Français : les lettres ou la langue ?

Ouest France du 30 juin 2003.


Une langue mal maîtrisée, des élèves qui ne lisent pas. L'enseignement du français est un casse-tête pour les professeurs. Entre enseigner la langue et enseigner la littérature, la tâche semble parfois insurmontable. Petit tour d'horizon du débat avant les résultats du bac.

« L'enseignement du français, aujourd'hui, est traversé par une interrogation de fond qui mérite réflexion. » Le constat émane de Luc Ferry lui-même. Il y a pourtant belle lurette que les enseignants s'interrogent. Leur constat est le même : les élèves lisent peu et maîtrisent de plus en plus mal la langue de Molière.

Pour expliquer ce qui ressemble à un échec, certains, telle Agnès Joste, professeure de lettres, (1) pointent du doigt les programmes officiels mis en place en 2002. Selon elle, ils n'incitent guère les plus jeunes à s'intéresser à la littérature. Au lycée, exit Madame Bovary. Depuis trois ans, place aux genres : l'apologue, le burlesque, l'épistolaire...

Dans les programmes actuels, les oeuvres « doivent plutôt servir à illustrer les genres et les registres. On demande surtout aux élèves de connaître des techniques », déplore Agnès Joste, membre du collectif « Sauvez les lettres ». Un groupe d'enseignants en français, créé au début des années 2000 pour réagir aux nouveaux programmes.

Moins d'heures de cours

Malheur aux grandes oeuvres qui n'entrent pas dans ces critères. « Flaubert n'est pas symboliste. Alors où le mettre ? », interroge un enseignant. Pour étudier l'épistolaire, une lettre de Madame de Sévigné côtoie, dans un ouvrage scolaire, une autre de Vincent Van Gogh et une missive de... La Redoute. « La langue importe peu, la littérature est trahie », tempête Agnès Joste, qui cite encore cet exercice où l'on demande de raconter l'histoire d'OEdipe comme s'il s'agissait d'un fait divers.

Autre frein à l'enseignement du français : la multiplication des tâches qui incombent aujourd'hui aux professeurs. À eux d'inculquer aux élèves des valeurs communes, à eux d'apprendre aux enfants à communiquer, à développer le dialogue. Et peu importe le contenu. « La matière est sacrifiée sur l'autel du civisme, de la citoyenneté », dénonce Gaétan Cotard, membre du même collectif. Si un livre n'a pas de message moral ou citoyen, il n'a plus place dans une salle de classe.

Les enseignants se plaignent aussi qu'à leur entrée au lycée beaucoup de jeunes n'aient pas un niveau de langue suffisant. Aux enseignants de français de rattraper les retards accumulés. Et, une fois de plus, l'oeuvre est sacrifiée à l'apprentissage basique de la langue (orthographe, conjugaison, grammaire...). Parole de ministre : « Il faut parvenir à trouver un équilibre entre l'enseignement de la littérature et celui de la langue française. » Soit. Mais comment trouver cet équilibre quand les heures d'enseignement se réduisent comme peau de chagrin ? « En 2002, rien qu'en CE2, CM1 et CM2, nous avons encore perdu deux heures par semaine », constate Agnès Joste. « Les activités supplémentaires, comme la langue vivante, sont prises sur les heures de français. »

Parmi les points de discorde, l'épreuve du baccalauréat occupe une place de choix Plus particulièrement le sujet dit « d'invention », qui côtoie, depuis l'année dernière, la bonne vieille dissertation et le commentaire de texte. En 2002, seuls 10 % des élèves ont choisi la dissertation au baccalauréat. « C'est la disparition de l'esprit critique. L'épreuve d'invention ne demande pas à l'élève de penser la contradiction », estime encore Agnès Joste.

I.L.