Recueilli par Agnès LE MORVAN.